CARTE BLANCHE À BERNARD NOËL - LA PLACE DE L'AUTRE
Avec Bernard Noël, Jean-Luc Bayard, Léonard Novarina-Parant, Jean-Luc Parant, Laurine Rousselet, Esther Tellermann & autres invités
Né en 1930, Bernard Noël signe son premier livre Les Yeux chimères, en 1953 et en 1958, Extraits du corps. Ce n'est que dix ans plus tard qu'il publie son troisième ouvrage, La Face de silence. La publication de ces poèmes lui ouvre alors les portes de l'édition où il travaille comme lecteur, correcteur et traducteur. À partir de 1971, Bernard Noël prend la décision de se consacrer entièrement à l'écriture. Il compose ainsi une oeuvre majeure, où s'exprime une révolte contre toute tentative de sensure - oeuvre couronnée du Prix National de la Poésie en 1992, du Prix Max Jacob en 2005, du prix international de poésie Gabriele d'Annunzio.
Salué par Aragon, Mandiargues et Blanchot, son oeuvre, immense par son engagement et son exigence, compte près d'une centaine de titres (dont le Château de Cène, roman érotique qui lui vaut d'être l'un des derniers écrivains français à subir un procès pour outrage aux bonnes moeurs), ainsi que de très nombreux livres d'artistes.
Dans le cadre de la Périphérie du 36e Marché de la Poésie
À lire - Bernard Noël, le poème des morts, Fata Morgana, 2017 - La Place de l'autre, Oeuvres III, P.O.L., rééd. 2013 - Comédieintime, Oeuvres IV, P.O.L., rééd. 2015.
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Je sais que tes hésitations cèdent la place à ta sagacité virile, et que tu as si bien su repousser ce félon d'Hitler, à l'ignoble face ternie sous les taches indélébiles de peinture où il avait trempé sa mèche de clown féroce qui se prolonge jusqu'à la racine de son nez nazi. Avec son gros pinceau de barbouilleur, Hitler couvre de sang l'humain et le divin.
(à Mussolini lorsqu'il rejette l'Allemagne Nazie en 1934)

La convalescence est une purification et une renaissance. Le sentiment de la vie n’est jamais aussi suave qu’après l’angoisse de la maladie ; Et jamais l’âme humaine n’est plus encline à la bonté et à la confiance qu’après avoir sondé les abîmes de la mort. En guérissant, l’homme comprend que la pensée, le désir, la volonté, la conscience de la vie ne sont pas la vie. Il y a en lui quelque chose de plus vigilant que la pensée, de plus durable que le désir, que plus puissant que la volonté et aussi de plus profond que la science : et c’est la substance, la nature de son être. Il comprend que sa vie réelle et, pour ainsi dire, celle qui n’a pas été vécue par lui; qu’elle est l’ensemble des sensations involontaires, spontanées, inconscientes, instinctives; qu’elle est l’activité harmonieuse et mystérieuse de la végétation animale; le développement imperceptible de toutes les métamorphoses et de tous les renouvellements. C’est cette vie-là justement qui accomplit en lui les miracles de la convalescence : elle referme les plaies, répare les pertes, rattrape les mailles détruites, raccommode les tissus déchirés, répare les structures des organes, renouvelle dans les veines la richesse du sang, renoue sur les yeux le bandeau de l’amour, tresse de nouveaux autour de la tête la couronne des songes, rallume dans le coeur la flamme de l’espérance, redonne des ailes aux chimères de l’imagination.
Stelio se taisait, bouleversé par des forces tourbillonnantes qui le travaillaient avec une sorte de fureur aveugle, semblables aux énergies souterraines qui soulèvent, déchirent, transfigurent les régions volcaniques pour la création de nouvelles montagnes et de nouveaux abîmes. Tous les éléments de sa vie intérieure, assaillis par cette violence, paraissaient se dissoudre et se multiplier à la fois. Des images grandioses et terribles passaient sur ce tumulte, accompagnées de mélodies. Des concentrations et des dispersions très rapides de pensées se succédaient comme les décharges électriques pendant la tempête. À certains moments, c'était comme s'il avait entendu des chants et des clameurs par une porte qui se serait ouverte et refermée sans cesse, comme si des rafales lui avaient apporté les cris alternés d'un massacre et d'une lointaine apothéose.
