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3.89/5 (sur 18 notes)

Nationalité : France
Né(e) le : 24/02/1929
Mort(e) le : 8/10/2019
Biographie :

Georgette Elgey est une journaliste et une historienne française, spécialiste de l'Histoire de la Quatrième République.
Depuis l'enfance, Georgette Elgey a fréquenté les plus hauts responsables de la République. Pour sa première communion, elle reçoit deux missels : l'un du chef de l'État, Albert Lebrun, l'autre du maréchal Pétain, compagnon d'armes de son grand-père. Élevée par sa mère et par une grand-mère issue de la haute société « israélite », comme on disait alors, ses ancêtres sont maîtres des forges, ingénieurs des Mines, membres de l'Institut ou de l'Académie de médecine. Son père, Georges Lacour-Gayet, était historien. Elle ne l'a pas connu. Entre sa mère et lui ? ils n'étaient pas mariés ?, cela a été « une histoire d'amour et un drame » . Elle a adopté ses initiales : L. G., « Elgey », un pseudonyme devenu son nom. Jusqu'à l'âge de dix ans, une institutrice à domicile lui fait répéter ses leçons ; l'après-midi, elle se promène au bois de Boulogne avec la gouvernante anglaise. Ce monde « irréel » s'effondre avec l'Occupation. Elle en a fait le récit bouleversant dans La Fenêtre ouverte. Au lendemain de la guerre, gagner sa vie est une nécessité. La fortune familiale est épuisée. Elle aura duré un siècle. Georgette Elgey suit des cours de journalisme. En 1955, elle entre à L'Express . Elle participe à l'aventure de L'Express matin quotidien, soutien actif au gouvernement de Pierre Mendès France. Mais ce qu'elle aime par-dessus tout, c'est l'histoire. En 1954, elle a travaillé à une Histoire de Vichy avec Robert Aron. En 1962, ayant décidé de rompre avec le journalisme, elle suit sans hésiter une suggestion de son ami Roger Stéphane : tenter seule la suite de l'histoire de Vichy, autrement dit s'attaquer à la IVe République.
Elle a été conseiller technique à la présidence de la République de 1982 à 1995. Elle siège au Conseil économique et social (depuis septembre 1999) et préside le Conseil supérieur des archives (depuis décembre 2007).
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Histoire de la IVe République, de Georgette Elgey


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Mon interrogatoire se déroula donc, moitié en allemand, moitié en français. L'allemand criait ; il était si sûr de son fait que mes propos, au fond, devaient peu l'intéresser. Il me posa rapidement la question attendue : "Etes-vous juive ?" Ou plutôt il hurla : "Vous êtes juive." Je jurai que j'étais catholique, ce qui était vrai, que personne de ma famille n'était juif, ce qui était faux. L'allemand constata : "Vous dites que vous n'êtes pas juive, votre grand-mère dit qu'elle n'est pas juive, vos amis savent bien que vous êtes juifs, les... le savent bien." Et il me cita le nom du médecin juif dont ma mère contribuait au ravitaillement.
J'ai répondu : "Nous ne sommes pas juives." L'allemand m'a demandé : "Où votre mère a-t-elle eu ses laissez-passer ?" Je n'ai pas hésité un instant : " A la Kommandantur de la rue Galilée. " Je ne connaissais pas l'existence d'autre Kommandantur où l'on délivrait les Ausweiss, la capitale, en fait, en comptait plusieurs. Cette réponse m'est venue automatiquement. Faut-il y voir un effet du hasard, du calcul des probabilités ou une manifestation de la Providence, je ne puis en trancher, mais ma mère, à la même question, avait répondu comme moi, sans plus d'hésitation.
Or nous ignorions tout de l'origine de ces papiers et depuis que l'on nous avait arrêtées la crainte que ce soient des faux ne pouvait pas ne pas nous avoir envahies. Ma grand-mère n'avait pas eu à répondre à la question car cette maîtresse femme, d'une intelligence assez exceptionnelle et d'une grande vivacité d'esprit, avait décidé, dès l'instant où elle avait été séparée de nous, de tirer parti de son âge. Elle jouait les vieillards séniles, elle ne comprenait rien à ce qu'on lui demandait. Les allemands ont donc renoncé très vite à l'interroger. Ils ne lui ont pas affirmé comme à ma mère et à moi que certains de nos amis - et ils ont toujours cité un seul et même nom - savaient que nous étions juives.

