Sonia
Rodia a beaucoup changé. Est-ce à cause des privations ? Il a changé, comme tous les prisonniers. Mais quel a été l’effet du châtiment ? Il voulait ce châtiment tout en le trouvant injuste. Il pensait d’abord qu’il ne méritait pas de punition, parce que ce qu’il avait commis n’était pas grave, à ses yeux. Quand il a compris la gravité de son… crime, il a souhaité un châtiment pour devenir plus pur. Il voulait l’enfer, ou le paradis. Pas une sorte de purgatoire, où, pour lui, il n’y aurait pas la sévérité qu’il désirait.
Porphyre
Vous auriez voulu plus de huit ans de bagne !
Sonia
Je crois, surtout, qu’il ne voulait pas d’un châtiment qui vienne de vous, d’un juge nommé par cette société qu’il réprouve. Il voulait en référer à Dieu ou au plus humble des mendiants.
Raskolnikov
Au revoir, juge Porphyre.
Porphyre
Je ne peux pas penser que vous allez partir. Rodion, ce roman que nous avons écrit à deux, savez-vous que quelqu‘un l’écrit sur du papier, avec une plume ? Mes services m’ont appris qu’un romancier du nom de Fedor Dostoïevski veut s’inspirer de nous pour son prochain livre. Il nous surveille, il prend des notes.
Si nous avions pu nous entendre, il aurait pu écrire un roman exemplaire et parfaitement moral. Mais nous nous séparons. Dans le roman, vous ne serez qu’un simple meurtrier, et moi rien qu’un simple juge d’instruction. Ce sera une histoire sans morale, et sans apothéose.
Raskolnikov
Cela n’a pas d’importance. Que Dieu pardonne à ce Dostoïevski !
Raskolnikov
Vous ne savez rien, juge ! Vous ne connaissez pas les châtiments auxquels vous nous condamnez. Quand on nous libère, nous ne sommes pas libres. Nous sommes contraints de nous engager dans l’armée, comme colon militaire. Et nous y restons deux ans, trois ans, impérativement. Le châtiment terminé, on nous châtie encore. J’ai été libéré mais je ne suis pas libre !
Corneille – Vous ne voulez pas une comédie ? Il y a longtemps que je n’aie point écrit de comédie.
Pulchérie – Non pas de comédie. Les gens de condition n’aiment pas la comédie. Nous agissons pour eux, pas pour la populace qui va se secouer de rires dans les foires.
Corneille –La comédie est un genre noble. J’en ai écrite quelques-unes !
Corneille – Vous, le duc, vous tous, vous qui vous détournez quand j’arrive, vous me brisez le poignet depuis des années. Et je ne crie pas. J’écris. Je n’écris pas contre vous. J’écris contre votre indifférence et avec elle. Il m’aide, votre dédain. Il me fait mal mais il m’éclaire. Je souffre mais je vois mieux. Je vous en remercie.
Pulchérie – C’est la moindre des choses de remercier son protecteur.
Corneille – Ce que j’aime, moi, c’est tout ce qui n’a pas été commandé. Tout ce qui vous échappe. Tout ce que vous ne gouvernez pas dans la tête de l’auteur. Tout ce qui ne vous obéit pas.
Raskolnikov
Qui est l’assassin ? Le connaissez-vous vraiment ?
Porphyre
Comment « Qui est l’assassin » ? Mais c’est vous Rodion Romanovitch. C’est vous !