Plus tard, lorsque j'ai entrepris quelque analyse, j'ai caressé l'espoir secret que la surdité aurait résulté d'un traumatisme enfantin ; je le chercherais, je le trouverais, je le comprendrais, ô miracle de la conscience !, d'un coup j'entendrais comme tout le monde... Je n'ai pas découvert le traumatisme (sans compter que les analystes n'ont pas compris qu'avant l'oedipe, j'étais sourdingue).
Alors Auguste se réfugie de dépit dans la plaine, près des hauts saules. Il regarde et compte les pneus qui se balancent sur les eaux brunes de la Moselle à l'automne. Tout n'est que pneu. Il n'est qu'un pneu. De temps en temps une mouette s'y pose et se repose. Une carpe joue à le faire tourner. Il aimerait tant être fait exactement comme les autres. Et il a maintenant de surcroît le dépit de vouloir être comme les autres, de ne pas avoir le courage d'être ce qu'il est.
Les mots en phrases veulent que je comprenne ce qu'ils disent, mais il y a des blancs et aussi, sur des petits ou de gros bouts de mots, des crachouillis, du brouhaha, un plaf ! morne, un rauque insupportable, il y a ces absences, ce quelque chose qui doit être là mais que je ne saisis pas, un fantôme est entré dans la tête, il y rôde et je tourne en rond à sa poursuite.
Un malentendeur qui n'a pas les yeux grand ouverts, ça n'existe pas