Citations de Georgij Nikolaevic Vladimov (24)
Ce n'était pas la première fois que Rouslan remarquait que ces bipèdes-là faisaient ce qu'ils n'aimaient pas sans y être forcés à coups de bâton, ce qui est inconcevable pour un animal.
Abasourdi, écrasé par ces infortunes, Rouslan restait allongé de tout son long en travers du trottoir, les yeux fermés. Les passants le croyaient en train de crever. En pareil cas, l'humanité se divise en deux catégories : les uns vous contournent avec une compassion craintive ; les autres, qui ont le cœur mieux accroché, vous enjambent purement et simplement.
Un homme qui veut que tout le monde vive comme lui n'est pas un homme intelligent. Et un peuple qui fait la même chose n'est pas un peuple intelligent.
Le maître ne l'aimait plus ; une telle découverte ébranle toujours un chien, elle l'emplit de tristesse, lui ôte le goût de vivre.
C'est toujours pour la même raison que les gens se font arrêter. Pour leur bêtise. Si t'avais été intelligent, t'aurais bien trouvé le moyen d'y couper. Maintenant, si t'es un imbécile, reste à bonne distance et n'embête pas les autres.
Pas une fois Rouslan n'était tombé sur sa trace, à aucun moment il n'avait flairé cette odeur virile qu'il aimait tant, une odeur de graisse de fusil, de tabac, de jeunesse robuste et bien lavée. Tous les maîtres sentaient comme ça, d'ailleurs. En outre, celui de Rouslan se parfumait volontiers avec une eau de Cologne qu'il achetait à la coopérative des officiers, mais le bouquet que formaient toutes ces odeurs lui appartenait en propre comme son caractère - et Rouslan savait que, comme les chiens, les hommes se distinguent par leur caractère, justement. C'était pour ça qu'ils avaient tous une odeur différente ; il suffisait de les flairer et le mystère était éclairci. Son maître, par exemple, à en juger par ce bouquet, n'était peut-être pas des plus courageux, mais il ignorait la pitié. Il n'était peut-être pas des plus intelligents, mais il ne faisait confiance à personne. Il n'était peut-être pas tellement aimé de ses amis, mais il aurait abattu n'importe lequel d'entre eux, pour peu que le Service l'eût exigé.
Cette fois, (…), il était vaincu ; mais, pour défendre leur vie, les bêtes sauvages se battent jusqu'au bout, elles ne lèchent pas les bottes des meurtriers.
(…) l'argent n'est pas un remède à tout. Moi, à ta place, je me hâterais de ma saouler la gueule. Ca soulage drôlement.
Les aimer [les hommes], voilà l'essentiel, personne en ce monde ne vit sans amour : ni ces fameux loups, ni le requin dans la mer, ni le serpent dans ses marais. Il était empoisonné, à jamais, par son amour, par son adhésion au monde des hommes, cette drogue - la plus douce d'entre toutes - qui, plus que l'alcool à l'alcoolique, lui était nécessaire tout en le détruisant.
(…) des hommes. Pour eux, il fallait toujours trembler, mais n'avoir aucune pitié ni même - c'était préférable - aucune haine, seulement une saine méfiance.
Et notre monde d'abondance est si pauvre que toute créature vivante y attache le plus grand prix à la nourriture, lutte pour elle et, encore aveugle, cherche les mamelles de sa mère.
Mm-ouais (...), c'est le travail le plus dégueulasse qu'on t'a confié là, le Vologdien : fusiller les chiens. Eh ben, c'est du joli ! Voilà l'indemnité de départ qu'on leur verse en récompense de leurs loyaux services : neuf grammes de plomb.
Mais Rouslan ne savait pas - et nous, êtres instruits, nous ne savons pas toujours non plus - que ce qui nous préserve le mieux de la ruine, c'est notre activité propre, ce pour quoi nous avons été formés, ce que nous avons appris.
"Si l'homme pouvait deviner le contenu des prières des chiens, il découvrirait la même plainte sempiternelle : la plainte d'un être souffrant de ne pouvoir ni pénétrer l'âme mystérieuse du bipède ni de discerner ses desseins immortels. Oui, l'animal comprend que l'homme est grand, et que sa grandeur va aussi loin dans le sens du bien que dans celui du mal ; mais il ne peut atteindre tous les sommets, tous les paliers avec lui, il doit fatalement s'arrêter quelque part en cours de route et se révolter." (p. 160)
"Jamais, répondait-il, jamais un chien ne peut mordre un homme qui l'aime à la folie. Croyez-moi, je suis un vieux dresseur de chiens, un enfant de la balle en matière de cynologie, permettez-moi de vous dire, eh bien, il n'y a que l'homme qui soit capable d'une telle perversion." (propos de l'instructeur p.127)
Pour défendre leur vie, les bêtes sauvages se battent jusqu'au bout, elles ne lèchent pas les bottes des meurtriers. (p.260)
Il avait envie de retrouver la joie première de la bête: cette liberté qu'elle n'oublie jamais et dont elle ne peut jamais accepter la perte. (pp. 267-268)
Cette étrange habitude qu'on les foules d'adorer le bouffon et de haïr secrètement le héros. (p.238)
Rouslan tenait Trésor pour son semblable, et la nature lui interdisait de pratiquer la chasse sur ses semblables - ce genre d'occupation favorite de ces bipèdes si fiers d'avoir dominé la nature. (p.195)
Mais Rouslan ne savait pas - et nous, êtres instruits, nous ne savons pas toujours non plus - que ce qui nous préserve le mieux de la ruine, c'est notre activité propre, ce pour quoi nous avons été formés, ce que nous avons appris. (p.181)