P65 à 67 de l'édition Fayard.
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Et les semaines passaient. Je menais une curieuse existence. Une écolière sans histoire, une enfant privilégiée. A part le froid, je n'avais guère pâti matériellement de l'Occupation. La fortune de ma grand-mère, le courage de ma mère qui partait tous les matins à l'aube faire le ravitaillement, le recours au marché noir, les colis reçus de la campagne m'avaient assuré le nécessaire alors que nombre d'enfants et d'adultes souffraient cruellement de la faim. A certains moments, la vie semblait continuer comme si de rien n'était. Mon cousin germain s'était marié à Saint-Augustin, en grande cérémonie, le cortège se déplaçant dans une quinzaine de fiacres. Il y avait douze demoiselles d'honneur en broderie anglaise... Six étaient des jeunes filles (ce que je n'étais pas) et six n'avaient pas dix ans. J'étais donc exclue. Comme les deux familles possédaient des fermes, elles avaient mis un point d'honneur à ce que le lunch fût digne de l'avant-guerre. Ce fut un effroyable pugilat dans des salons bourgeois du huitième arrondissement, chez la mariée dont le père était avocat ; les invitées s'arrachaient les sandwiches au jambon. Un couple âgé, tous les deux très respectables, au nom plus que respecté, s'était planté devant le buffet, faisant barrage de leurs corps, et en interdisant presque l'accès à qui n'était de leurs amis. Certaines demoiselles d'honneur eurent leurs robes endommagées dans la bousculade.

P39-40.
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Echapper à la toute dernière minute à la catastrophe devenait une habitude ; cela me paraissait normal. La Providence voulait qu'il en fût ainsi. Je ne me rendais pas compte de l'énergie farouche de ma grand-mère et de ma mère, cela aussi me paraissait normal. Je ne me rendais pas compte non plus de la signification sociale de tout cela. Quand bien même j'en bénéficie et quand bien même je suis heureuse d'en bénéficier, l'inégalité devant la souffrance physique m'est pénible. Notre histoire durant ces quatre années de 1940 à 1944 témoigne d'un phénomène dont j'étais inconsciente alors mais qu'il me faut constater maintenant. La période la plus tourmentée ne signifie pas fatalement l'abolition des privilèges. Quel qu'eût été le milieu social de ma grand-mère et de ma mère, leur "bonté pathologique" - le terme n'est pas de moi - leur eût, sans nul doute, valu de précieux appuis. Mais issues d'une autre classe sociale, elles n'auraient peut-être pas disposé de relations puissantes, dont le dévouement pouvait s'accompagner d'une telle efficacité. Cela est vrai assurément... En même temps, le courage, la révolte contre l'horreur, le soulèvement contre le totalitarisme ont jailli dans toutes les couches de la société. Que d'amis à nous - bien peu étaient juifs - ont lutté et ont été déportés ! Tous ne sont pas revenus.

