AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Partemps


Même si l’un de nous n’est pas attentif à cette décence, qui pour la plupart a le sens du Bien, la mise à nu d’une partenaire excite en lui l’impulsion sexuelle : dès lors le Bien qu’est la décence est la raison qu’il a de faire le Mal : une première viola­tion de la règle l’incite par un effet de contagion à violer la règle davantage. Cet interdit auquel nous obéissons — du moins passivement — n’oppose qu’un léger obstacle à une volonté de Mal mineur qu’est éventuellement la mise à nu d’un autre ou d’une autre : dès lors le Bien qu’est la décence est juste­ment (ce que l’auteur de L’Etre et le Néant juge absurde) la raison même que nous avons de faire le Mal. Cet exemple ne peut être donné pour une exception et même, à l’encontre, il me semble qu’en général, la question du Bien et du Mal se débat sur ce thème fondamental, pour reprendre un nom que Sade lui donna, celui de l’irrégularité. Sade a bien vu que l’irrégularité était la base de l’excitation sexuelle. La loi (la règle) est bonne, elle est le Bien lui-même (le Bien, le moyen par lequel l’être assure sa durée), mais une valeur, le Mal, découle de la possibilité d’enfreindre la règle. L’infraction effraie — comme la mort ; elle attire néanmoins, comme si l’être ne tenait à la durée que par faiblesse, comme si l’exu­bérance appelait au contraire un mépris de la mort exigé dès que la règle est rompue. Ces principes sont liés à la vie humaine, ils sont à la base du Mal, à la base de l’héroïsme ou de la sainteté. Mais la pensée de Sartre en est la méconnaissance [46]. Pour une autre raison, ces principes tombent devant la démesure de Genet. Ils supposent en effet une mesure (une hypocrisie) que Genet refuse. L’attrait de l’irrégularité maintient celui de la règle. Mais dans la mesure où Armand le séduisit, Genet se priva de l’un et de l’autre : l’intérêt seul resta. L’argumentation de Sartre retrouve un sens devant cette avidité de forfait. La volonté de Genet n’est plus la volonté furtive du premier venu (du premier « pécheur » venu) qu’une irrégularité minime apaise : elle exige une négation généralisée des interdits, une recherche du Mal poursuivie sans limitation, jusqu’au moment où, toutes barrières brisées, nous parvenons à l’entière déchéance. Genet est dès lors dans l’inextricable difficulté que Sartre a bien vue : tout motif d’agir lui manque. L’attrait du péché est le sens de sa frénésie, mais s’il nie la légitimité de l’interdit, si le péché lui fait défaut ? S’il fait défaut, « le Méchant trahit le Mal » et « le Mal trahit le Méchant », un désir de néant qui ne voulut pas recevoir de limite est était la vaine agitation. Ce qui est vil est glorifié, mais le parti pris du Mal est devenu vain : ce qui se voulut Mal n’est plus qu’une sorte de Bien, et puisque son attrait tenait à son pouvoir d’anéantir, ce n’est plus rien dans l’anéantissement achevé. La méchanceté voulait « transformer le plus d’être possible en Néant. Mais comme son acte est réalisation, il se trouve en même temps que le Néant se métamor­phose en Etre et que la souveraineté du méchant se tourne en esclavage ». En d’autres mots, le Mal est devenu un devoir, ce qu’est le Bien. Un affaiblisse­ment illimité commence ; il ira du crime désintéressé au calcul le plus bas, au cynisme ouvert de la trahi­son. Nul interdit ne lui donne plus le sentiment de l’interdit et, dans l’insensibilité des nerfs qui le gagne, il achève de sombrer. Rien ne lui resterait s’il ne mentait, si un artifice littéraire ne lui per­mettait de faire valoir à d’autres yeux ce dont il a reconnu le mensonge. Dans l’horreur de n’être plus dupe, il glisse à ce dernier recours, duper autrui, afin de pouvoir, s’il se peut, se duper lui-même un instant.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}