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Citation de Sayfullah


[…] la société tend à l’égalitarisme absolu en ce qui concerne le bien-être psychique et matériel, puisque l’inégalité est ressentie comme une menace. Cet égalitarisme se retrouve aussi dans l’acharnement à effacer toute différence qualitative entre les individus lors de leur éducation. Tout se passe comme si, à la naissance, tous possédaient grosso modo les mêmes chances ; les différences étant surtout induites par la classe sociale à laquelle l’individu appartient, voire par une attitude prétendument sexiste lorsqu’on considère le parcours scolaire d’un garçon ou d’une fille. De là l’idée de maintenir jusqu’à un âge le plus élevé possible une forme d’enseignement intégralement mixte — on veut ignorer que les civilisations antiques ont toujours adopté la mixité dans l’éducation à l'époque de leur décadence [1] — et en tronc commun où tous se retrouvent pour suivre le même enseignement. La selection qualitative (des mieux doués aux moins doués) étant taxée d’égoïsme anti-social, toute forme de sélection — ou plutôt d’orientation — ne concernera quasi plus que les centres d’intérêt. Et l’idée du tronc commun se perpétuera dans tous les cours qui se situeront en dehors du centre d’intérêt ou de l’option choisie. Les réformes successives de l’enseignement sont autant d’étapes vers la démocratie et l’égalitarisme pur à l’école.

[…] On nous parle aujourd’hui d’intégrer des enfants trisomiques dans des classes conçues pour des enfants capables de suivre une scolarité normale. Cette idée toute récente aurait encore été impensable il y a quelques années. Elle trahit à nouveau la tendance fondamentale à gommer toute différence, et la trajectoire suivie semble ne plus connaître de limites. C’est aussi une révolte contre la simple nature des choses, qu’on ne peut et ne veut finalement plus comprendre. Nous ne ressentons, cela va de soi, aucune forme de rejet vis-à-vis des êtres frappés par le malheur que constitue la trisomie, mais la charité n’implique jamais qu’il faille faire violence à la nature des choses, et impose de traiter chacun selon sa mesure en lui donnant ce qui lui revient — cuique suum. En agissant différement, les maigres avantages ou résultats de surface sont forts loins de compenser les profonds et graves inconvénients : cela devrait être évident.

[…] Actuellement, dans la première année qui suit l’école primaire — cycle au cours duquel le redoublement est interdit — on retrouve dans une même classe des élèves très diversement doués. Devant une telle hétérogénéité, le professeur va être confronté à des problèmes quasi insolubles. Comme il ne peut pas faire échouer plus de la moitié d’une classe, il va niveler son enseignement, et par le bas comme il se doit. On en arrive à un modus vivendi où les meilleurs perdent leur temps et leur goûts d’apprendre, et où les plus faibles se découragent, car ce qui est trop facile pour les uns est encore trop difficile pour les autres. C’est ce qui explique, entre autres, que les échecs en fin de deuxième année n’ont pas diminué pour autant. Il n’est pas rare d’ailleurs de voir se développer chez les meilleurs une sorte de complexe du fait de se sentir mieux doués. Cela va même jusqu’à la production de travaux insuffisants pour éviter le rejet social. À cela s’ajoute la force d’inertie proportionnelle au nombre d’éléments peu intéressés, peu doués et/ou peu vertueux. On sous-estime quasi systématiquement l’influence d’un ou de plusieurs individus au sein d’un groupe-classe, surtout quand cette influence est négative. Or on est parfois stupéfait de constater à quel point un ou deux éléments peu qualitatifs peuvent défigurer une classe, voir en détruire complètement l’harmonie. L’obsession de l’égalitarisme, combinée avec une conception rousseauiste et une fausse charité, contribuent à masquer les désastres. C’est que dans l’enseignement on ne se préoccupe plus guère de vertu. On trouve tout à fait normal de conserver dans une classe des éléments rétifs, grossiers, voire vicieux. La tendance actuelle est de ne guère se soucier du fait que certains souffrent et pâtissent de tares morales d’autres condisciples. On accordera d’ailleurs beaucoup plus de temps et d’intérêt à ces derniers qu’aux autres. Cette fausse conception de la charité n’a pas d’autre source que le besoin viscéral l’égalitarisme et de tolérance à tout prix.
On comprend donc mieux que le fameux droit à la différence (raciale, religieuse, philosophique, mais aussi celle qui concerne les déviations et les extravagances de toutes sortes) jamais tant clamé que dans notre société moderne ne s’oppose qu’apparemment à la doctrine de l’égalitarisme, puisque ce droit est indissolublement lié au concept moderne de la tolérance.

On parle actuellement d’une « pédagogie de la réussite », hypocritement opposée à l’ancienne pédagogie, dite « de l’échec et de la sélection » ; comme s’il était possible de faire réussir tout le monde dans un enseignement qui reste de qualité […]. La tendance à s’imaginer que le bagage intellectuel de l’humanité puisse être indistinctement assimilé par tous est une utopie, voire une hypocrisie qui feint d’ignorer que les dons sont très divers, et que ce qui est comme du chinois pour l’un, puisse être une révélation et un épanouissement pour l’autre. La vulgarisation du savoir ne peut pas ne point lui porter un préjudice fatal. Il est des choses qui par leur nature exigent une qualification correspondante du réceptacle. En somme, on voudrait une école où tous réussissent dans un enseignement de masse sans couleur ni odeur. Les inégalités seront censées être comblées quantitativement, puisque, paraît-il, un surcroît d’explications ou des « stratégies de réussite » mèneront immanquablement les plus faibles à cette réussite.
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