Citations de Gérard de Nerval (507)
Le vin est le plus traitre des compagnons ; il vous prend dans un palais et vous laisse dans un ruisseau.
"Quelle folie, me disais-je, d'aimer ainsi d'un amour platonique une femme qui ne vous aime plus. Ceci est la faute de mes lectures; j'ai pris au sérieux les inventions des poètes, et je me suis fait une Laure ou une Béatrix d'une personne ordinaire de notre siècle... Passons à d'autres intrigues, et celle-là sera vite oubliée."
(Aurélia)
La bohème galante (extrait)
La grande salle est un peu tumultueuse chez Baratte, mais il y a des salles particulières et des cabinets. Il ne faut pas se dissimuler que c'est là le restaurant des aristos. L'usage est de demander des huîtres d'Ostende avec un petit ragoût d'échalotes découpées dans du vinaigre et poivrées dont on arrose légèrement les dites huîtres. Ensuite c'est la soupe à l'oignon, qui s'exécute admirablement à la halle et dans laquelle les raffinés sèment du parmesan râpé. Ajoutez à cela un perdreau ou quelque poisson qu'on obtient naturellement de première main, un dessert de fruit premier choix, et vous conviendrez qu'on soupe fort bien à la halle. C'est une affaire de sept francs par personne environ.
J’attribuais un sens mystique aux conversations des gardiens et à celles de mes compagnons. Il me semblait qu’ils étaient les représentants de toutes les races de la terre et qu’il s’agissait entre nous de fixer à nouveau la marche des astres et de donner un développement plus grand au système. Une erreur s’était glissée, selon moi, dans la combinaison générale des nombres, et de là venaient tous les maux de l’humanité. Je croyais encore que les esprits célestes avaient pris des formes humaines et assistaient à ce congrès général, tout en paraissant occupés de soins vulgaires. Mon rôle me semblait être de rétablir l’harmonie universelle par l’art cabalistique et de chercher une solution en évoquant les forces occultes des diverses religions.
Je me sentais vivre en elle, et elle vivait pour moi seul. Son sourire me remplissait d'une béatitude infinie ; la vibration de sa voix si douce et cependant fortement timbrée me faisait tressaillir de joie et d'amour. Elle avait pour moi toutes les perfections, elle répondait à tous mes enthousiasmes, à tous mes caprices, - belle comme le jour aux feux de la rampe qui l'éclairait d'en bas, pâle comme la nuit, quand la rampe baissée la laissait éclairée d'en haut sous les rayons du lustre et la montrait plus naturelle, brillant dans l'ombre de sa seule beauté, comme les Heures divines qui se découpent, avec une étoile au front, sur les fonds bruns des fresques d'Herculanum !
Sylvie, " les Filles du Feu".
Dans les rêves, on ne voit jamais le soleil, bien qu'on ait souvent la perception d'une clarté beaucoup plus vive.
Le relais
En voyage, on s'arrête, on descend de voiture;
Puis entre deux maisons on passe à l'aventure,
Des chevaux, de la route, et des fouets étourdi,
L'oeil fatigué de voir et le corps engourdi.
Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
Une vallée humide et de lilas couverte,
Un ruisseau qui murmure entre les peupliers -,
Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !
On se couche dans l'herbe et l'on s'écoute vivre,
De l'odeur du foin vert à loisir on s'enivre,
Et sans penser à rien on regarde les cieux...
Hélas une voix crie:"En voiture, Messieurs!"
(Odelettes")
Lorsque l’âme flotte incertaine entre la vie et le rêve, entre le désordre de l’esprit et le retour de la froide réflexion, c’est dans la pensée religieuse que l’on doit chercher des secours ; — je n’en ai jamais pu trouver dans cette philosophie qui ne nous présente que des maximes d’égoïsme ou tout au plus de réciprocité, une expérience vaine, des doutes amers ; — elle lutte contre les douleurs morales en anéantissant la sensibilité ; pareille à la chirurgie, elle ne sait que retrancher l’organe qui fait souffrir.
LE RELAIS
En voyage, on s’arrête, on descend de voiture ;
Puis entre deux maisons on passe à l’aventure,
Des chevaux, de la route et des fouets étourdi,
L’oeil fatigué de voir et le corps engourdi.
Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
Une vallée humide et de lilas couverte,
Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, -
Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !
On se couche dans l’herbe et l’on s’écoute vivre,
De l’odeur du foin vert à loisir on s’enivre,
Et sans penser à rien on regarde les cieux…
Hélas ! une voix crie : “En voiture, messieurs !”
CHANSON GOTHIQUE
Belle épousée,
J’aime tes pleurs !
C’est la rosée
Qui sied aux fleurs.
Les belles choses
N’ont qu’un printemps,
Semons de roses
Les pas du Temps !
Sois brune ou blonde,
Faut-il choisir ?
Le Dieu du monde,
C’est le Plaisir.
Mélodie
Quand le plaisir brille en tes yeux
Pleins de douceur et d’espérance,
Quand le charme de l’existence
Embellit tes traits gracieux, -
Bien souvent alors je soupire
En songeant que l’amer chagrin,
Aujourd’hui loin de toi, peut t’atteindre demain,
Et de ta bouche aimable effacer le sourire ;
Car le Temps, tu le sais, entraîne sur ses pas
Les illusions dissipées,
Et les yeux refroidis, et les amis ingrats,
Et les espérances trompées !
Mais crois-moi, mon amour ! tous ces charmes naissants
Que je contemple avec ivresse,
S’ils s’évanouissaient sous mes bras caressants,
Tu conserverais ma tendresse !
