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Citations de Georges-Arthur Goldschmidt (27)


Georges-Arthur Goldschmidt
Le français est une langue de la pudeur métaphysique, qui protège des horreurs, mais aussi dissimule beaucoup. En français, on parle d'une « bataille », un fort beau mot. En allemand, cela se dit « Schlacht », qui veut dire boucherie. […] On peut se demander si l'éloquence et la rhétorique du français ne le rendent pas un peu irréaliste et exempt de cette prise brutale sur le réel qui donne à l'allemand son efficacité.

Le magazine littéraire (Mai 2015)
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" Or, tout arriva en même temps, ce même jour d’octobre 1943 fut celui aussi d’un double accès à l’écriture. Au lieu de me donner, comme de coutume, à copier deux cents fois : « Je dois apprendre à ne pas bavarder en classe » ou « Je vais recevoir la fessée parce que je suis un paresseux », on se mit en tête de me faire copier « Le distrait » extrait des Caractères de La Bruyère. C’était la première fois que j’écrivais du français de cette façon-là. J’eus l’impression de planer au-dessus du texte, je n’avais jamais encore remarqué le bizarre et pittoresque agencement de toutes ces lettres qu’on n’entendait pas, pour la plupart, quand on lisait à haute voix et qui semblaient orner la page ; leur succession me surprenait, cela virevoltait élégamment. Dans la détresse quotidienne, cette langue que je recopiais ainsi faisait un surprenant et merveilleux refuge.
Tout y était différent de mon allemand maternel. Tout s’y passait autrement. Sous les phrases parfaites de La Bruyère se profilait, malgré moi, cette langue allemande. Elle était là, bloc d’effroi et de terreur, comme si on avait supplié jusqu’aux arbres de prendre votre place ; jusqu’aux clôtures de jardin qu’on enviait de ne pas être vous. Les uniformes brun-jaune avec le baudrier oblique du parti nazi, le NSDAP : l’épicier, le marchand de charbon, l’instituteur, tous ces gens qu’on connaissait et redoutait, raides, bottés, en rangs, qui défilaient dans les rues du village en brandissant le drapeau à croix gammée."
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Un livre qui ne s'inscrit pas dans le corps, qui ne change pas la respiration, ne vaut pas la peine d'être lu. Dans une lettre à son ami Oskar Pollak, Kafka écrit le 24 janvier 1904 " D'ailleurs, je crois qu'on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Quand le livre que nous lisons ne nous réveille pas d'un coup de poing sur la tête, alors pourquoi lire?"
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Interdit de vie et de séjour par origine, je m'étais tout de suite heurté à l'inexplicable : on avait voulu me mettre à mort parce que j'étais quelque chose que je ne savais pas que j'étais et dont je ne sentais et ne savais rien, dont la faute que je n'avais pas commise se confondait - à mon insu - avec moi.

