« Mon cher docteur, dit Flory [personnage qui incarne Orwell], comment pouvez-vous imaginer que nous sommes ici pour autre chose que pour voler notre prochain ? C’est pourtant très simple. Le fonctionnaire maintient le Birman à terre tandis que l’homme d’affaires lui fait les poches. [...] Jamais nous n’avons appris aux Indiens un seul métier utile. Nous n’osons pas : cela nous ferait trop de concurrence sur le marché. Nous avons même anéanti certaines industries. Les mousselines indiennes, par exemple : où en fait-on aujourd’hui ? Autrefois, vers 1840, on fabriquait encore en Inde des navires qui tenaient la mer et que l’on savait faire naviguer. Maintenant, pas question de fabriquer ici le moindre bateau de pêche. Au 18° siècle, les indiens savaient fondre des canons qui valaient bien n’importe lequel de nos canons européens ...
Mon ami, mon ami [Ce personnage est un birman « blanchi », une réplique de « l’oncle Tom » colonisé], vous oubliez le tempérament oriental ! Comment pourrions-nous par nous même suivre le progrès, avec notre apathie, notre superstition ? Vous du moins, vous nous avez apporté la loi et l’ordre - l’inébranlable justice anglaise et la pax britannica ...
Je ne nie évidemment pas, dit Flory, que nous n’ayons modernisé ce pays dans une certaine mesure. Nous ne pouvons faire autrement. [...] Mais nous ne civilisons pas les Birmans : nous ne faisons que les contaminer. Où croyez-vous donc que vont mener les progrès de la civilisation moderne, comme vous dites ? Rien qu’à produire des gramophones et des chapeaux melons. Il m’arrive parfois de penser que dans deux cent ans d’ici, il ne restera plus rien de tout cela. - Du pied, il désigna l’horizon. Les forêts, les villages, les monastères, les pagodes, tout aura disparu. Il n’y aura plus à leur place que des pavillons roses à cinquante mètres de distance l’un de l’autre ... » (extrait pages 52-55 d’une Histoire birmane, Ed° IVREA 1996)