Je ne suis pas une Montaldi. Je suis moi : une somme de peines, de rancœurs, de souffrance et, plus que tout, je suis un dommage collatéral sans intérêt, un déchet dans la guerre des gangs, Bess.
La jeune femme avait quitté le berceau familial pour accomplir son ambition de toujours de fouler le pavé des géantes urbaines d'Amérique. Pour donner vie à ses rêves de justice, à son besoin de revanche, aussi. Elle vivait donc dans l'ombre des non- dits et se faisait discrète.
J'envie Catlin, je la jalouse de porter ainsi des valeurs plus saine. Selon Preston, dès qu'elle le peut et par choix, elle exerce tous ses talents au profit des plus démunis. Ce pouvoir me paraît soudain immense. Elle est libre, pas moi, l'évidence me brûle la poitrine.
Tous ceux que je connais ont fait de la taule, la loi est blanche, elle baisse les yeux et crache sur les gens comme moi.
Un jour, Dieu créa Elie, et pour lui donner substance, il concentra dans l'espace restreint de ses prunelles tous les flots de la terre, la violence des torrents, la splendeur des océans, la fragilité des sources, la quiétude des rivières.
C'est la petite- fille de Dolorès, c'est pas du sang qu'elle a dans les veines, c'est du whisky. Quand tu respires son souffle, tu sens la poudre. Cette fille, c'est un général !
Mais si vous êtes sage je vous embarque en intervention. Sauf si vous parlez latin à l'envers ou si votre tête fait des 360° en affirmant que ma mère suce des bites en enfer.
La plupart de ceux qu'on accuse de maux: violence, dépendance, instabilité, phobies, sont des êtres blessés en souffrance. Le connard authentique ne représente qu'une part infime de la population. Si tu savais ce que vivent les gens, à quels drames ils sont confrontés, la nature humaine est si cruelle! Que nous passions de l'autre côté du miroir n'est l'affaire que d'un pas, d'un seul.
Je comprends alors qu'il se cache lui aussi. L'homme qui se tient là, à mes côtés, n'est qu'un leurre.
Comme moi.
— Mademoiselle, ne vous méprenez pas, si je suis venu de loin, ce n’est pas dans le but d’acheter votre vertu.
Et elle n’en a rien à cirer, Fioretti.
Je saisis sa main pour la porter à mes lèvres, comme s’il s’agissait d’un oiseau tremblant que j’aurais eu peur d’écraser en le serrant trop fort. Elle me détaille, critique, en fronçant les sourcils.
— Il me semble vous avoir déjà vu…
Je m’incline en une sorte de révérence maladroite en signe de respect qui doit paraître désuète et obséquieuse. Normalement, je n’ai pas besoin de ça, que ce soit grâce à ma belle gueule ou à mon porte-monnaie bien garni, je n’essuie aucun refus. Les gens sont superficiels, c’est si tristement facile… Mais avec elle, c’est différent, je veux faire mieux.
— En effet, j’ai eu le plaisir de vous croiser il y a quelques semaines sur Toulon. Mais j’avais envie d’en voir encore davantage. À vrai dire, je… serais curieux de découvrir chaque facette de vos compétences.
J’ai peur qu’elle me saute à la gorge. Ou pas. En fait, l’idée me séduirait assez. Viens à moi, petit oiseau, et je jouerai à chat…
Ses yeux regardent furtivement sur le côté et elle semble mal à l’aise, alors j’essaie de rendre ma voix plus douce encore :
— Pour être parfaitement honnête, je suis venu pour vos talents. Et si le bien-fondé de ma démarche vous échappe, je vous promets de rester protocolaire et de ne plus faire irruption dans votre quotidien. Je m’en tiendrai strictement au cadre professionnel et ne traiterai pas en personne. Mais, s’il vous plaît, accordez-moi ce dernier spectacle.
Tu la supplies, Fioretti, fais attention…
Sa bouche s’entrouvre comme si elle cherchait ses mots et, sous son maquillage, sa peau se teinte d’une nuance délicatement rosée.
— D’accord, concède-t-elle, je vais faire une exception… C’est juste que le cancan n’est pas notre spécialité et ce que vous demandez, à savoir une prestation privée, est une démarche très particulière qui me met mal à l’aise.
Un cancan ? J’ai pas demandé ça, moi ! Je veux juste qu’elle s’effeuille !
— Entendu. Dans ce cas, je tiendrai parole, après cette faveur, je disparaîtrai.