Comment aimer son corps dans une société qui a longtemps cherché à dissimuler et à modifier celui des femmes ? Comment parler du corps quand sa représentation est toujours sujette à un regard normatif cherchant avant tout à façonner des corps performants et utiles ?
Chantal Thomas, de l'Académie française, est écrivaine et essayiste. Ses livres Souvenirs de la marée basse (2017), de sable et de neige (2021), et Journal de nage (2022) sont des évocations autobiographiques dans lesquelles elle révèle l'histoire de ses sensations et notamment son goût inconditionnel pour la nage et un mode de vie nomade, détaché des servitudes communes.
Geneviève Fraisse, directrice de recherche émérite au CNRS, est philosophe de la pensée féministe. Ses ouvrages La suite de l'histoire, actrices, créatrices (2019), et Féminisme et philosophie, (2020), À côté du genre. Sexe et philosophie de l'égalité (2010), ou encore La sexuation du monde. Réflexions sur l'émancipation (2019) et le féminisme, ça pense ! (2023), réintroduisent le sexe, le genre et le corps au coeur de la pensée philosophique et d'une réflexion renouvelée sur la nécessaire égalité entre les sexes.
Les extraits lus par Ambre Pietri lors de cette soirée mettront à l'honneur le corps, auquel les oeuvres de Chantal Thomas et celle de Geneviève Fraisse assignent une place prépondérante.
La rencontre est présentée par Fanny Arama, docteure en littérature française du 19e siècle.
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Lorsque j’ai entendu ce mot de consentement dans des enceintes politiques, Parlement européen, débats télévisuels, discussions associatives, j’ai compris qu’il pénétrait dans l’espace public comme un argument de poids. Je voyais bien que la raison du consentement, utilisée pour défendre le port du foulard, ou le métier de prostituée, s’entourait de principes politiques avérés, la liberté, la liberté de choisir, la liberté offerte par notre droit ; et la résistance, la capacité à dire non à un ordre injuste.
L’égalité, cela s’impose par des rapports de forces, par des voies, par des issues à des conflits, etc. mais de toute façon cela s’impose
En France, aujourd'hui, on compte plus de 90% de femmes dans le service à la personne. Il faut dès lors réfléchir sérieusement à ce que signifie l'escamotage, c'est au sens fort du terme, à savoir que pour universaliser le care, toute démonstration, à un moment ou un autre, procède de l'effacement de la dimension sexuée du service.
… j’ai une dernière idée : le refus, le désaccord, la contradiction, l’opposition, toutes ces formes pour dire « non », ne sont-elles pas des pistes à découvrir ? Quel est ce temps où dire « non » semble de peu d’intérêt, et où dire « oui » à la hiérarchie sexuelle devrait nous enthousiasmer ?
Car l’excès est inhérent à la pensée de la sexuation du monde et à la pratique de l’égalité des sexes. Le féminisme est par lui-même excessif, pour deux raisons simples : il parle de sexualités, il combat les inégalités. Il fait donc face à deux tabous ; rien ne sert de le nier
L'important, dans la domination, c'est l'illisibilité de la domination.
Ce titre, Les femmes et leur histoire, se veut une figure singulière de l'histoire des femmes. Cette histoire fut oubliée, mal écrite par les siècles écoulés, dépréciée par ceux qui, depuis si long-temps, fabriquent le récit du passé : les hommes.
Entre ce vide conceptuel de la philosophie (qui n’est pas, bien entendu, une absence de pensée), l’anhistoricité des représentations traditionnelles du sexe et de la sexualité, et la promesse de l’histoire contemporaine, j’imaginais, puis j’affirmais que l’hypothèse de l’historicité ouvrait une perspective nouvelle ; et ce doublement : en rendant possible une lecture des philosophes et de leur traitement de la question des sexes ; en déjouant la facticité, l’empiricité infrathéorique qui fait qu’aujourd’hui encore toutes les recherches sur les femmes n’ont pas modifié l’a priori (le préjugé) contre la conceptualisation de la différence sexuell
Drame personnel, précise-t-elle (Simone de Beauvoir), que la guerre d'Algérie. Car les Français de métropole, sans vivre sur le sol algérien, étaient impliqués, de fait, dans l'histoire de la colonie française et de la guerre d'indépendance. Le privilège est toujours celui du dominant, ou du possédant. Dominer et posséder : désigner le privilège est nécessaire, mais c'est, en l'occurrence, insuffisant. S'il y a drame personnel, c'est parce qu'il y a une conscience déchirée, une contradiction vécue, ici, entre le soutien à la guerre d'indépendance et l'appartenance à une nation française soucieuse de maintenir sa domination.
Il n’y a aucune hésitation, nous sommes d’emblée installés dans l’histoire, l’histoire longues des femmes à la conquête collective du savoir et de toutes les jouissances singulières qui s’y attachent. Tel est le premier Privilège de Simone de Beauvoir, celui de s’imaginer dans l’histoire, de plain-pied.