Citations de Georges Poulet (19)
Vers le début du vingtième siècle, il y a, semble-t-il, dans la littérature, le sentiment de quelque chose qui commence, d’un départ à neuf. Ce qui frappe, ce n’est plus la continuation inhumaine et régulière du temps des horloges, comme dans le roman naturaliste ; ce n’est plus, comme chez Bergson, et si universellement admirée que soit encore à cette date la pensée de celui-ci, la mélodie de l’existence poursuivant ses variations ; et ce n’est plus enfin, comme chez Mallarmé et les symbolistes, l’idée d’un monde mental où le temps ne coulerait plus, où les essences ne dégénéreraient plus, où le jardin des choses s’épanouirait, à l’abri des événements historiques, dans l’éternité de l’esprit.
"Toute notre vie est livrée, soit au despotisme des impressions venues du dehors, soit à celui des souvenirs involontaires et passifs."
Coleridge
La critique thématique peut encore nous révéler ce qui se transmet d’une pensée à d’autres, ce qui se découvre en diverses pensées comme étant leur principe ou leur fond
C'est alors que dans le sentiment de toutes ces ressemblances thématiques entre des morceaux isolés d'une même existence, le héros prend enfin conscience de la loi qui les relie et les éclaire. Un e existence humaine n'est pas faite de la continuité apparente des jours vécus; mais elle se compose d'un certain nombre d'expériences subies à distance les unes des autres, séparées par de grands pans d'oubli, et qui pourtant se ressemblent entre elles et constituent par conséquent des thèmes réapparaissants. Distinguer cette ressemblance à distance, c'est dégager dans une vie ce qu'il y a d'essentiel, c'est atteindre son essence.
"La parole humaine n'est plus qu'un murmure circonférentiel, un immense O, esquissé par la bouche. Ce que la bouche énonce, c'est le moi et le monde, les êtres et les chose et l'univers qui les contient."
Paul Claudel
"Quel essaim de pensées et de sentiments, de fragments infinitésimaux et, si l'on peut dire, de représentations de toutes les pensées anciennes et de germes de toutes les pensées futures, emplissent un seul moment."
Coleridge
"Voir un monde dans un grain de sable
Et voir dans une fleur des champs, un ciel
Tenir l'infinité dans le creux de la main
Et l'éternité dans une heure de vie."
William Blake
Ainsi la pierre, en un sens, réussit à faire ce que ne peut faire l'intelligence ; elle propage à l'infini ses ondes, elle remplit de vide ; elle jouit dans son effet l'infiniment petit et l'infiniment grand.
"Le moindre mouvement importe à toute la nature ; la mer entière change pour une pierre."
Pascal
La bulle est, si l'on veut, un monde ; le monde est, si l'on veut, une bulle.
"Tantôt une bulle éclat, tantôt éclate un monde. "
Pope
Il y a une fameuse définition de Dieu qui, pendant des siècles, a joué un rôle considérable, non seulement dans la pensée des stéréotypes et des philosophes, mais encore dans l'imagination des poètes : "Deus est spherae cujus centrum ubique, circumferentia nusquam : Dieu est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part".
"Quand je vois chacun de nous, sans cesse occupé de l'opinion publique, étendre pour ainsi dire son existence tout autour de lui, sans en conserver presque rien dans son propre coeur, je crois voir un petit insecte, former de sa substance une grande toile par laquelle seule il paraît sensible, tandis qu'on le croirait mort dans son trou. La vanité de l'homme est la toile d'araignée qu'il tend sur tout ce qui l'environne ; l'une est aussi solide que l'autre ; le moindre fil qu'on touche met l'insecte en mouvement."
Rousseau
Tout est lié dans le monde, écrit Madame du Chatelet ; chaque être à un rapport à tous les êtres qui coexistent avec lui, et à tous ceux qui l'ont précédé et qui doivent le suivre... les impressions que les objets font sur nous continuent à quelque distance qu'ils puissent être placés, parce que dans la sphère tout mouvement doit produire des ondes à l'infini, comme cette pierre qu'on jette dans l'Océan... et ces ondes propagées et dilatées à l'infini doivent nécessairement venir jusqu'à nous... nous recevons des impressions de tous les mouvements qui arrivent dans l'univers.
Si bien que le monde étant composé d'une infinité de lieux et de moments, c'est une infinité de mondes tous infinis, que la conscience humaine appréhende partout et toujours.
L'éternité est donc le centre cognitif, où, dans l'unité de l'omniscience divine, toute la succession des temps coexiste.
L'éternité n'est pas simplement le pivot autour duquel le temps tourne ; elle est encore le point où, comme les rayons du cercle, les événements du passé et de l'avenir convergent et s'unissent dans la conscience de Dieu.
"L'éternité ressemble au centre du cercle ; bien que simple et indivisible, elle comprend tout le cours du temps, et chaque partie de celui-ci lui est également présente."
Thomas d'Aquin
En tant que circonférence infinie l'éternité est dans le cercle le plus vaste possible de durée, en tant que centre de cette circonférence, elle est le point fixe, le moment unique, qui est simultanément en rapport avec tous les points circonférentiels de cette durée.