P196-197 de l'édition Fayard.
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J'évoque ma soeur. Sans doute n'avons-nous jamais été aussi proches qu'en cette période. ses amis et elle venaient assez souvent le dimanche à Saint-Martin-en-Haut. On y ignorait les privations matérielles. A Lyon, on avait faim. Ma soeur n'a pas appartenu à un réseau de Résistance. Ce n'était certes pas de la lâcheté chez elle : elle prenait tout autant de risques que ses amis, presque tous résistants ; elle les hébergeait dans sa chambre, recevait en dépôt leurs papiers compromettants. Ma mère aussi a dissimulé parfois sous son matelas des lots de fausses cartes d'identités. Je me disais : elle est folle ! L'attitude de ma soeur tenait à la certitude que terminer ses études de médecine était plus utile pour la collectivité. C'est tout au moins ce que j'ai retenu d'une conversation entendue par hasard entre elle et le fils de ma marraine, sorti de prison et venu au cours d'une mission de Résistance faire une courte halte à Saint-Martin-en-Haut. C'était en 1943 puisqu'il fut arrêté peu après. Je ne comprenais pas la position de ma soeur. Je rêvais d'aventures héroïques dont naturellement je serais l'héroïne et mes rêves se terminaient toujours par une rencontre avec de Gaulle. " Quand de Gaulle sera là, je n'aurai plus peur" : à vrai dire, au fond de moi-même, j'étais bien contente que mon âge - quatorze ou quinze ans - me donne un prétexte de ne pas participer à une action clandestine. Rien ne me prouve que, plus âgée, j'aurais eu le courage de prendre part à la Résistance. Rien ne me prouve non plus que je ne l'aurais pas eu. En tout cas, les amis et amies et ma soeur me fascinaient et me terrifiaient. Un jour, l'une d'elles, la fille d'un artisan de Voiron, déjeune avec nous dans un restaurant de Lyon. Ma mère l'invite à Saint-Martin-en-Haut. Elle refuse : il lui faut porter des indicatifs de parachutage. Ce doit être en 1944. Un officier allemand, à la table voisine, hausse les épaules. Il trouve visiblement ses propos ridicules : ils étaient conforme à la vérité. J'étais terrifiée.

P148 à 150 de l'édition Fayard.
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La tranquille assurance de l'automne 1940 était loin. Quand bien même on ne connaissait pas les camps d'extermination, les nouvelles mesures antisémites édictées par les Allemands laissaient prévoir le pire. Le port de l'étoile jaune imposé à partir de six ans, l'interdiction pour les juifs de se promener dans les principales artères de la capitale, d'entrer dans les cafés, les musées, les cinémas, l'interdiction même de pénétrer dans les magasins d'alimentation sinon entre quinze et seize heures, autrement dit au moment où il ne restait plus rien à vendre, quand les boutiques n'étaient pas purement et simplement fermées.

P36.
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[...] On savait les difficultés d'une vieille journaliste, dont la présence avenue de Tokio m'avait souvent exaspérée. Dans les années trente, elle avait connu son heure de notoriété. Dès la reparution des journaux au lendemain de l'entrée des Allemands à Paris on lui avait fait les offres les plus avantageuses. Sans hésiter, elle les refusa : écrire dans un journal censuré par l'Occupant lui paraissait monstrueux. Elle n'avait pas un sou. Elle ne sollicitait rien de personne. Je crois bien que pour subsister elle fit des ménages. Enfant, je n'aimais pas cette personne : j'avais le sentiment informulé qu'elle exploitait la générosité familiale. Maintenant je me demande si elle n'a pas fourni l'exemple d'un héroïsme obscur, le plus méritant et le plus rare.

