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Citation de VincentGloeckler


Quand j’étais jeune, je savais y faire avec les mots. C’étaient les lectures enfantines auprès de ma mère, doigt pointé ligne après ligne pour que je suive bien, qui m’avaient ouvert à l’érudition. Mon vocabulaire était riche et articulé. Je connaissais par cœur des chapitres entiers des Écritures. L’après-midi, quand je parvenais à échapper à la tendre vigilance de ma mère et à l’attention inquiète de mon père, quand je n’avais pas de camarades avec qui partager mes jeux, sur les bords du fleuve en Égypte d’abord, puis au milieu des pierres brûlées de Nazareth, je m’amusais à réciter les paroles des Textes avec des rimes de mon cru que j’inventais au fur et à mesure sur les cadences de la sacralité aride et inaccessible des rabbins. Aujourd’hui, je serais accusé de blasphème. Comme je m’amusais ! Je riais tout seul de mes trouvailles, de mon humour habile à désacraliser la pompe hautaine – obscure – des dogmes. Je jouais au prophète, au petit Messie : un Dieu irresponsable aux genoux écorchés par les chutes et les ronces, qui errait sur la terre à peine engendrée par l’obscurité du néant. Je jouais à la Création. Je me rappelle combien j’aimais imaginer des animaux nouveaux, des créatures bizarres à mettre en marche de par le monde, ou alors des bêtes connues que je réinventais avec la tête à la place de la queue, un œil devant et l’autre derrière, toutes les parties interverties, des ânes à huit pattes, des chiens avec des ailes, des oiseaux munis de pieds, des poissons amphibies et des serpents pourvus de pattes. Un bestiaire tout à moi dans un monde tout à moi où le soleil ne se couchait jamais pour que la nuit ne vienne pas me terrifier. Je guidais cette armée d’animaux jamais vus à travers un monde repensé, adapté aux exigences de mes inventions, car je créais la mer là où s’ouvrait le désert, j’aplanissais les montagnes pour que mon père n’ait pas de difficultés à affronter dans ses déplacements de charpentier, je faisais jaillir des sources d’eau tout près de la maison pour que ma mère puisse plus facilement remplir ses cruches. Aujourd’hui, dans le crépuscule du jardin, j)e me demande pourquoi il ne m’est jamais venu à l’esprit, enfant, de créer des hommes différents. Meilleurs. Qui sait, peut-être que je l’ai fait, mais je ne m’en souviens plus.
(PP.98-99)
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