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Citation de Tandarica


« Bonne année à tous, je sors d'une Saint-Sylvestre un peu spéciale avec eux » :

Chaque semaine, la sœur de Darvari passait également chez Cartea Românescã pour voir le libraire Mircea (elle avait entendu qu'il s'appelait ainsi, et tout le monde disait qu'il était aussi prosateur) un homme joyeux, énergique, d'une masculinité fascinante, qui aimait le jeu de dames et les conversations avec des types intelligents. De Mircea elle était purement et simplement amoureuse, elle aimait ses longs cheveux châtains, ses pupilles expressives, sa négligence vestimentaire affichée, sa façon de s'emparer d'un bic pour noter quelque chose sur une feuille de papier qu'il avait par hasard à portée de main sur le comptoir plein de livres, la manière dont, quelle que soit la personne devant lui, il tendait le paquet de volumes achetés et recevait l'argent comme s'il s'agissait de la chose la moins importante au monde, souriant de toute sa bouche. Mon Dieu, quelles lèvres avait cet homme ! Et ses yeux sont si noirs, qu'il pourrait vous hypnotiser ! disait Visanta d'un air songeur. À tous les coups, lui aussi était grec. J'ai entendu dire qu'il serait de Fundulea et que son père aurait travaillé pendant sa jeunesse sur les propriétés de Caragiale. Matei, et non le vieux, celui avec le débit de tabac.
Puis Visanta évoquait d'autres noms encore. Très à la mode étaient deux Arméniens, Tache Grosapian et Horia Sangian, écrivains de grand talent, qui dormaient dans les salles d'attente et circulaient avec les trains de nuit, très en colère, et le plus grand peintre était Horia Bernea que quelqu'un lui avait montré un jour dans la rue. Quelle homme ! Il passait toutes ses journées perché sur des collines et travaillait d'arrache-pied, quel grand homme ! On dit qu'un autre, fort jeune, Mazilescu, venait de mourir, il s'agissait de celui qui se nourrissait de vodka à la maison des écrivains et qui toutes les deux minutes envoyait Ceaușescu se faire foutre, tandis que Florin Iaru, le pauvre, habitait dans un entrepôt de livres et écrivait des poésies sur des fous. Oui, et à Pãltiniș vivait un philosophe qui était surveillé jour et nuit par des membres de la Securitate et qui se cachait sous les sapins et jurait par tous les dieux, car le froid avait raison d'eux et faisait voler en éclats les cambrions de leurs bottes. Elle avait également entendu parler d'un certain Radu Petrescu ou bien Matei Iliescu, elle ne s'en souvenait plus très bien, mais dans tous les cas il s'agissait d'un grand ponte, qui sortait rarement de chez lui et qui avait une épouse artiste-peintre avec de la famille ni plus ni moins qu'à Éphèse, ce qui posait franchement problème au moment où la censure avait redoublé de vigilance, et où, pour un peu plus de liberté, il fallait se tourner vers les éditions militaires. Sultanica Gâdea, la ministre, une vache avec des bottes, paraît-il, ne tire pas la chasse d'eau quand elle va aux toilettes, et puis il y a ce nid de comploteurs, mené par un déjanté, Mehașes (en voilà un nom !) qui construit sa maison tout seul et qui joue du clavecin quand il a du temps libre, à Pietroșița où se rendent des types de Târgoviște pour boire de la tsuica et critiquer la situation du pays quand ils ne veulent pas se suicider dans le jardin botanique de Bucarest, en signe de protestation et qui adressent des lettres à Radio Free Europe, comme cette histoire dont vous avez certainement entendu parler, celle de Dan Deșliu, qui, eh bien, s'est fâché une fois dans un restaurant d'où il a emporté une assiette, car disait-il, c'est là qu'était le micro, alors que tout l'espoir vient de Ștefan Andrei, mais la crétine de Leana ne blairait pas sa femme comédienne et belle par-dessus le marché ! Ah, y en a un autre, Țopa, qui essaye toujours de devenir écrivain sans y parvenir, très dangereux, qui était un soir avec un certain Crãciun, sculpteur celui-là et avec un Țuțu Russu, qui écrivait des poésies, tous les trois ivres morts, dans la rue, et v'la que Țopa se met à hurler Je ne veux pas me suicider. Ils n'ont qu'à me fusiller ! jusqu'à effrayer la police elle-même qui a fini par les embarquer.
(p. 312-313)
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