Élégie à une vieille passerelle
A cet endroit.
A ton visage assombri.
A cette vieille passerelle.
A ta présence qui n'est plus
que dans des rêves qui blessent.
Et demain,
sans faute,
l'évidence de ce chagrin.
Hasnah Taha, née à Brunei en 1956.
Là où nous jetons l'ancre
Nous n'avons jamais su
comment nous nous sommes rencontrés ici
sur le pont de ce voilier,
entre la mer et la nuit.
La grand voile toujours déployée
courons, courons l'océan insondable,
arpentons l'immensité de ces mers.
Le navire tangue en fendant les flots
sous les rayons de la lune.
Le vent froid de la nuit pénètre jusqu'au coeur.
A mon côté tu tiens la drisse,
à ton côté je tiens le gouvernail,
et souvent le voilier s'arrête de lui-même.
Le vent tombe comme s'il avait compris
Et nous jetons l'ancre dans l'océan de la Nostalgie.
1982.
Noorhaimen, né à Brunei en 1951.
Babioles
Trois flûtes
du même bois,
sonnant clair
comme des clochettes,
je te remets.
Mon espérance
en l'amour
prolongement l'affection,
gappe de fruits serrés
contre la branche,
je te remets.
De ces fleurs
de champac*,
encens de la race,
un collier
je te remets :
reçois-les.
3 juillet 1962.
Yura Halim, né à Brunei en 1923.
*cempaka, terme désignant plusieurs espèces d'arbres à grandes fleurs odorantes, notamment Gardenia, Michelia ; champac.
PS : j'ai retranscrit ce qui est noté, même si "gappe" et "prolongement" semblent être des erreurs.
Nos limites
Les limites de cette mer :
voilà notre territoire.
Et les vents qui soufflent
sur elle continûment
sont la respiration de nos saisons.
D'île en île,
de plage en plage,
les enfants de nos côtes
vont et viennent
au gré de la mousson.
Chaque voyage
sur cette terre,
sous le soleil, sous le ciel,
délimité par cette mer
et par une île :
voilà notre territoire.
La mer et l'île,
et les vents,
et les moussons,
sont la respiration et le sang
qui nous affectent.
Adi Kelana, né à Brunei en 1951.
La guerre des pistolets
Brunei jadis.
Des nuages de fumée,
de salpêtre qui flottent ;
une pluie de flèches
et d'épieux qui s'abat
sur l'armada espagnole.
Dans le lit de la Brunei
Tombe la fleur de la race,
du sein de la mère-patrie
monte une rivière de sang,
une source chaude dégoutte
de mille fines lames.
Serait-elle
plus ardente encore,
cette terre,
plus fétide sa rivière de sang,
mille fines lames
ont fait une digue de leurs corps,
épée à la gauche,
kriss à la droite,
repoussant toutes les attaques,
de front comme de derrière.
Francisco de Sande,
épine dans la chair,
gui s'emparant de l'arbre.
Sri Lela et Sri Ratna
les traitres reçoivent leur châtiment
de l'épée du ministre Sakam.
A. S. Isma né à Brunei en1941.
Le grondement des vagues
L'écho d'une certaine vérité résonne
la nuit dans le craquement des feuilles
sous le vent qui les couche et les froisse,
et le grondement des vagues qui se déroulent sur l'estuaire
soulève les âmes des héros
clouées par le scintillement des étoiles.
Mars 1967.
M. I. Mas, né à Brunei en 1942.
Le riz que voici vient de Malaka
Avant que de griller ses grains éclatent
Le cœur que voici est bien misérable
Avant que de voir il aimait déjà
Padi ini padi Mallaka
Belum direntang beretih dahulu
Hati aku hati celaka
Belum dipandang kasih dahulu