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Citation de HenryWar


Les êtres d’âme virile, doués d’une volonté clairvoyante et tenace qui se sait se choisir un but et faire tous ses efforts pour l’atteindre, – les individus, en un mot, – sont rares en France. Quand ils existent, leur situation n’est pas enviable. Je dirais même qu’ils fort à plaindre, si je ne savais qu’ils ont le mépris de la pitié et qu’ils refusent d’être plaints. La France a la haine de l’homme qui pense par lui-même, qui veut agir par lui-même, qui n’a pas ramassé ses idées dans la poubelle réglementaire et qui fait fi des statuts des coteries abjectes que patente la sottise envieuse. Cet homme est marqué au front, dès qu’il se montre, d’un signe à la vue duquel tout le monde s’écarte. C’est un pestiféré. Un pestiféré pour lequel il n’y aura pas même d’hôpital. Il faut qu’il disparaisse, et le plus vite possible. Quelquefois il a la vie dure ; quelquefois il parvient, en dépit de tout, à atteindre presque son but, à obliger la foule imbécile à le regarder ou à l’écouter ; mais il est trop tard. Les temps d’épreuves, les années de misère ont fait leur œuvre ; et, en même temps que le succès, voilà le corbillard qui arrive. Car il ne faut pas que l’individu puisse vivre ; il ne faut pas qu’il donne au monde ce qu’il était venu pour donner ; il ne faut pas qu’il trouble le sommeil ou la digestion de la tourbe ignoble qui règne ; et, bien moins, qu’il puisse décider la horde d’esclaves qu’elle asservit à écoutes ses paroles de révolte ; ou – plus dangereux encore – à contempler ses chefs-d’œuvre. Il faut qu’il crève. Il crève. Alors Mayeux, avec la bave de Jules Lemaître au coin des lèvres, prononce son oraison funèbre. En l’écoutant, le hideux Coppée ricane derrière le dos du petit épicier, tandis que Prudhomme pisse de l’œil – des larmes sincères souvent, et plus immonde, dix mille fois plus, que si c’étaient des pleurs de crocodile.
S’il n’est pire disette pour un État que celle des hommes, ainsi que l’écrivait Jean-Jacques Rousseau, la France est pauvre. Elle l’est. Mais elle est satisfaite de l’être. Sa jalousie basse, l’envie abjecte et sans borne qui la caractérise sont satisfaites aussi. L’envie démocratique ! disent les coquins du Tiers-État, toujours heureux de jeter sur les épaules du peuple le poids et la responsabilité de leurs vices. Non ! Envie bourgeoise, simplement bourgeoise, dont le virus a contaminé la foule mais qui n’en émane pas. Et c’est précisément pourquoi ce sentiment vil, qui s’attaque non moins aux hommes supérieurs qu’aux nations fortes, est si puissant en France ; car la France est, entre tous, le pays où l’esprit bourgeois – si l’on peut donner le nom d’esprit à une pareille saleté – exerce une autorité souveraine. Depuis un siècle, en dépit de toutes transformations superficielles, il n’a pas cessé de régner en maître ; il n’a pas cessé de niveler ; il n’a pas interrompu sa besogne d’assassin. Les noms de ses victimes, vous les connaissez ; elles n’étaient pas toutes révolutionnaires : l’une d’elles, qu’il tua, s’appelait Ernest Hello ; elles n’étaient pas toutes françaises : l’une d’elles, qui put lui échapper à temps, s’appelait Richard Wagner. Combien d’autres !... J’ai parlé de leur mort. Je ne pourrais point parler de leur vie. Cela, c’est indicible. Je ne sais pas dans quelle langue on pourrait exprimer tout l’horreur de l’existence que fait la France, de parti-pris, aux êtres doués d’un caractère. J’ignore comment on pourrait dire ce qu’ils endurent, ce qu’ils souffrent, toutes leurs angoisses et tous leurs désespoirs. Ce sont des parias… Et cependant ce sont des hommes.
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