Casanova, ou le rêveur éveillé (1975 / France Culture). Raphaël Mengs, Portrait de Giacomo Casanova, vers 1760. Émission Les samedis de France Culture, réalisée pour le 250ème anniversaire de la naissance de Giacomo Casanova (1725-1798). Diffusion sur France Culture le 3 mai 1975. Par Pierre Barbier. Réalisation : Bronislaw Horowicz. Avec Pierre Barbier, Robert Abirached, Gilbert Sigaux et Hubert Juin. Textes de Giacomo Casanova, Carlo Goldoni, Lorenzo da Ponte, du prince de Ligne lus par François Périer, Pascal Mazzotti, Roger Bret, Pierre Delbon et Catherine Laborde. Giacomo Girolamo Casanova, né le 2 avril 1725 à Venise (République de Venise, actuellement en Italie) et mort le 4 juin 1798 à Dux (Royaume de Bohême, actuelle République tchèque), est un aventurier vénitien. Il est tour à tour violoniste, écrivain, magicien (dans l'unique but d'escroquer Madame d'Urfé), espion, diplomate, puis bibliothécaire, mais revendique toujours sa qualité de « Vénitien ».
Il utilise de nombreux pseudonymes, le plus fréquent étant le chevalier de Seingalt (prononcer Saint-Gall) ; il publie en français sous le nom de « Jacques Casanova de Seingalt ».
Casanova laisse une uvre littéraire abondante, notamment ses mémoires connus sous le titre Histoire de ma vie. Il est cependant surtout connu aujourd'hui en tant qu'aventurier, et comme l'homme qui fit de son nom un synonyme de « séducteur ». Il savait user aussi bien de charme que de perfidie ou d'argent pour conquérir les femmes. Cette réputation provient de son uvre autobiographique : Histoire de ma vie, rédigée en français et considérée comme l'une des sources les plus authentiques concernant les coutumes et l'étiquette en usage en Europe au XVIIIe siècle. Il y mentionne cent quarante-deux femmes avec lesquelles il aurait eu des relations sexuelles, dont des filles à peine pubères et sa propre fille, alors mariée à l'un de ses « frères » francs-maçons, avec laquelle il aurait eu le seul fils dont il eût connaissance, si l'on en croit son témoignage.
Bien qu'il soit souvent comparé à Don Juan comme séducteur, sa vie ne procédait pas de la même philosophie : ce n'était pas un collectionneur compulsif. Parfois présenté (ainsi dans le film Le Casanova de Fellini) comme un pantin ou un fornicateur mécanique, qui se détourne de sa conquête dès lors qu'elle sest donnée à lui, il n'en était rien, il s'attachait, secourait éventuellement ses conquêtes. Personnage historique et non de légende, jouisseur et exubérant, il vécut en homme libre de pensées et de comportements, des premiers succès de sa jeunesse à sa longue déchéance.
Sources : France Culture et Wikipédia
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Dépêchez vous de succomber à la tentation avant qu’elle ne s’éloigne.
Qu'est-ce qu'un baiser ? Ce n'est autre chose que le véritable effet du désir de puiser dans l'objet qu'on aime.
Je ne suis heureux que par le souvenir.
Quels goûts dépravés ! dira-t-on : quelle honte de se les reconnaître et de ne pas en rougir ! Cette critique me fait rire ; car, grâce à mes gros goûts, je me crois plus heureux qu’un autre, puisque je suis convaincu qu’ils me rendent susceptible de plus de plaisir. Heureux ceux qui, sans nuire à personne, savent s’en procurer, et insensés ceux qui s’imaginent que le Grand-Être puisse jouir des douleurs, des peines et des abstinences qu’ils lui offrent en sacrifice, et qu’il ne chérisse que les extravagants qui se les imposent.

Mon compère, comme je l'ai dit, correcteur adroit et déterminé de la fortune, faisait richement ses affaires à Venise, et comme il était aimable et ce que l'on appelle dans le monde de bonne société, il aurait pu continuer longtemps sur le même pied, s'il s'en était tenu au jeu ; car les inquisiteurs d'Etat auraient trop à faire s'ils voulaient s'occuper d'obliger les fous à ménager leur fortune, les dupes à être prudents et les fripons à ne pas duper les sots ; mais, soit folie de jeunesse, soit perversité des mœurs, la cause de son exil fut d'une nature extraordinaire et infâme.
Un noble Vénitien, noble de naissance et fort ignoble d'habitudes, un nommé Sgombro, de la famille Gritti, en devint amoureux, et Croce, soit plaisanterie, soit goût, ne lui fut pas cruel. Malheureusement la réserve qu'exige la décence ne fut pas appelée en tiers, et le scandale devint si public que le gouvernement se vit forcé d'intimer à mon dit Croce l'ordre de quitter la ville et d'aller tenter fortune ailleurs.
Peu de temps après, l'infâme Sgombro séduisit ses deux fils encore jeunes, et malheureusement pour lui, il mit le plus jeune dans la nécessité d'avoir recours au chirurgien. L’infamie devint publique, et le pauvre enfant confessa qu'il n'avait pas eu le courage de désobéir à l'auteur de ses jours.

