Vraiment je me demande à quoi vous pensez, Resnel !
Voilà trois heures que ce malheureux est interrogé, sans avocat, sans soutien d'aucune sorte !
Roger, sans se laisser démonter, rétorqua :
- Rassurez-vous, Maxime. Le lieutenant Marmoutier m'a paru tout à fait pacifique. D'ailleurs le juge d'instruction Thiériot se trouvait là-bas. Je ne crois pas qu'il sanctionne de sa présence un passage à tabac ou quoi que ce soit d'illégal.
Il ne pouvait empêcher le passé de l’envahir. Il revoyait les années d’adolescence pendant lesquelles les deux antiquaires l’avaient hébergé, lui enseignant patiemment toutes les ficelles de leur métier.
Un jour, Fred avait déclaré que tout cela était inutile, périmé, ennuyeux, qu’il voulait être peintre. Malgré Juliette Férial, sceptique et furieuse, le vieux Blaise l’avait soutenu et encouragé. En vain, car Fred n’avait pas l’étoffe d’un peintre. Jamais le jeune homme ne s’était tout à fait remis de l’amère déception qu’il avait éprouvée lorsqu’il avait réalisé que ses mains, habiles à réparer, à restaurer, à copier, ne seraient jamais capables de créer.
...c’est vrai que les putains constituent ma plus fidèle clientèle mais c’est vrai aussi qu’elles m’amusent plus que les femmes de professeur. Elle fit un effort violent pour se contenir. Elle avait déjà échangé sur ce sujet avec Serge tous les mots durs, tous les reproches blessants. Elle ne désirait pas une nouvelle discussion. Et puis, ce grand homme furieux l’attendrissait un peu. Il avait l’air tellement perdu.
Je m’amuse à classer mes clientes par catégories. Cela me simplifie le travail. J’appelle mes brebis les femmes dans le genre de la morte, les créatures déshéritées, qui vivent seules, qui se croient protégées par leur méfiance et leurs entêtements mais qui sont toujours exploitées. Quand ce n’est pas par des escrocs, c’est par une famille tentaculaire.
La jeune femme parlait avec l’élan irrésistible des femmes seules, qui ont besoin de se confier. En quelques minutes, la voyante apprit qu’Aline était orpheline, qu’elle avait habité Nevers toute sa vie mais qu’elle ne voulait plus y revenir, qu’elle était entrée au couvent après la mort de ses parents et qu’elle venait d’en sortir définitivement.
La veuve se sentait menacée dans les deux existences qu’elle avait jusque-là si bien gardées séparées. Elle tenait autant à sa vie de grande bourgeoise qu’à ses escapades quotidiennes rue de Douai. Elle avait besoin d’être respectée dans un milieu, d’être populaire dans l’autre. Ses deux personnages lui étaient nécessaires.
Rien n’est plus simple qu’un herbage normand : un carré d’herbe, quelques pommiers et une haie sur les quatre côtés. Une haie faite d’églantiers, d’aubépines, de houx, de noisetiers. Quelquefois un petit mur couvert de mousses et de fougères.
En plein jour, c’est le paysage le plus paisible qu’il soit, le plus rassurant.
Toutes les mêmes, ces bonnes femmes ! De plus, Palmyre ne pouvait pas pardonner aux gens de frustrer sa curiosité : elle avait apprécié le début de cette comédie humaine : le frère boiteux, la sœur dévouée, la confiseuse sentimentale… Elle était furieuse de manquer le dénouement.
Faute d’essence, les réveillonneurs n’étaient pas venus réveillonner. Le décor lumineux était resté vide. Les guirlandes de boudin blanc pendaient toujours à leurs ficelles, les dindes n’avaient pas quitté le réfrigérateur ni les huîtres leurs bourriches.
Une créature naïve, sentimentale, qui avait consacré sa vie à soigner une mère tyrannique, mais pas du tout une vieille fille, une femme, très soignée, très coquette, même si c’était dans un style un peu désuet.