Georges Flipo et ses lectures
Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?
Un très mauvais
livre dont vous êtes le héros, paru chez Folio, que dévoraient mes fils durant l’été 1993. J’ai voulu leur prouver que, dans le genre, on pouvait faire mieux. En quelques mois, j’ai écrit un très complexe livre interactif de 400.000 signes, et j’y ai pris un réel plaisir. Eux aussi, quand ils l’ont lu. C’est ensuite que j’ai pleuré : trouvant le sujet trop ringard, je ne l’ai proposé à aucun éditeur.
Le sujet ? C’était l’aventure d’un petit garçon pensionnaire dans un sinistre collège où une bonne partie des professeurs sont des sorciers. Cela cinq ans avant le premier Harry Potter. Restant sur une terrible frustration, j’ai fini par me mettre à l’écriture, en 2002.
Quel est l’auteur qui vous a donné envie d’arrêter d’écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
L’immense
Jorge Luis Borges. Quand je lis « La loterie de Babylone », « Guayaquil » ou « L’Aleph », je suis pétrifié : c’est exactement ce que je rêve d’écrire, mais je me sens tellement pataud. Alors, puisque la place est prise, j’écris autre chose. Ma seule nouvelle borgésienne n’est pas bonne.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
L’Odyssée , en version pour enfants. Je l’avais reçu par erreur, à 7 ans, à une distribution des prix (il était prévu pour les plus grands). Ce fut l’événement de mes vacances. À la rentrée, mon père, un peu optimiste, m’a proposé « la vraie Odyssée ». Je n’en ai pas compris le quart, mais que c’était beau !
J’ai publié sur Mot Compte Double un
long récit de cette fabuleuse rencontre.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Les œuvres complètes de
Rudyard Kipling. Et plus particulièrement
Histoires comme ca ,
Simples contes des collines , et Le Rickshaw fantôme et autres contes étranges.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
Ulysse , de
James Joyce. Je me demande toujours si ceux qui sont allés jusqu’au bout sont bien plus intelligents que moi, bien plus courageux, ou plus bluffeurs. Et pourtant, j’essaie souvent.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Oh la belle question ! À chaud, je citerais
La terre demeure , de
George R. Stewart (Laffont, 1980). Un formidable livre de science-fiction sur
le thème de la post-apocalypse . En S.F., il y a aussi
L’enchassement de
Ian Watson.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
A la recherche du temps perdu , d’un certain
Marcel Proust. Trois mille pages sur un sujet minuscule : un petit homme et son petit monde. J’ai du mal à admirer cette narration d’entomologiste fasciné par le moindre battement d’aile d’une termitière épuisée.
Avez vous une citation fétiche issue de la littérature ?
« La littérature c’est ce qui reste quand on retire l’histoire ». Je croyais avoir inventé cette idée, qui m’obnubile quand j’écris. J’ai récemment découvert qu’elle est de
jean Carrère.
Et en ce moment que lisez vous ?
Les
Inédits et Introuvables de
Arthur Conan Doyle. On l’ignore trop souvent, c’était un remarquable nouvelliste.
L’entretien de Georges Flipo avec les membres de Babelio
Vous allez poursuivre les aventures de Viviane Lancier, mais allez vous écrire un recueil de nouvelles ?
Un recueil, oui : car ces temps-ci, je ne cherche pas à écrire des nouvelles ponctuelles, comme je le faisais avant, pour les empiler dans le frigo, puis les ressortir un jour pour tenter d’en faire un recueil, trop disparate pour être publiable. Désormais, je travaille d’emblée sur un thème fédérateur.
Quels sont les romans d’auteurs sud américains que vous conseilleriez à un néophyte ?
Rien de très original :
Cent ans de Solitude (
Gabriel Garcia Marquez),
Tocaia grande (
Jorge Amado),
La Reine Isabel chantait des chansons d’amour ou
Mirage d’amour avec fanfare (
Hernán Rivera Letelier),
Contes d’amour, de folie et de mort (
Horacio Quiroga), les
nouvelles fantastiques de
Julio Cortázar,
Un nom de torero (
Luis Sepúlveda). Et bien sûr tous les contes de
Jorge Luis Borges, mais Borges est un écrivain « du monde » plus que d’Amérique du Sud.
J’aurais pu en citer d’autres pour chacun de ces auteurs. J’ai donné les titres qui me venaient à l’esprit : des nouvelles ET des romans, car, dans ce continent, on est moins ségrégationniste.
Est-ce que vous vous plaisez "dans la peau" de Viviane Lancier ?
