- Eh bien, écoutez, je vous remercie beaucoup monsieur l'abbé...
- Ah je vous en prie, ne dites pas mon nom !
- Pourquoi ?
- Victor ne vous a pas dit ? C'est un brave petit, je prierai pour son âme ce soir.
- Il en sera flatté ; j'en suis sûr. Puis-je savoir pourquoi quand même ?
- Oui : je m'appelle Tacorne ! Vous vous rendez compte ? L'abbé Tacorne ! Dans une région d'élevage. Ah, Dieu m'a donné une sacrée croix à porter !
La cérémonie commença vers 15h30. La République avait mis les petits plats dans les grands. Le ministre de l'Intérieur, perché sur une estrade, parlait de la police qui allait faire son devoir pour châtier les assassins. De petite taille, il se haussait en s'accrochant à son pupitre comme à une bouée de sauvetage. Il en profita pour faire une allusion sur la politique sécuritaire qui devait être la fait de toute grande nation. A ce moment, il s'adressa droit vers la caméra pour prendre le téléspectateur à partie. C'était son style. Tout était bon pour mettre en avant celui qui se voyait comme un possible prochain Président de la République.
Sur le parking de la gare, deux voitures attendaient des voyageurs tardifs, les lumières inutilement allumées. Rodolphe devinait des allées et venues fiévreuses, des attentes tendues. Il aimait l'ambiance des gares quand rien d'autre n'a d'importance que le temps qui passe, que tout est suspendu à une heure chuchotée puis nasillée par un haut-parleur. Il aimait la qualité du silence de juste avant l'arrivée, ce paroxysme de tension quand tout va se défaire, se disjoindre, les êtres vont se quitter, parfois pour toujours... Puis la rupture brutale quand les roues patinent sur la voie et le train s'arrache à ce lieu de rencontres.
Tu vois, ici ce ne sont pas des serveuses pressées qui te servent en mâchant un chewing-gum avec un œil sur le portable, quand ce n'est pas l'oreille. Il n'y a plus de respect du client, désormais, plus de respect de qui que ce soit.
En tout cas, c'est bien mieux que de dire"on verra". Parce que quand un adulte dit "on verra", en général on ne voit rien du tout. "On verra" est un "non" qui s'ignore.
Demain est le jour le plus chargé de l'année