Son père découvrait une dévoreuse de livres - elle pouvait en lire un par jour - mais pas n’importe quel livre , ceux qui lui parlaient et ceux là seulement.
L’émir , farouche nationaliste arabe , avait cette rare faculté des gens honnêtes de s’octroyer des plages intimes de contradictions , d’où il revenait avec plus de conviction pour sa cause , se purifier comme après une ablution.
Les Fakréddine habitaient tous le vieux manoir de la famille depuis le XVIII ° siècle .Parents , grands-parents , oncles , tantes , enfants et domestiques .Habitudes tribales des grandes familles orientales dont les uns vivaient les uns sur les autres , se nourrissant de rancœurs réciproques , d’attractions , de désenchantements . Une ruche d’abeilles oisives , paresseuses et arrogantes .
L'émir attribuait à ses cravates des pouvoirs dont il ne parlait à personne . Ceux d’un talisman . Il concédait à son esprit rationnel cette errance . Elle lui venait de sa montagne nostalgique où clapotaient dans les rivières des superstitions, des sorts que jetaient dans l’eau de bonnes fées ou des envoûteuses mal intentionnées .
Pour ses trois cravates , il était comme pour sa montagne et ses vallées magiques . Celle qui portait chance , celle qui faisait passer la journée sans surprises , celle qui crevait le mauvais œil . Il fallait tout juste les assortir à la couleur du temps et à celle de ses rendez - vous .