Oh oui, j’ai des relations très intimes avec elle ! Ses réparties, ses déprimes, ses impulsions, me viennent très naturellement, au fil du clavier... car elles ne sont pas de moi : Viviane est inspirée d’une amie de la pub que j’apprécie beaucoup, jusque dans ses faiblesses. Elle ne s’est pourtant pas reconnue en lisant ce roman.
Vous êtes auteur et blogueur. Écrit-on un billet comme on écrit une nouvelle ?
Non, pas du tout, et c’est là le problème : l’écriture d’un billet de blog se fait d’une main relâchée et bavarde, l’espace compte peu, le rythme n’a pas d’importance. Or cette écriture « s’incruste », et devient vite une seconde nature dont il est très difficile de se débarrasser quand on écrit une nouvelle, où le rythme, le tranchant du vocabulaire sont essentiels. Ajoutez à cela que l’auteur se met très en avant dans un billet de blog (moi, en tout cas), et doit s’effacer dans la nouvelle.
La couverture de La commissaire n’aime point les vers reprend le motif de l’affiche de « Talons aiguilles » de Pedro Almodovar. C’est un hommage ?
Je vais vous décevoir : je n’ai pas fait le rapprochement avec Tacos Lontanos quand on m’a présenté la maquette de couverture. Ni avec une P.L.V. de parfum pour Chanel qui avait eu la même idée (avant, après ? Je ne sais pas ). On peut maintenant la considérer comme un clin d’oeil, un hommage, ou une image archétypale, je ne sais que dire.
JA-MAIS. J’aime lire la poésie, mais si je publie un jour un recueil de poèmes le premier qui me met cette interview sous les yeux a droit à un dîner chez Allard. Même chose pour l’autobiographie.
Quelles sont vos habitudes/procédés d’écriture ?
Variables. En général, je mentalise, je me répète l’histoire, sans rien écrire, pendant des mois si c’est un roman, ou pendant des semaines si c’est une nouvelle. Il y a des passages que je connais par cœur alors que je n’ai encore rien mis sur papier ou sur PC. J’écris assez vite un premier jet, où je surligne tout ce qui me paraît faible. Ensuite, je corrige très longtemps. Un roman, en moyenne, c’est quatre mois d’écriture intensive puis huit mois de corrections. En phase intensive, je me lève tôt pour écrire, vers 4 ou 5 heures du matin, surtout quand il s’agit de passages difficiles. Cela dit, je suis un paresseux, je ne me force jamais quand ça ne vient pas.
Vous avez un site et un blog sur lequel vous êtes très actif et échangez beaucoup avec nombre de vos lecteurs. D’aucuns pensent que c’est juste une opération de promo. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il est important pour vous d’être au contact de ceux qui vous lisent ?
Si je tenais ce blog à des fins promotionnelles, ce serait le plus mauvais investissement possible pour un auteur. J’ai compté le nombre de mes billets évoquant
mes livres : ils représentent moins de 25% du total. Vous pouvez le dire à « d’aucuns ». Et à d’aucunes.
Ce blog, c’est près de 300 billets depuis deux ans. Des centaines d’heures de travail, tout cela pour quoi ? Pour quelques dizaines de lecteurs, quelques centaines ? Rentabilité pathétique. Ces heures, je pourrais les utiliser à faire du « vrai travail », je pourrais, si j’aimais la promo, en investir le fruit dans l’achat de mes propres livres, les offrir en animation dans des librairies, ou à des dizaines de blogs influents, non ? Je pourrais surtout les consacrer à écrire un livre de plus.
En revanche, le site a, je ne le cache pas, une vocation un peu plus utilitaire : c’est une vitrine d’auteur, notamment pour les journalistes ou lecteurs qui veulent des informations.
Pourquoi je tiens ce blog ? Parce que j’aime l’univers des blogs littéraires. Et parce que ça m’amuse. C’est un jogging de l’écriture, qui m’aide à garder le tonus en période creuse. Il permet aussi à mes lecteurs de me connaître autrement que par mes livres (je ne sais d’ailleurs pas si c’est une bonne chose : dans le genre, une bonne interview comme celle d’aujourd’hui est plus fructueuse). Il permet enfin d’avoir des retours de lecture particulièrement intéressants, et même des échanges avec des blogueuses-lectrices. Ce sont des échanges « personnalisés », je discerne les personnalités des interlocuteurs – surtout des interlocutrices. Rencontrer dans un salon des personnes avec lesquelles j’ai correspondu, c’est un bonheur : on fait connaissance alors qu’on se connaît déjà très bien.
Le 2 avril 2010.
Merci à
keisha et
liliba pour leurs questions !