J'étais coupable de mon existence, de ma Schuldhaftigkeit dit ici l'allemand, de cet état de faute sans culpabilité. Je n'avais rien commis envers quelqu'un d'autre et j'étais pourtant coupable. Telle était la suffocation initiale contre laquelle on ne pouvait que s'enfoncer le poing dans la bouche ou hurler son désespoir.
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la déportation, à laquelle j'avais échappé par miracle, me revenait tout le temps et j'avais le sentiment d'exister en fraude.
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A la même époque ce fut la découverte du roman de Josef von Eichendorff "Pressentiment et présent" (...) "Tous les hommes ne se démènent-ils, ne se torturent et ne s'échinent-ils pas pour donner forme extérieure à la mélodie singulière donnée à chacun au profond de son âme et que l'un peut exprimer mieux et l'autre moins bien telle qu'il l'a présente à l'esprit"
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Kafka atteint ce que la philosophie manque, comme s'il en avait inversé le propos et l'avait prise à contresens. Kafka a trouvé hors d'elle ce qui était propre à la philosophie.
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L'allemand me semblait plus cru, une langue un peu verte, une langue de lève-tôt, sac au dos, une langue du matin, à la parole un peu embarrassée, à laquelle les mots viennent difficilement parcequ'il en a beaucoup fabriqués avec peu d'éléments. C'était une langue à la démarche un peu lente. Dès qu'on ouvrait un livre, on était frappé par le côté hérissé, dru, bardé, dressé que prenait la langue lorsqu'elle faisait dans le théorique ou dans l'essai. Si admirable et riche, si souple, en réalité, et si ample soit-elle, on l'avait raidie, déformée, et pour toujours blessée.
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Georges-Arthur Goldschmidt
L'anticipation au cas où se réalise ce qu'elle anticipe est dès lors perdue en tant qu'anticipation et doit anticiper autre chose pour perdurer. Et c'est bien là le problème, il en faut des hasards pour que par hasard l'anticipation se "réalise" et ne soit pas démentie. Ce qui arrive n'est qu'occasionnellement ce qu'on attend. L'anticipation trace une seule voie dans l'illimité des possibles et ce qui a lieu, selon cette anticipation ou tout autrement, était de toute façon inéluctable (un hasard nécessaire) parmi l'infinité des hasards. Tout ce qui arrive était inéluctable puisque cela arrive, mais selon une chaîne qui ne fut pas forcément anticipée, comme l'écrit Kafka : "Les cachettes sont innombrables, le salut unique, mais les possibilités de salut en revanche aussi nombreuses que les cachettes."
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Certains textes, ainsi, recelaient cette pesée qu'on porte en soi, certains textes, comme celui-ci, font apparaître avec une force presque aveuglante ce qu'ils ne peuvent pas dire. Je m'aperçus que je lisais pour voir apparaître dans ce que je lisais ce qui à la fois se heurtait aux mots et ne pouvait pas les franchir. Je découvris ainsi, peu à peu, pris d'une fièvre sèche, que ce que les écrivains disaient "abordait" les mots mais sans jamais les franchir, que l'essentiel, eux-mêmes, restait en suspens, toujours à portée de main et à jamais saisi.
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Le français, c'était un survol, une langue de collines bleutées, de fond de paysage, une langue de rivières et de ponts, de ciel diaphane, une langue orange de couchers de soleil, une langue pour salons donnant par de grandes fenêtres sur des vasques en bordure de parc.
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l'Allemagnebombardée, exsangue, mangeait du gigot, là où la France victorieuse en était à repeindre les portes des boutiques.
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De plus ke survivais indûment, j'aurai dû, étant donné ma provenance, légitimement être savonnette ou fragment gazeux, et tout mon protestanto-catholicisme n'y changeait rien.
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L'opposition entre Rousseau et les "philosophes parisiens" ne porte pas sur telle ou telle question de détail, ni sur la nature ou l'idée de Dieu, ni même sur l'esprit de la philosophie. Elle résulte d'une différence d'usage de la pensée, celle de Rousseau ne s'appliquant qu'à elle-même, celle des "autres" se dispersant dans son appétit d'étiquetage, de catégorisation, de possession. Jean-Jacques, au reste, était incapable de se plier à la discipline encyclopédique. L'équipe à laquelle chacun apporte sa pierre, la contribution à l'édifice commun : comme si Rousseau pouvait indifféremment apporter n'importe quelle pierre à n'importe quel édifice. L'équipe ne suppose pas tant l'anonymat (...) que bien plutôt la disparition de toute tonalité individuelle.
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Toutes les situations que crée Molière dépassent d'emblée l'expression verbale. Tous les personnages de son théâtre sont réduits au silence par l'entourage ou la situation où ils se trouvent. Ils échouent à coïncider avec les apparences. Et ce silence n'est rien d'autre que l'origine de la parole, la dimension au sein de laquelle chacun est dans la conscience de lui-même.
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Il y eut aussi, de manière presque fortuite, la découverte tardive du théâtre de Molière (...) ce fut l'étonnement, le saisissement radical devant ces personnages privés de parole : Sosie, George Dandin, M. Jourdain, acculés au manque de mots, aux preuves qui se retournent contre eux, coincés dans l'indémontrable évidence, et qui restent pantelants, à en battre des bras.
Pourceaugnac, Alceste ou Arnolphe ou même Harpagon en sont réduits à eux-mêmes, à dire "je sais ce que je sais" comme s'ils ne pouvaient plus que happer le silence.
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J'y retrouvais aussi, c'était une autre forme de distance, la différence entre le texte français que j'avais lu et l'original allemand. C'était exactement la même chose avec pourtant, en allemand, un aspect plus serré, plus dru, plus proche de ce qu'on voit, de ce qu'on touche, comme si la matérialité de la langue était plus palpable, plus réelle, comme si ce qui était écrit collait davantage à ce dont il était question.
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Le français était une langue aérée, une langue de grand large qu'on pouvait emporter loin, une langue d'ouverture où il y avait de la place et Flaubert m'en semblait l'exemple même. Cela s'adressait à tous les sens et de plus chaque phrase recelait sa propre mémoire et rendait plus riche celle du lecteur.
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C'était étrange et facile, mais cinq ans après la fin de la guerre, c'était comme si on y replongeait. On ne pouvait pas dissocier l'allemand du nazisme, le trouble s'était installé dans la langue. A chaque phrase, on était malgré soi contraint de s'interroger et on voyait immédiatement celles qui contenaient ces affirmations et ces brutalités grandioses et froides, ces condamnations radicales qui avaient inéluctablement mené à l'irréparable catastrophe.
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Il s’agit dans ce livre de la destinée d’un citoyen ­français d’origine allemande et de confession protestante que Hitler fit juif.
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