Lundi 8 août 2022, dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022, Yannick Haenel tenait la conférence : L'amour, la littérature et la solitude.
Il sera question de cette attention extrême au langage qui engage notre existence. C'est-à-dire des moyens de retrouver, à travers l'expérience poétique de la solitude, une acuité, une justesse, un nouvel amour du langage. Écrire, lire, penser relèvent de cette endurance et de cette précision. C'est ce qui nous reste à une époque où le langage et la vérité des nuances qui l'anime sont sacrifiés. Écrire et publier à l'époque de ce sacrifice planétaire organisé pour amoindrir les corps parlants redevient un acte politique. Je parlerai de Giorgio Agamben, de Georges bataille, de László Krasznahorkai, de Lascaux et de Rothko. Je parlerai de poésie et d'économie, de dépense, de prodigalité, et de la gratuité qui vient.
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Le pouvoir aujourd'hui n'a d'autre forme de légitimité que l'état d'urgence et partout et continuellement en appelle à lui et travaille en même temps secrètement à sa production (comment ne pas penser qu'un système qui ne peut désormais fonctionner que sur la base d'un état d'urgence ne soit pas également intéressé à maintenir cet état à n'importe quel prix ?).
FORME-DE-VIE, 4 (1993).
“La peur prépare à tout accepter”
Bibliobs
Le cinéma […] est le rêve d'un geste. Introduire en ce rêve l'élément du réveil, telle est la tâche du cinéaste.
MOYENS SANS FINS : Notes sur le geste.
Justement parce qu'il détruit la vieille trinité État-nation-territoire, le réfugié, cette figure apparemment marginale, mérite d'être considéré, au contraire, comme la figure centrale de notre histoire politique. Il ne faut pas oublier que les premiers camps furent construits en Europe comme les espaces de contrôle pour les réfugiés et que la succession camp d'internement/camp de concentration/camp d'extermination représente une filiation parfaitement réelle.
(...) La survivance politique des hommes n'est pensable que sur une terre où les espaces auront été ainsi "troués" et topologiquement déformés, et où le citoyen aura su reconnaitre le réfugié qu'il est lui-même.
Comme Michel Foucault l’a montré avant moi, les gouvernements sécuritaires ne fonctionnent pas nécessairement en produisant la situation d’exception, mais en l’exploitant et en la dirigeant quand elle se produit.
(Le Monde)
L'amour espère parce qu'il imagine et imagine parce qu'il espère.
Seul peut se dire contemporain celui qui ne se laisse pas aveugler par les lumières du siècle et parvient à saisir en elles la part de l’ombre, leur sombre intimité. Avec ceci, nous n’avons pas encore tout à fait répondu à notre question. Pourquoi le fait de réussir à percevoir les ténèbres qui émanent de l’époque devrait-ils nous intéresser ? L’obscurité serait-elle autre chose qu’une expérience anonyme et par définition impénétrable, quelque chose qui n’est pas dirigé vers nous et qui, par la même, ne nous regarde pas ? Au contraire, le contemporain est celui qui perçoit l’obscurité de son temps comme une affaire qui le regarde et n’a de cesse de l’interpeller, quelque chose qui, plus que toute lumière, est directement et singulièrement tourné vers lui. Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps.
J'appelle dispositif tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. Pas seulement les prisons donc, les asiles, les panoptikon, les écoles, la confession, les usines, les disciplines, les mesures juridiques, dont l'articulation avec le pouvoir est en un sens évidente, mais aussi, le stylo, l'écriture, la littérature, la philosophie, l'agriculture, la cigarette, les ordinateurs, les téléphones portables et, pourquoi pas, le langage lui-même, peut-être le plus ancien dispositif dans lequel, plusieurs milliers d'années déjà, un primate, probablement incapable de se rendre compte des conséquences qui l'attendaient, eut l'idée de se faire prendre.
Je travaille toujours dans l'urgence, mais très lentement.
Du moment que la peur précède et anticipe la connaissance et la réflexion, il est inutile de chercher à convaincre l’apeuré avec des preuves et des arguments rationnels : la peur est, avant tout, l’impossibilité d’accéder à un raisonnement qui ne soit par suggéré par la peur elle-même. (Qu'est-ce que la peur ?)