Bruno Doucey lit des poèmes de
Garous Abdolmalekian, extrait du recueil "Des poings sous la table", © Éditions
Bruno Doucey, 2012.
VERS LE MATIN
Il ne le range pas
Le matin
Il le laisse tel quel
Froissé par l’amour de la nuit passée
Il se met devant la fenêtre
Il laisse descendre la mort
Par sa bouche
Tournoyer dans la cage thoracique
Laisser le robinet du sang ouvert
Et l’oublier…
Il laisse venir
Le vent
Se vêtir de l’habit jeté sur la chaise
Et partir…
Il laisse les fleurs en pot
Pour une fois
Se dessécher comme elles l’entendent
Il se met face au ciel
Il passe une main sur ses cheveux
Et dit :
Voler, n’a rien à voir avec les ailes
Il faut du coeur
J'écris blessure
Et je la ferme
Avec une blessure plus ancienne
Car j'ai vu
Que lorsqu'on torture le ciel
Il devient plus bleu
Quand on torture la mer
Elle devient encore plus profonde
J'écris porte
Et je l'ouvre
Pour que tu entres
(J'écris blessure)
ANONYME
Quand le vent souffle
La poussière sur la chaise s'envole
Tournoie dans la chambre
S'allonge près de l'homme
Et se souvient
Du temps où elle avait des lèvres...
15
Je pèle l’orange
Elle est vide
Je pèle la pomme
Plus rien
Le vent souffle
Et la clarté se détache du jour
Un arbre mange ses fruits
Un arbre enterre son ombre
Un arbre qui est si fatigué
Qu’il se coupe lui-même
Pour s’asseoir sur son tronc
Le vent souffle
À la vie il enlève son sens
Mais moi je regarde le ciel
Rougeoyant
S’éloigner avec cet étrange oiseau
Pris au bec
Mais moi j’avise le ciel
La nuit
La solitude
Les deux faces de la lune
Sont obscures
pp.49/51
/traduit du persan (Iran) par Farideh Rava
10
Et la bombe est tombée sur l’école
Nous voulions demander de l’aide
Nous voulions appeler les enfants par leur nom
Mais l’alphabet avait pris feu
En enfer
Comment parlent-ils les hommes ?
Dans mon pays
Où donc émigrent les chants ?
Où donc se cachent les danses ?
Où donc vont mourir les poèmes ?
Et lui
Celui qui demande de l’eau derrière les barreaux
Il voudrait
Avaler ses dents
Ah la vie !
Nous ne respirons pas
Nous ne respirons pas
Nous ne respirons pas
C’est de mort
Que nous nous remplissons
Et que nous nous vidons
Les guerres brûlent
Et les pompiers
Ne peuvent pas éteindre le crime
Regarde !
Ma fille de cinq ans est brûlée
Et son nom
Comme un papier de bonbon
Est froissé dans mon poing
***
Ne te sens pas étranger
Ne te sens pas étranger mon fils !
Ici c’est le Moyen-Orient
Où que tu creuses
Jaillira
Un ami, un aimé, un frère.
/traduit par Farideh Rava
9
Les hommes
S’en vont
S’en vont
S’en vont
Mais ne s’éloignent pas
Avec quel espoir
Nous interrogeons nos montres
Quand le temps travaille pour la mort
/traduit par Farideh Rava
14
La guerre est finie
À présent
Les hommes meurent pour la paix
p.47
/traduit du persan (Iran) par Farideh Rava
6
Nous
Nous errons dans les rues
Nous errons dans les ambassades
Nous errons sur les frontières
Nous flottons
Comme des débris de bois
Sur les mers
Nous ne pouvons même pas nous noyer
/traduit par Farideh Rava
8
Dans mon pays
Beauté et laideur sont pareilles
Et toutes deux
Pareillement inutiles
Un poème est collé à mon cœur
Pour l’écrire
Il me faut l’arracher
/traduit par Farideh Rava
11
Tu es mort avec un corps de neige
Mais tu ne fonds pas
Tu es une feuille blanche
Qui me mène à la poésie
/traduit par Farideh Rava