Rien que pour l'entendre parler, Stelio lui demanda, presque timide:
- Resterez-vous quelques temps encore à Venise?
Il avait cherché les paroles qu'il lui dirait, et toutes celles qui s'étaient présentées à fleur de lèvres l'avaient troublé, lui avaient paru trop vives, insidieuses, pleines de significations ambigües, capables de propagations infinies, comme les semences ignorées d'où naissent les mille racines. Et il lui avait semblé que Perdita ne pourrait entendre aucune de ces paroles sans que son amour en demeurât plus triste.
Alors seulement, après avoir prononcé la question simple et banale, il s'aperçut que cette question même pouvait receler un infini de désir et d'espérance.
Par dégoût me détournant, je vis derrière une palissade un enfant qui riait de ses minuscules yeux porcins, enfoncés dans une face énorme et luisante, prête à éclater comme si, par un trou fait dans sa nuque, quelqu'un n'eut cessé de le bourrer de saindoux et de viande pilée.
La charogne grouillante d'un chien bâtard sur un tas d'ordures n'est-elle pas un spectacle presque récréatif en comparaison de certaines révélations de la laideur humaine habillée de vêtements ?
Elle portait une jaquette de chinchilla plus léger que le duvet d'un cygne cendré, sur une jupe étroite de drap gris qui l'entravait sans chasteté. Sous un chapeau de crin relevé d'un côté, orné de deux plumes de héron de Numidie semblables à deux couteaux, une soie brillante et souple, de couleur châtain doré, était disposée par masses que ne retenait ni un peigne ni une épingle apparente, mais leur propre densité vivace.
Dans les Abruzzes, sur le territoire d'Anversa, près des gorges du Sagittaire, la veille de la pentecôte, au temps du roi Bourbon Ferdinand 1er (environ 1820).
Une salle très vaste dans l'antique maison des Sangro, construite sur le dos inégal de la montagne.
Sur la robustesse de la primitive ossature normande, tous les âges ont superposé leurs témoignages de pierre et de brique, depuis le règne des Angevins jusqu'au règne des Bourbons.
Autour, court une galerie, riche en sculptures, au-dessus d'arcades profondes dont quelques-unes sont encore ouvertes ; d'autres sont bouchées, d'autres sont soutenues par des étais.
Des trois qui sont en face, celle du milieu enfonce sa voûte vers le jardin qui resplendit, au delà d'une grille de fer, avec ses cyprès, ses statues, ses viviers.....
(extrait du lever de rideau de l'acte premier de l'édition parue dans "La petite illustration" en décembre 1927)
Un petit pot de terre cuite, suspendu à un tronc gemmé, avait, à la première poussée de sève, reçu d'un coup tant de résine, qu'elle débordait en longs filaments pareils à des sucreries, si bien que le désir me venait de les donner à mastiquer pour empâter la langue fastidieuse et coller au fond du palais ces paroles importunes.
Les Villes terribles
Crépuscule du printemps,
crépuscule d’été,
premières pluies d’automne,
averses bruissantes sur l’immondice
poudreuse qui fermente sous les pas des mendiants ;
pauvres semelles éclatées qui découvrez
un lamentable pied humain pareil à la racine
torse et meurtrie d’une douleur violemment arrachée ;
glouglous fétides, boquets gluants
des cloaques voraces parmi l’ombre apurée
d’un beau soir extatique ;
encombrement fumeux et brouhaha
de la rue sombre où la cohue des appétits
et de toutes les faims se rue à la curée
s’entr’égorgeant avec l’avidité des bêtes fauves ;
droit suprême de la force dominatrice
et qui partage les pitances au tranchant du couteau,
c'est de vous, c’est en vous que j’ai vu resplendir
une gloire sinistre et terrifiante.
(...)
O Morte nella vita,i giorni che non sono più !
Oh! Mort dans la vie,les jours qui ne sont plus !