P170 de l'édition Fayard.
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Alors, pourquoi et de quel droit ai-je qualifié cette femme admirable d’« exaspérante » ? Sans doute parce qu’elle a reporté sur moi sa folle passion pour mon père. Et que cet amour était étouffant, au point qu’il m’est arrivé de me demander s’il n’expliquait pas, en partie, la fuite de mon père…
Une des plus grandes souffrances de ma mère fut indéniablement de peser sur ma vie et d’être matériellement à ma charge. Elle ne l’aurait pas été si la maladie ne l’avait pas rendue incapable du moindre travail. Je suis sûre que, si cela n’avait pas été le cas, elle aurait fait n’importe quoi pour subvenir elle-même à ses besoins, et qu’elle y serait arrivée. Cela lui était physiquement impossible. Il était évident, à mes yeux, que je devais assumer sa charge. Je ne suis pas certaine que cela m’ait tellement étonnée. Ma grand-mère l’avait sans doute prévu ; en tout cas, elle m’avait confié ce devoir. En 1943, dans la lettre qu’elle m’adressa à l’occasion de mon quatorzième anniversaire, voici, en effet, ce qu’elle m’écrivait : « Je suis tranquille maintenant, car je sais que tu sauras toujours garder ton rang [ce qui, dans son esprit, signifie que je serai toujours fidèle aux vertus qui m’ont été inculquées] et que, lorsque je ne serai plus là, tu sauras entourer dans ses vieux jours ta mère comme elle le mérite.»
Que ces temps semblent lointains, où, en pleine guerre, sachant sa vie et celle de sa famille en danger, une aïeule se préoccupait d’indiquer à une adolescente ce que seraient, dans vingt ou trente ans, ses obligations familiales !
En raison de problèmes matériels que ma grand-mère n’avait pas imaginés, ce ne fut pas facile. En 1955, j’appris par sa banque que ma mère n’avait plus un sou. Je me souviens de la gentillesse et de la tristesse du banquier qui m’en avertit. Dès que j’ai commencé à toucher un salaire – ce fut heureusement en cette même année –, celui-ci servit à régler le loyer de l’appartement, où nous vivions ma mère, sa sœur aînée, Tante Hélène, et moi-même. Ma sœur, qui était médecin, décida de payer le salaire d’une employée de maison, dont, à juste titre, la présence lui semblait indispensable. Mais elle ne pouvait faire plus : elle avait deux enfants.
Si ma mère ne me parlait jamais de mes propres difficultés qu’elle devinait, elle ne cessait de s’inquiéter pour moi, de me demander si elle pouvait m’aider en quoi que ce soit et de me prédire une réussite en toutes choses. Cette sollicitude constante et cette confiance aveugle, qui me paraissait absurde, m’insupportaient. Je me reproche aujourd’hui de l’avoir parfois rabrouée brutalement, de n’avoir pas compris que ses défauts, qui n’en étaient pas, n’avaient guère d’importance au regard de ses qualités exceptionnelles. Je me console en pensant que ma mère ne m’en a pas voulu de mes mouvements d’humeur à son encontre, car, une fois pour toutes, elle avait décidé que tout ce que je faisais était bien. Cet irréalisme m’agaçait, certes, au-delà de toute mesure. Et c’est pour cela que j’ai tendance à voir en elle non seulement une sainte, mais une sainte exaspérante…
Tout récemment, au travers des lettres qu’elle écrivait avant ma naissance, j’ai découvert une troisième face de son personnage, qui m’a heurtée : une femme en proie à une passion et à un désespoir tels qu’ils la conduisent à oublier ce qui est sa règle de vie : faire le moins de mal possible aux autres. Elle inflige ainsi à ses enfants des traumatismes qui n’ont rien de bénin.
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" Espérer en Dieu est un devoir, un besoin, un instinct ; mais compter absolument sur l'heureuse issue de tous les événements et de toutes les complications, sans qu'on s'en mêle autrement que par des voeux et par des aspirations mélancoliques, c'est tout simplement l'abdication de nos facultés, de notre mission d'hommes, c'est de la légèreté et de l'inertie. "

(Docteur Michel Lévy, Constantinople, le 5 février 1855.)

épigraphe du livre.
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De ce premier hiver de l'Occupation, je n'ai pas gardé de souvenir de peur. J'étais étonnée qu'il fasse nuit le matin à huit heures lorsque je partais pour aller en classe - l'heure allemande appliquée à la France -, je ne comprenais pas pourquoi des livres scolaires étaient vendus amputés de certains textes, des pages étant collées de façon à interdire la lecture. Je ne comprenais pas pourquoi la Lorelei figurait dans mon recueil d'allemand comme d'un "unbekannt Dichter" (poète inconnu). Je connaissais son auteur, Heinrich Heine. Le professeur nous expliquait qu'il était juif. Je ne crois pas que je comprenais la signification de tout cela.

P21-22 de l'édition Fayard.
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Le Français ne se sent vraiment citoyen que lorsqu'il est "contre" (..) Notre histoire a été faite de frondes et de troubles, avant de connaître les journées et les révolutions. Ses grands moments sont des crises. Et il faut un péril extérieur pour que les Français s'unissent, éprouvent un temps le besoin de se rassembler autour d'un drapeau, d'une idée ou d'un homme. Lorsque les jours coulent sans drame, l'individualisme reprend ses droits.

Ce texte de Georgette Elgey date de 1968. Eh oui !
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