Citations de Glenn Gould (35)
Je ne connais pas la proportion exacte mais j'ai toujours pensé que pour chaque heure passée en compagnie d'êtres humains, il fallait X heures passées tout seul. Ce qu'est X, je l'ignore, deux heures et sept huitièmes ou sept heures et deux huitièmes mais c'est une quantité considérable.
Un jour j'écrirai ma biographie, qui sera certainement fictive.
L'objectif de l'art n'est pas le déclenchement d'une sécrétion momentanée d'adrénaline, mais la construction, sur la durée d'une vie, d'un état d'émerveillement et de sérénité.
La réclusion monastique me convient.
Je crois que la compétition, plus que l'argent, est la source de tous les maux.
Je crois simplement que l'on devrait accorder à l'artiste, pour son bien comme pour celui de son public - et permettez-moi de dire officiellement aujourd'hui que je n'aime pas du tout les termes comme "public" ou "artiste", et en particulier la hiérarchie qu'implique l'usage d'une telle terminologie-, je crois donc que l'on devrait accorder à l'artiste l'anonymat. Il devrait avoir le droit d'agir en secret, en quelque sorte, détaché - ou, mieux encore, insouciant - des supposées exigences du marché, exigences qui, si elles sont considérées avec suffisamment d'indifférence par un nombre suffisant d'artistes, disparaîtront tout simplement. Et puisqu'elles auront disparu, l'artiste abandonnera son faux sentiment de responsabilité vis-à-vis de son "public", et son "public" renoncera à son rôle de dépendance servile.
Cela m'intéresse toujours d'apprendre quelque chose à propos de quelqu'un grâce à l'intermédiaire d'une personne qui le comprend et qui l'aime. J'ai toujours cru que quelqu'un qui comprend et aime quelque chose en sait davantage que quelqu'un dont ce n'est pas le cas. (p.82)
« La solitude, il est en votre pouvoir de l’acquérir et de votre devoir de la cultiver, car la contemplation est une grâce dont on doit pouvoir jouir à bon escient ».
« Je suis un écrivain qui joue du piano à mes moments perdus. », Glenn Gould.
Je crois nous devons accepter le fait que l'art n'est pas inconditionnellement bénéfique, qu'il est même potentiellement destructeur.
Mais soyons sérieux. Je suis absolument convaincu de ce que, en dépit de ce vieux ragot qui veut qu'un bon romancier n'ait pas besoin d'un nom de plume, une partie de votre personnalité fonctionne correctement dans une certaine structure de vie, un certain style, sous un certain nom, et qu'une autre ne fonctionne que si vous en changez. Moi-même, par exemple, j'ai été incapable d'écrire vraiment avec humour jusqu'au moment où j'ai pu me présenter sous un pseudonyme.
Mes amis proches et mes parents savent par exemple que je n'aime pas qu'ils assistent à mes concerts. Je ne veux pas avoir à me montrer à la hauteur des a priori que quelqu'un a formés à mon égard. (p.69)
C'est la tradition post-Renaissance qui a mené le monde occidental au bord de la destruction. Vous savez, cet attachement bizarre à la liberté de mouvement, à la liberté d'expression et tout le tremblement est un phénomène étrangement occidental. Tout cela fait partie de l'idée occidentale selon laquelle on peut aisément séparer les paroles des actes.
(...)
Seules les cultures qui, par hasard ou d'habile manière, ont contourné la Renaissance voient l'art comme la menace qu'il est en réalité.
g.g. : - Je présume que l'URSS en fait partie?
G.G. : - Absolument. Les Soviétiques sont un peu brut de décoffrage en ce qui concerne la méthode, je l'admet, mais leurs inquiétudes sont totalement justifiées.
On trouve souvent dans le Clavier bien tempéré une réelle communion d'intérêt et d'esprit entre les fugues et les préludes qui les précèdent. Parfois certains préludes ne sont rien d'autre qu'un préliminaire prosaïque en forme d'étude; j'aurais tendance à faire entrer les Préludes en ut majeur et ut mineur du Premier Livre dans cette catégorie. En revanche, rien ne pourrait s'identifier plus complètement au caractère méditatif et mélancolique de la Fugue à cinq voix en ut dièse mineur du Premier Livre que son prélude langoureux et rêveur. A l'occasion, les Préludes eux-mêmes ont une orientation fuguée; c'est le cas de celui en mi bémol majeur du Premier Livre; en dépit de son absence d'égards pour les propriétés expositionnelles académiques, il présente une texture fuguée très enchevêtrée qui rejette dans l'ombre la fugue plutôt spécieuse et conventionnelle qu'il préface. Parfois encore, Bach utilise le prélude pour s'essayer aux raffinements bien formulés de structures binaires équilibrées offrant l'occasion d'une altercation thématique, et qui étaient devenus la préoccupation principale de la plupart de ses collègues. (Le Prélude en fa mineur du Deuxième Livre évoque certaines des créations les moins complaisamment tactiles du Signor Scarlatti.)
