Georgeta Horodinca

S'asseyant sous la couronne au parfum amer du grand noyer, il ouvrait devant lui, sur la table, "Le Guide de l'apiculteur", le seul et même livre qu'il avait fini par emporter sous son bras, et, la tête dans les mains, il en avait pour des heures.
Éleveur d'abeilles aussi persévérant que malchanceux, il lisait et relisait ce livre avec toujours plus d'attention, en suivant de l'index les mots qui devenaient de plus en plus obscurs, des mots couverts derrière lesquels s'installait le doute, alors que sa vue baissait, que l'encre des lettres s'effaçait lentement sous ses doigts fiévreux et que les phrases menaçaient de se désintégrer avant qu'il n'eût apprit le fin mot de l'histoire.
L'obscurité du soir qui venait s'ajouter à l'obscurité des mots, le ramenait, pensif, vers la maison, où la musique familière des couverts annonçait le dîner. S'emparant du broc en terre cuite, il commençait à verser l'eau au-dessus du bassin et à se laver les mains –longuement, attentivement, distraitement. Ma mère perdait patience :
–En voilà assez, tu n'as pas les mains si sales que ça !
(pages 9-10)