Rencontre animée par Gérard Meudal
Festival Italissimo
Deux maîtres du roman policier, parmi les plus loués tant en Italie qu'ailleurs : Giancarlo de Cataldo d'une part, Maurizio de Giovanni de l'autre. Magistrat et journaliste, de Cataldo est l'auteur de Romanzo criminale, La Saison des massacres et le co-auteur de Suburra. Scénariste et dramaturge, de Giovanni est l'auteur des séries emmenées par les commissaires Giuseppe Lojacono et Luigi Alfredo Ricciardi. À mi-chemin entre roman et télévision, un voyage plein de suspense à la découverte du giallo, le polar à l'italienne.
Plus d'informations sur le festival
À lire Giancarlo de Cataldo, Je suis le châtiment, trad. par Anne Echenoz, éd. Métailié, 2023 Maurizio de Giovanni, Nocturne pour le commissaire Ricciardi, trad. par Odile Rousseau, Payot et Rivages, 2022.
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Et puis il ajouta, sur un ton que Jaro n’oublierait jamais : mine Knabe. Fiston, mon garçon. Personne ne l’avait jamais appelé ainsi. Jaro éprouva quelque chose très proche d’une profonde émotion. Il avait envie de se mettre à pleurer comme un enfant. Il ravala ses larmes, car il était un gars de Williamsburg. Et à Williamsburg, en termes de sentiments, régnaient les règles suivantes : si tu pleures, tu es pédé. Et les pédés, on leur démonte la gueule.
Par ailleurs, il n'y a rien de mal dans l'homosexualité. Elle est répandue dans la nature, entre les animaux, entre les plantes même. D'antiques civilisations ont glorifié l'amour entre créatures du même sexe en le définissant comme la plus haute forme de ce sentiment.
Malédiction de la mort ! Mais c'est quoi, ce roi qui se ravale sa parole ? Tu les as envoyés au gibet, eh ben pends-les, non ? Ou bien fais-les fusiller, suffit que tu les butes ! Mais c'est quoi ces repentirs, merde ? y'a que les cornards qui reviennent sur leurs pas. Un roi qui change d'avis, c'est comme un saint qui ne fait plus de miracles, comme une gonzesse qui se met dans la tronche d'étudier pour faire le docteur, comme un demi-sel qui se prend pour le Maestro. O roi devenu bon ! Mais quelle merde ! Un roi bon, c'est contre l'ordre du monde, donc un roi bon, c'est un roi mort.
Si votre problème, c’est de passer pour un mauvais maître, vous pourriez inventer un personnage qui interprète la conscience critique. Quelqu’un qui, de temps en temps, dit à Jay : « Tu es dégoûtant, tu es méchant... »
-je pourrais le faire parler dans une pièce à part, comme dans « House of Cards » rétorquai-je, moqueur. Je suis en train de détruire un rêve ! Quel fumier je suis, pas vrai ? Je suis irrésistible, non ? P. 256

Mme Giuntini se lance dans une diatribe passionnée contre les hommes qui abusent des femmes. Toutes les autres s’unissent à elle. Alba n’en croit pas ses oreilles. Pour une fois, elles tombent d’accord. Non. Il y a quelque chose qui ne colle pas.
- Je crois qu’elle est étrangère, provoque-t-elle
- Ca ne change rien, observe Mme Giuntini, mais déjà son ton manque de conviction.
Suivent quelques instants de silence. Ensuite l’opinion commune bascule, d’abord lentement puis avec un acharnement toujours plus grand jusqu’à culminer dans un crescendo furieux. Bien sûr, ces filles qui affrontent seules tant de danger. Bien sûr, d’habitude ces mésaventures n’arrivent pas à celles qui restent chez elles. Bien sûr, normalement, ce sont des prostituées. Bien sûr, elles viennent en Italie parce qu’elles ne sont pas bien dans leurs pays. (…) Bien sûr, elles vont mal mais on en peut pas les faire entrer toutes. Bien sûr nous sommes les idiots de l’Europe, elles viennent toutes chez nous, regardez les Français ou les Espagnols. Bien sûr, parce que chez nous, c’est la vie de château.
C’était, parce que maintenant, c’est en train de changer.
Un vertige violent le fit vaciller. Il s’appuya à la balustrade. Le produit était en train de monter au cerveau. Et de là, très vite, il allait redescendre dans l’engin. Tandis que le cocktail érectile commençait à faire son effet, un joyeux sentiment d’invincibilité l’envahissait. Tout le monde disait d’y aller mollo, tout le monde disait qu’on dansait au bord du volcan, tout le monde craignait que les choses changent d’un moment à l’autre. Tout le monde déblatérait sur le spread, la révision des dépenses publiques, la moralité… et bordel ! L’Italie ne changera jamais. Nous serons toujours en haut, et les misérables en bas.
Maintenant tout ce qui lui reste, c'est le Devoir. Mais le Maestro est le premier à savoir que le Devoir, sans sentiment, est décharné, pâle, n'est rien d'autre que le culte froid d'une idée.
Il avait grandi dans le mythe de la révolution nationale fasciste, il s'était endurci en cognant les rouges au lycée, il était passé aux braquages pour financer le groupe, la prise de pouvoir, l'extermination des juifs et des communistes. Un jour, il vit mourir son meilleur ami sous le plomb des condés. Lui-même n'en réchappa que par miracle. Les flics le dénichèrent. Un salaud avait balancé. Samouraï l'apprit par hasard, par un camarade facho qui fréquentait la même salle de gym que certains superflics des groupes d'intervention. Il se prépara à mourir dans l'honneur.
La femme d'un ami, c'est sacré, ça ne se discute pas. On l'accepte, c'est tout. La femme d'un ami c'est ta soeur, ta mère, ta fille. Ce n'est même pas une femme, c'est la Madone.
Les livres sont écrits pour être vendus. Le succès n’est pas une bête à éviter à tout prix. Les écrivains qui prêchent ce genre d’idioties sont des menteurs. P. 115