Une naissance est le plus intense chapitre de la vie d’une femme, paraît-il. N’importe quoi ! Je te l’affirme haut et fort : ouvrir son corps à la vie incarne l’instant le plus douloureux de la vie d’une femme ! Le plus bouleversant et le plus traumatisant aussi. Personne ne prépare les petites filles à ce qu’elles endureront. Les poupées, les un·es les bercent, les autres les habillent. Mais à aucun moment, un·e adulte ne trouve le courage d’expliquer aux gamines qu’avant de donner le biberon à une adorable petite gueule gourmande, il convient d’ouvrir son corps aux secousses de la vie en même temps qu’à l’effroi et à la souffrance.
Chacun son terreau. Une seule constante : partout dans le monde, on en parle, alors que personne ne se souvient du flic qui a sauvé un gamin ou empêché un attentat. Son nom à lui n'apparaît nulle part, tandis que le mec qui ouvre le feu dans une école fait la Une des quotidiens. On se souvient de lui. Jamais la violence ni la haine ne tombent dans l'oubli. Voilà mon ambition exclusive : ne pas être oubliée. Qui sait ? Vous m'avez boudée, méprisée, fustigée de mon vivant, peut-être ferez-vous de moi une martyre après avoir pris ma réalité dans vos gueules d'indifférents. Peut-être deviendrais-je le personnage central d'un film de Woody Allen ou de Spieberg ? Je ne l'aurais pas volé. Je vous aurais rendu ma monnaie ... post -mortem.
Je t'ai trouvé sous le caillou
Un dimanche sans étincelles
Je tricotais une dentelle
De solitude en satin doux.
Du "Je" le jeu devenait "nous"
Désir tissant sa ritournelle
L'inconnu contant l'hirondelle
Du printemps qui court à nos cous.
Tu es de là-bas, moi d'ici
À ton soleil je suis brûlée
Je ne refuse pas l'entrée
Du rêve que tu as décrit.
Le Paradoxe Sylvie Godefroid, de Philippe Remy Wilkin.
Personnalité en vue du microcosme, elle se distingue par son écoute des autres (notamment des auteurs et autrices qu’elle couve au sein de la Sabam), son calme et son dynamisme à l’anglo-saxonne, initiant mille projets et rencontres.
Je t’ai trouvé sous le caillou
Un dimanche sans étincelles
Je tricotais une dentelle
De solitude en satin doux.
Comme autrice, elle ose la distorsion, l’air de ne pas y toucher. Elle ose ! Dans un roman, évoquer les arrière-pensées ou les pensées tout court, hostiles, nourries par une malade pour les bien-portants. Elle ose ! Évoquer sa vie, ses amours, ses combats (contre le cancer), ses interrogations.
Tu es mon altérité
Un tapis de différence
L’autre son de mes silences
Où mes cris peuvent tomber.
Sylvie Godefroid ose ! Être naturelle, spontanée, sincère, authentique. Tout en cultivant à l’oral comme à l’écrit, à chaque instant de sa vie, une langue recherchée, sophistiquée, bâtie à coup de réinventions des mots, des images et des formules.
Je suis ta page blanche
Aux soleils d’un été
Ton roman à graver
Je suis ton avalanche.
Il y a quelque chose d’Emma Peel, somme toute, l’héroïne mythique des Avengers/Chapeau melon et bottes de cuir, charme quasi bucolique au premier abord, castagne au second.
Je ne suis qu’un pot de taire
Qui s’affirme en poésie
Prenez le présent recueil de poésies, Les longs couloirs (un joli titre !) publié aux éditions du Scalde. Les amateurs du genre, en Belgique francophone, se sont accoutumés à le goûter dans des écrins tout en sobriété raffinée, avec des éditeurs comme Bleu d’Encre, Les Carnets du Dessert de Lune, Le Coudrier, etc. Or le premier contact avec l’objet-livre est ici décapant. La couverture offre un plan rapproché des jambes de l’autrice, de ses pieds surtout : dénudés, en talons hauts et rouges, ils esquissent un mouvement, si pas un pied de nez (à nos conformismes ?). Le rouge et le noir dominent, couleurs ô combien contrastées et provocantes, érotisées, connotées Eros et Thanatos. La quatrième de couverture, de même, livre un filigrane sensuel, une main féminine, spectaculairement baguée et vernie, effleure une mousse de lait. Mais que dire des pages de garde, où Sylvie Godefroid joue les vamps ?
Sur le fil de l’incertitude
J’orage en pensant à tes bras
À la distance de tes draps
Aux toiles de ma solitude.
Les longs couloirs. On les empruntera en grimaçant, en souriant ou en applaudissant. Ou plus gravement, la larme à l’œil peut-être. Ou un pétillement de bulle de champagne en bandoulière autour du cœur. Selon les logiciels personnels. Qu’importe ! Il y a distorsion, et l’art, pour rappel, doit fuir l’académisme, surprendre, interpeller, interroger.
J’écris la solitude
En vers et en récits
Le cri des verts, des gris
Au front des habitudes.
L’art, aussi, par un faux paradoxe, est affaire d’adéquation. Et la distorsion de l’écrin métaphorise la distorsion : Sylvie Godefroid, loin des grincheux et des cyniques du temps, ose. Elle ose l’amour, la poésie. À tout crin. Toutes voiles dehors. Sans fausse pudeur.
J’arpège la poésie
Aux platanes des printemps
Ne nous y trompons pas. Décidément, l’objet-livre, ici, est très inventif et invite à une découverte en deux temps, il faut voir au-delà des apparences, prendre en compte l’extérieur (et le premier contact, celui de la convivialité ou de la séduction) et l’intérieur (le contact approfondi, celui de l’intimité, de la confidence et du partage).
Ce n’est pas rien l’écriture. Écrire, ce n’est pas anodin. C’est livrer mille batailles et délivrer des secrets. C’est pleurer des étoiles et découper des voiles. Monter des projets et démonter des certitudes.
D’où le glissement des photos spectaculaires de Pauline Caplet à celles de Mélanie Patris, dans le corps du livre, en noir et blanc, d’un esthétisme feutré, suggestif, élégant.
Mise en abyme ?
Philippe Remy-Wilkin
LES LONGS COULOIRS, Editions Scalde, 20€
https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/08/17/godefroid-les-longs-couloirs/?fbclid=IwAR3lk9FcJKcRHe1i3vYoJWtPUDGe_1oGS36FJ3rqAhpZFBs_axd1OHLiq7Q
Un procès d'assises fait toujours couler beaucoup d'encre. On y brasse autant de fresques de vérités que la Belgique ne compte de bières artisanales.
Ce n’est pas rien l’écriture. Écrire, ce n’est pas anodin. C’est livrer mille batailles et délivrer des secrets. C’est pleurer des étoiles et découper des voiles. Monter des projets et démonter des certitudes. Ce n’est pas rien l’écriture. […] On ne revient jamais indemne du pays des mots. C’est pour ça qu’il ne faut pas y aller habillé de solitude. Il faut une main pour accompagner chaque plume.