Citations de Gaëlle Josse (1847)
j'ai mille ans et
je viens de naître
j'ai été sorcière et reine
j'ai été le soudard et l'enfant qui court sous les bombes
j'ai accouché dans un fossé et
vendu mes caresses dans des jupons de velours
je n'ai plus rien entre les mains
qu'une ligne de vie
incertaine et
le désir d'embrasser
chaque matin qui se lève
la peau arrachée jusqu'au coeur
mais ce brin d'herbe
devant la fenêtre
les herbes sèches s'accrochent à mes jambes
je marche au pas
à côté de mon cheval
nos épaules
se touchent dans un balancement d'horloge
lente
à la nuit tombée le sentier s'efface
il faut avancer
encore
je lui parle ma voix le rassure
je lui dis des contes anciens où les chevaux volent
par-dessus les champs par-dessus les océans
alors nous avançons
toujours
et ses sabots
me montrent le chemin
adossés à l'épaule du temps
chaque jour renaître
ouvrir les volets
au jardin jeter une poignée de graines
la part de la terre
la part des oiseaux
et attendre ce qui est à venir
ce que le fleuve emmène
ce que nos mains retiennent
la joie du torrent
les baisers les larmes
l'or derrière les nuages et
aussi
cette étoile tremblante
qui nous sourit
l'odeur d'herbe fraîche de la nuit
le cri d'un oiseau entre les feuilles
un vêtement oublié sur un banc
il frissonne comme
un bouquet abandonné
et peut-être il danse
lorsque tout dort au jardin
un verger imaginaire pour
accueillir la floraison
de nos désirs
songe à tout ce bleu
qui attend ton réveil
Qu as tu fait de ton talent ? J' ai joué, Seigneur, j' ai joué. Je voudrais aussi pouvoir répondre que j ai aimé, et au delà de moi même, lorsque la question me sera posée, le jour de la pesée des âmes.
Elle aime cette activité domestique, mettre en marche le lave-linge. Elle aime ce ronronnement rassurant et se dit qu'il n'y a guère que cela qui tourne rond dans sa vie.
Elle s'assied devant en tailleur et regarde le mouvement circulaire et nonchalant de ses vêtements à travers le hublot (...)
Puis l'odeur du linge propre, essoré. Tout semble remis à neuf, effacé , rincé.Une absolution. Elle aimerait qu'il en soit ainsi de sa vie, et aussi de la terre entière, et que tout tourne ainsi,dans un mouvement orbital parfait et infini.
( p.125)
Tu ne vas pas rester comme ça , désœuvrée.Le mot a marqué Clara.Désœuvrée, sans œuvre à construire, sans tâche, sans utilité, une vie de paramécie, de lentille d'eau, de mousse, de lichen.
Alors il lui dit, au téléphone, ces mots qui ne trompent personne, prendre un peu de distance, réfléchir, y voir plus clair, se donner du temps, tous ces mots usés qui congédient l'autre en faisant mine de l'épargner.
( p.41)
Elle se dit que, parfois, la joie ressemble à un peu de lumière qui danse.
( p.193)
Les gens, elle les reconnaît, maintenant, quand elle les voit, les comme elle, ceux qui cèlent un appel loin dans leurs yeux, un point qui raconte la lassitude, qui annonce qu'ils vont bientôt lâcher ; qui dit tenir-bon qui tremble, prêt à céder. Elle le voit, comme si ce matin- là, depuis l'heure de la chute, quelque chose s'était ouvert en elle, un passage, une voie d'accès vers elle-même, et vers tous ceux qui n'en peuvent plus de serrer les dents.
( p.202)
Elle pense à ce mot, la reverdie, un mot démodé qu'elle avait trouvé joli, lu dans un livre il y a longtemps.Quand tout revient, en force, en beauté, en joie, en énergie. Ce mouvement entêté de la lumière, de l'oxygène et de la sève, qui ramène vers la vie.
( p.205)
Cette femme, à quelques mètres d'elle, elle la regarde longuement.Pas toute jeune.Clara scrute son maquillage appuyé et se demande où cette femme trouve l'énergie, le matin, la patience de passer tout ce temps devant son miroir, à tenter de gommer, d'estomper les traces du temps (...)
La question demeure en elle, alors qu'elle se lève et se met en route pour rentrer, oui, d'où viennent cette force, cette tension, ce tenir-droit, cette vitalité ?
Si elle avait encore droit à un vœu, c'est ça qu'elle demanderait, et seulement ça.
( p.103)
Clara l'a aimé pour cette façon pleine, entière, d'habiter le présent jusque dans ses moindres recoins, d'y laisser entrer une lumière vive, égale, joyeuse.Elle a aimé son regard droit, posé, sa curiosité du monde.
( p.69)
S'apprivoiser.La vie serait-elle autre chose qu'éviter les frottements trop rugueux avec autrui ? Et pourtant, parfois, le silex, l'étincelle, le feu...
(Éditions Noir et Blanc, 2021, p.210 )
Le malheur, ça ne se partage pas.
Les saisons passent, reviennent en un immuable cercle.
Seize ans, à vif. Le temps de tous les tourments, des désordres, des élans, des questions, des violences contenues qu'un mot heureux pourrait apaiser, des fragilités qui n'attendent qu'une main aimante.