Malgré le fonds de l’excellente morale, fruit nécessaire des divins principes enracinés dans mon cœur, j’ai été toute ma vie la victime de mes sens ; je me suis plu à m’égarer, j’ai continuellement vécu dans l’erreur, n’ayant d’autre consolation que celle de savoir que j’y étais. Ainsi j’espère, cher lecteur, que, bien loin de trouver dans mon histoire le caractère d’une impudente jactance, vous n’y trouverez que celui qui convient à une confession générale, sans que dans le style de mes narrations vous trouviez ni l’air d’un pénitent, ni la contrainte de quelqu’un qui rougit d’avouer ses fredaines. Ce sont des folies de jeunesse ; vous verrez que j’en ris, et, si vous êtes bon, vous en rirez avec moi.
Vous rirez lorsque vous verrez que souvent je ne me suis pas fait scrupule de tromper des étourdis, des fripons et des sots, quand j’ai été dans le besoin. Pour ce qui regarde les femmes, ce sont des tromperies réciproques qu’on ne met pas en ligne de compte, car, quand l’amour s’en mêle, on est ordinairement dupe de part et d’autre. Quant à l’article des sots, c’est une affaire bien différente. Je me félicite toujours quand je me rappelle d’en avoir fait tomber dans mes filets, car ils sont insolents et présomptueux jusqu’à défier l’esprit. On le venge quand on trompe un sot, et la victoire en vaut la peine, car un sot est cuirassé, et souvent on ne sait par où le prendre. Je crois enfin que tromper un sot est un exploit digne d’un homme d’esprit. Ce qui a mis dans mon sang, depuis que j’existe, une haine invincible contre l’engeance des sots, c’est que je me trouve sot moi-même toutes les fois que je me vois dans leur société. Je suis loin de les confondre avec ces hommes qu’on nomme bêtes ; car, ceux-ci n’étant tels que par défaut d’éducation, je les aime assez. J’en ai trouvé de fort honnêtes, et qui dans le caractère de leur bêtise ont une sorte d’esprit, un bon sens droit qui les éloigne fort du caractère des sots. Ce sont des yeux frappés de la cataracte, et qui sans cela seraient fort beaux.

Une chose digne de remarque, c’est que de toutes les langues vivantes qui figurent dans la république des lettres, la langue française est la seule que ses présidents aient condamnée à ne pas s’enrichir aux dépens des autres, tandis que les autres, toutes plus riches qu’elle en fait de mots, la pillent, tant dans ses mots que dans ses tournures, chaque fois qu’elles s’aperçoivent que par ces emprunts elles peuvent ajouter à leur beauté. Il faut dire aussi que ceux qui la mettent le plus à contribution sont les premiers à publier sa pauvreté, comme s’ils prétendaient par là justifier leurs déprédations. On dit que cette langue étant parvenue à posséder toutes les beautés dont elle est susceptible - et on est forcé de convenir qu’elles sont nombreuses -, le moindre trait étranger l’enlaidirait ; mais je crois pouvoir avancer que cette sentence a été prononcée avec prévention, car, quoique cette langue soit la plus claire, la plus logique de toutes, il serait téméraire d’affirmer qu’elle ne puisse point aller au delà de ce qu’elle est. On se souvient encore que du temps de Lulli toute la nation portait le même jugement sur sa musique : Rameau vint et tout changea. Le nouvel élan que ce peuple a pris peut le conduire sur des voies non encore aperçues, et de nouvelles beautés, de nouvelles perfections, peuvent naître de nouvelles combinaisons et de nouveaux besoins.
La théorie des mœurs et son utilité sur la vie de l’homme peuvent être comparées à l’avantage qu’on retire de parcourir l’index d’un livre avant de le lire : quand on l’a lu, on ne se trouve informé que de la matière. Telle est l’école de morale que nous offrent les sermons, les préceptes et les histoires que nous débitent ceux qui nous élèvent. Nous écoutons tout avec attention, mais, lorsque l’occasion se présente de mettre à profit les avis qu’on nous a donnés, il nous vient envie de savoir si la chose sera comme on nous l’a prédite : nous nous y livrons, et nous nous trouvons punis par le repentir. Ce qui nous dédommage un peu, c’est que dans ces moments-là nous nous reconnaissons pour savants et possesseurs du droit d’instruire les autres ; mais ceux que nous endoctrinons ne font ni plus ni moins que ce que nous avons fait, d’où il résulte que le monde reste toujours au même point, ou qu’il va de mal en pis.
Dans cette année 1797, à l’âge de soixante et douze ans, où je peux dire vixi, quoique je respire encore, je ne saurais me procurer un amusement plus agréable que celui de m’entretenir de mes propres affaires, et de donner un noble sujet de rire à la bonne compagnie qui m’écoute, qui m’a toujours donné des marques d’amitié, et que j’ai toujours fréquentée.
Pour bien écrire, je n’ai besoin que de m’imaginer qu’elle me lira : Quaecumque dixi, si placuerint, dictavit auditor [« Si ce que je dis a l’heur de plaire c’est à l’auditeur d’en décider » ; d’après Martial]. Pour ce qui regarde les profanes que je ne pourrai empêcher de me lire, il me suffit de savoir que ce n’est pas pour eux que j’ai écrit.
Me rappelant les plaisirs que j’eus je me les renouvelle et je ris des peines que j’ai endurées, et que je ne sens plus.
Celui de survivre au dépérissement de nos membres et à la perte de ce dont notre individu a besoin pour son bien être est un grand malheur, car la misère ne peut dépendre que du manque du nécessaire ; mais si ce malheur survient quand on est vieux, il ne faut pas s'en plaindre, puisque si l'on a enlevé nos meubles, on nous a laissé du moins la maison. (p. 9)
Avant-propos