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Citation de enkidu_


Témoin de la Réformation, Kierkegaard est aussi un témoin de notre temps, et c'est sans doute ce qui explique l'audience qu'il conserve un siècle après sa mort. La farouche revendication chrétienne de Kierkegaard s'inscrit dans la perspective de la déchristianisation inexorable de l'Occident. Kierkegaard l'a pressentie en un temps où les chrétientés de toutes obédiences étaient encore fort loin d'imaginer la possibilité de la mort de Dieu. Pendant la période médiévale, la Révélation est la mesure du monde ; toutes les structures intellectuelles, politiques, artistiques, économiques et sociales s'ordonnent par rapport aux rythmes des liturgies chrétiennes. Mais peu à peu, les dimensions humaines échappent au contrôle de la foi, et s'organisent selon des normes indépendantes. Le XVIII e siècle voit triompher l'exigence rationnelle, et le XIX e siècle consacre, par delà la révolution française, l'avènement des masses. Philosophies de l'histoire, philosophies de la culture, philosophies sociales investissent de tous côtés la conscience humaine ; la réalité personnelle n'est plus un lieu de vérité. L'âme, dernier refuge de l'espérance chrétienne, se trouve forcée dans ses retranchements, réduite désormais à l'intellect rationnel ou aux indications de l'esprit objectif. Au bout de cette déchristianisation de l'âme, il ne reste plus rien à l'homme, parce qu'Il ne reste plus rien à Dieu.

Tel est le sens de la protestation de Kierkegaard contre Hegel, qui, en réalité, symbolise à ses yeux l'air du temps. Mais le pire est ici que l'Église elle-même s'est laissée séduire par les idées régnantes ; elle a adopté le style des philosophies de la culture et des philosophies sociales ; elle est en train de transformer sa foi en une philosophie de la religion. Elle se détourne de sa fonction, qui est de sauver les âmes ; elle se consacre de plus en plus à une pédagogie de masse, qui considère en gros le peuple chrétien. En s'établissant dans l'ordre social, l'Église oublie le christianisme pour se contenter d'une sociologie. Et le christianisme social n'est plus un christianisme chrétien. Le surnaturel, de plus en plus, se réduit au naturel, à l'humain trop humain.

Ainsi se justifie la nécessité de défendre la cause de l'individu. Kierkegaard souligne cette fonction du christianisme qui est d'affirmer la valeur infinie de la destinée humaine. Dans l'individu se réalise la conjonction du temps et de l'éternité. Et l'individu, de par son caractère sacré, demeure irréductible à tout traitement de masse. Seule la foi en l'incarnation de Dieu dans le Christ donne un fondement inébranlable à la réalité humaine. (pp. 112-113)
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