"Bacon, juillet 1964" de Gilles Sebhan - Interview 4
Un policier est un citoyen comme les autres, pensa le docteur. Et sa pensée fut suivie d'un ricanement mental, car il savait très bien que c'était une bouffonnerie.
Il se fit encore une fois la réflexion attristée mais résignée de l'extrême naïveté des hommes. Il était vraiment temps d'en finir avec l'homo sapiens. Quelle erreur de langage d'ailleurs, car l'homme qui régnait sur la terre depuis maintenant des centaines de milliers d'années, ne savait rien : plus il se perfectionnait, plus il s'éloignait des merveilleux pouvoirs que recélait son cerveau. Au lieu de développer ses dons, l'homme n'avait eu de cesse de les déléguer à des objets qui finissaient par l'asservir.
Les malades ne le sont que dans le cadre d'une société qui les fait souffrir. En liberté, ils deviendraient les grands sages de nos générations futures.
« Il était persuadé que le passé n’est pas tout à fait accompli avant d’avoir engendré un certain nombre de conséquences .
L’enfance est un papillon dont le battement d’ailes peut avoir , à distance, des effets innombrables et catastrophiques. »
. Comme dans les peuplades anciennes, l’enfant avait été emmené loin de la tribu pour accomplir sa transformation. A présent, il se trouvait comme lié à un esprit frère, une sorte de chaman qui le guidait dans l’accomplissement d’une tâche ardue et essentielle. Il n’y avait pas d’un côté les forces du mal et de l’autre celles du bien. Il y avait une divinité à abreuver, une colère ancestrale à apaiser pour que le danger de la destruction disparaisse. Si on avait posé la question au docteur Tristan, sans doute aurait-il affirmé que le sacrifice de quelque chose en soi était inévitable dans ce processus de libération.
Comme souvent, il y prenait le contre-pied des théories traditionnelles : là où tout le monde s’accordait à voir dans le traumatisme l’origine d’un empêchement et d’une souffrance, Tristan y distinguait au contraire le plus court chemin vers la réalisation de soi.
« Pourquoi avait - elle accepté ces retrouvailles loin du regard de la ville , ce rendez - vous incognito dans une station balnéaire ?
Était - ce parce qu’elle se sentait coupable d’avoir abandonné la jeune femme aux mains du tueur , l’apercevant derrière une vitre le regard éperdu ,le couteau sur la gorge , accélérant pour ne pas mettre Théo en danger ?
Etait - ce cela ou autre chose ?
Une chose plus inavouable et qui croupissait au fond d’elle ? » ….
Tony Duvert était un écorché vif, dit-il, un révolté radical. Je sortais de nos rendez-vous complétement lessivé, il était d'une intensité absolument incroyable, possédait une intelligence foudroyante, il prenait le moindre fait divers, le moindre évènement de l'actualité et le démontait de façon absolument saisissante. C'était très impressionnant de le voir s'en prendre à la bonne conscience, à l'hypocrisie.
Personne n'en saura rien, avait assuré le commissaire à Drapper, en allant lui rendre visite à l'hôpital . Ce dernier avait un double fracture à la jambe ainsi que plusieurs cotes cassées. Je vais m'arranger pour faire disparaitre le fichier sur lequel se trouve l'interrogatoire. Et je vais demander aux collègues de rester discrets.
La folie est sans doute là dans nos vies à chaque serrement de main, à chaque mot, dans chaque regard, la folie est le possible d'une aventure qui ne peut advenir que dans le renoncement, la folie est sans doute la porte de sortie que prend celui qui n'a plus d'autre issue, l'ultime évasion du condamné à mort.