Je n'applique ces étiquettes à personne, et je ne pense pas qu'elles puissent s'appliquer à qui que ce soit que j'admire. Mais sil me fallait les appliquer, je dirais qu'un interprète "romantique" est quelqu'un qui, sans nécessairement se restreindre à la musique romantique, fait preuve d'un esprit extraordinairement imaginatif par rapport à la musique qu'il joue, qui peut parfois même l'entraîner à en déformer l'ossature architecturale. L'interprète "cool", par opposition, serait quelqu'un qui, à cause peut-être d'un manque d'imagination, traiterait tout correctement mais de manière littérale, et qui passerait ainsi à côté des beautés intangibles de la musique. Ce serait quelque chose d'incroyablement fastidieux. (p.76)
Un soir, alors que je venais de jouer du Bach, à toute vitesse, l'un d'entre eux me dit : "Eh, mon gars, t'en as une de ces mains gauches - aussi bonne que la droite !" J'ai répondu, en riant : "Heureusement, je suis gaucher." (p.28)
pour autant que je m'en souvienne, j'ai toujours passé l'essentiel de mon temps seul. Ce n'est pas que je sois asocial, mais il me semble que si un artiste veut utiliser son cerveau pour un travail créateur, ce qu'on appelle l'autodiscipline - et qui n'est rien d'autre qu'une façon de se retrancher de la société - est quelque chose d'absolument indispensable. (p.18)
Le danger, pour celui qui ose exprimer ses pensées les plus graves avec humour, c'est de ne pas être cru. (p.13)
De telles situations sont très fréquentes dans l'Art de la Fugue, et excessivement rares dans les Fugues des Toccatas; dans le Clavier bien tempéré, leur fréquence varie d'une œuvre à l'autre, car elle dépend des prémices harmoniques utilisées pour chaque morceau. (Dans une Fugue comme celle en ut majeur du Premier Livre, le continuel chevauchement des strettes rend l'affermissement de tels points pivots plus difficile que dans la Fugue en si bémol mineur du Second Livre par exemple).
Cela pose des problèmes indéniables d'adaptation lorsqu'on joue les chefs-d'œuvre du baroque sur un instrument contemporain. Mais il s'agit là de considérations essentiellement pratiques, qu'un exécutant consciencieux se doit de chercher à résoudre, quelle que soit l'idiosyncrasie de la solution proposée. Idéalement pourtant, de tels problèmes devraient jouer un rôle de catalyseur dans l'effort exubérant de communication re-créatrice qui constitue le bonheur suprême vers lequel toutes les considérations analytiques et toutes les conclusions argumentées doivent tendre.
Une approche de ce type rend bien entendu nécessaire une attitude discriminante vis-à-vis des questions d'articulation et de registration qui sont inséparables des méthodes de composition de Bach. Elle exige au minimum qu'on se rende bien compte qu'une utilisation immodérée de la pédale amènera inévitablement le navire de « l'ambition contrapuntique » à venir se briser sur les rochers du legato romantique. Elle exige également à mon avis qu'on s'astreigne à un certain degré de simulation des registrations conventionnelles du clavecin, ne serait-ce que parce que la technique qui détermine la manière dont Bach envisage les thèmes et les phrases est fondée sur une idée de dialogue dynamique. Si on parlait en termes cinématographiques, cela reviendrait à dire que l'attitude de Bach serait celle d'un metteur en scène qui penserait en plans « cuts » plutôt qu'en enchaînés.
Il existe également des moments dans ses œuvres où la continuité linéaire est d'une telle ténacité qu'il est impossible d'y trouver la moindre cadence clairement articulée. Par conséquent, elle ne permet pas de modification convaincante du toucher qui serait l'équivalent au clavecin de la mise en œuvre d'un jeu de luth ou d'un changement de clavier.