Si tes attraits étaient flétris,
Si tu perdais ton doux sourire,
La grâce de tes traits chéris
Et tout ce qu’en toi l’on admire,
Va, mon coeur n’est pas incertain :
De sa sincérité tu pourrais tout attendre.
Et mon amour, vainqueur du Temps et du Destin,
S’enlacerait à toi, plus ardent et plus tendre !
Oui, si tous tes attraits te quittaient aujourd’hui,
J’en gémirais pour toi ; mais en ce coeur fidèle
Je trouverais peut-être une douceur nouvelle,
Et, lorsque loin de toi les amants auraient fui,
Chassant la jalousie en tourments si féconde,
Une plus vive ardeur me viendrait animer.
« Elle est donc à moi seul, dirais-je, puisqu’au monde
Il ne reste que moi qui puisse encor l’aimer ! »
Mais qu’osé-je prévoir ? tandis que la jeunesse
T’entoure d’un éclat, hélas ! bien passager,
Tu ne peux te fier à toute la tendresse
D’un coeur en qui le temps ne pourra rien changer.
Tu le connaîtras mieux : s’accroissant d’âge en âge,
L’amour constant ressemble à la fleur du soleil,
Qui rend à son déclin, le soir, le même hommage
Dont elle a, le matin, salué son réveil !
Je suis depuis quatre mois presque continuellement en voyage. J'écris une description du Valois. De temps en temps je reviens à Paris et je renais à la vie intellectuelle. Mais il est bien meilleur dans le temps où nous vivons de vivre avec les paysans qu'avec les bourgeois de nos villes.
Lettre de Nerval à Liszt (1853)
Il ne nous restait pour asile que cette tour d'ivoire des poètes, où nous montions toujours plus haut pour nous isoler de la foule. A ces points élevés où nous guidaient nos maîtres, nous respirions enfin l'air pur des solitudes, nous buvions l'oubli dans la coupe d'or des légendes, nous étions ivres de poésie et d'amour.
Mon ami m'avait quitté, voyant ses efforts inutiles, et me croyant sans doute en proie à quelque idée fixe que la marche calmerait. Me trouvant seul, je me levai avec effort et me remis en route dans la direction de l'étoile sur laquelle je ne cessais de fixer les yeux. Je chantais en marchant un hymne mystérieux dont je croyais me souvenir comme l'ayant entendu dans quelque autre existence, et qui me remplissait d'une joie ineffable. En même temps, je quittais mes habits terrestres et je les dispersais autour de moi. La route semblait s'élever toujours et l'étoile s'agrandir. Puis je restai les bras étendus, attendant le moment où l'âme allait se séparer du corps, attirée magnétiquement dans le rayon de l'étoile. Alors, je sentis un frisson ; le regret de la terre et de ceux que j'y aimais me saisit au coeur, et je suppliai si ardemment en moi-même l'Esprit qui m'attirait à lui, qu'il me sembla que je redescendais parmi les hommes.
« Le rêve est une seconde vie » ...
Ce qu'on appelle le pressentiment ressemble fort au poisson précurseur qui avertit les cétacés immenses et presque aveugles que là pointille une roche tranchante, ou qu'ici est un fond de sable. Nous marchons dans la vie si machinalement que certains caractères, dont l'habitude est insouciante, iraient se heurter ou se briser sans avoir pu se souvenir de Dieu, s'il ne paraissait un peu de limon à la surface de leur bonheur. Les uns s'assombrissent au vol du corbeau, les autres sans motifs, d'autres, en s'éveillant, restent soucieux sur leur séant, parce qu'ils ont fait un rêve sinistre. Tout cela est pressentiment.
Une allée du Luxembourg, 1832
Elle a passé, la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau :
À la main une fleur qui brille,
À la bouche un refrain nouveau.
C’est peut-être la seule au monde
Dont le cœur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D’un seul regard l’éclaircirait !
Mais non, - ma jeunesse est finie…
Adieu, doux rayon qui m’a lui, -
Parfum, jeune fille, harmonie…
Le bonheur passait, - il a fui !
2054 - [Le Livre de poche n° 1226, Odelettes, p. 263]
L’Enfance
Qu’ils étaient doux ces jours de mon enfance
Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin,
Je coulai ma douce existence,
Sans songer au lendemain.
Que me servait que tant de connaissances
À mon esprit vinssent donner l’essor,
On n’a pas besoin des sciences,
Lorsque l’on vit dans l’âge d’or !
Mon cœur encor tendre et novice,
Ne connaissait pas la noirceur,
De la vie en cueillant les fleurs,
Je n’en sentais pas les épines,
Et mes caresses enfantines
Étaient pures et sans aigreurs.
Croyais-je, exempt de toute peine
Que, dans notre vaste univers,
Tous les maux sortis des enfers,
Avaient établi leur domaine ?
Nous sommes loin de l’heureux temps
Règne de Saturne et de Rhée,
Où les vertus, les fléaux des méchants,
Sur la terre étaient adorées,
Car dans ces heureuses contrées
Les hommes étaient des enfants.
1822
"[...] il y a des hommes qui jouent si bien la comédie de l'amour ! Je n'ai jamais pu m'y faire, quoique sachant que certaines acceptent sciemment d'être trompées. D'ailleurs un amour qui remonte à l'enfance est quelque chose de sacré..."
Déjà les beaux jours, – la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; –
Et rien de vert : – à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
– Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.
Gérard de Nerval, Avril