Depuis que je vivais dans la forêt, la lumière m’impressionnait plus que tout. Elle se présentait timidement au lever du jour, attendait que le soleil eût dépassé les troncs d’arbre pour éclater dans le ciel et tout brûler. Je contemplais ce miracle chaque matin en ouvrant bien les yeux : la lumière se soustrayait à l’injustice et ranimait ma combativité. Pour nous, le moment de nous venger était arrivé.
Étourdie et stimulée à la fois par le froid, j’inspirais et soufflais de gros nuages de vapeur dense. Je n’avais qu’une seule envie : courir encore et encore, narguer l’air mordant, aussi aiguisé qu’une lame, me perdre.
Peut-on tuer un individu de son propre sang ? Continuais-je de me demander en m’enfonçant dans la forêt. J’avais commis le plus ancien des péchés, mais la forêt soufflait son haleine sur mon cou et sur mon dos, m’enveloppant dans un manteau invisible, pour se refermer derrière moi. Qui était coupable ? Ma personne, ma famille, l’ancien Royaume, ou l’Italie ? Portais-je seule la responsabilité de mes actes ou fallait-il la diviser par mille, par nous tous ?
L’attachement que nous développons pour les objets est étrange. Bientôt, la bague que Pietro avait glissée à mon annulaire droit s’est substituée à sa présence.
Lorsque le courage nous manque, nous nous contentons d’arguer que les mots ne sont que des mots, alors que ce sont des armes pour changer le monde.
Quand on se conduit comme un mouton ,on finit dans la gueule des loups.
Voilà donc l'alternative qui s'imposait aux Italiens, pensais-je : se conduire soit en flagorneurs, prédateurs, buses et chouettes; soit en voleurs, criminels, brigands, bouquetins.
"Vive l'Italie! ai-je dit. Le pays où tout l monde est en guerre contre tout le monde. Si c'est ça, la justice, je préfère mon père à la justice."
"La liberté des messieurs est not'condamnation",affirmait-elle,mais comme si cela ne la concernait pas vraiment, pas totalement, comme s'il s'agissait d'une loi de la nature à accepter telle quelle.
Les tissus des Gullo étaient célèbres dans le Royaume, non seulement en Calabre, mais aussi dans les demeures des riches Napolitaines, et l'on disait que Marie-Thérèse [épouse du roi des Deux-Siciles] (...) conservait les plus beaux dans le palais royal de Caserte, sans imaginer peut-être que des femmes au dos courbé, aux doigts paralysés, aux yeux abîmés les avaient produits.
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Les "messieurs" bourboniens, eux, nous considéraient comme des idiots, ils nous traitaient de culs-terreux et, parce qu'ils avaient fait quelques années d'études de plus, nous regardaient avec suffisance. Nous avions pourtant un cerveau pour penser, et comment ! Nous étions juste obligés de nous taire, raison pour laquelle ils se croyaient plus intelligents.
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