Interview de Greg Iles par Barbara Peters. 1/6
Non sous-titré.
Le chagrin est l'émotion la plus solitaire qui soit : il fait de chacun de nous une île.
Le destin ne laisse pas les hommes choisir les guerres qu'ils doivent mener. Ni même les batailles, parfois. Mais, contre toute attente, un homme déterminé peut quelquefois accomplir des choses remarquables.

Ce soir, la mort et le temps m’ont montré leur véritable visage.
On passe notre vie à franchir laborieusement, aveuglément, les portes de l’abattoir entre le passé et le futur. Chaque seconde est annihilation : la mort de cet instant, la naissance de cet instant. Il n’existe pas d’instant suivant.
Il n’y a que maintenant.
Alors que la vitesse de l’existence paraît très impressionnante quand on la vit, nous nous engouffrons par cette porte comme du bétail qu’on conduit apeuré, obéissant, insensible.
Même quand nous dormons, maintenant devient ensuite aussi inexorablement qu’une rivière usant une pierre.
Les cellules brûlent de l’oxygène, réparent les protéines, meurent et se remplacent dans un enchaînement qui paraît sans fin : pourtant, depuis le ventre de la mère, ces horloges internes ralentissent jusqu’à l’ultime désordre.
Ce n’est qu’à l’ombre de la mort que nous sentons la véritable vitesse du temps – quand l’adrénaline explose dans notre système, l’éternité devient tangible et tout le reste se brouille, passe à l’arrière-plan. C’est alors, que paradoxalement, les secondes paraissent s’étirer, que l’expérience devient hyperréaliste et que la chair et l’esprit s’unissent dans la lutte afin de continuer de respirer, afin de rester conscient, attentif – flottant sur le courant précipité du temps.
Si nous survivons à la menace, notre épiphanie existentielle s’estompe rapidement, car il nous est impossible de la supporter longtemps. Pourtant quelque part en nous, il reste une ligne de séparation.
Avant et après…
Je ne sais si c'est le somnifère, l'alcool ou l'épuisement généré par la lutte menée à la prison de Brody Royal, mais je tiens à peine debout pendant le temps du rituel des dents. Et quand j'atteins enfinle lit de la chambre d'ami, je ne suis même pas capable de soulever l'édredon. Je me contente de m'allonger à la plat ventre, mon esprit fluctuant entre le vide total et les images cauchemardesques de l'enfer enfumé du sous sol du royal.

Quand une personne que vous aimez est assassinée, vous apprenez des choses sur vous que vous auriez donné cher pour ne pas connaitre.
Si vous tuez celui qui vous a volé cette vie, vous découvrez que la vengeance ne remplit en aucun cas le vide abyssal que le meurtre laisse derrière lui. Rien ne le peut, excepté les années d’existence, et seulement si vous avez de la chance.
Annie et moi avons appris cela pour la première fois le jour où le cancer a emporté sa mère. Caitlin a été notre chance.
Il y a neuf semaines, cette chance s’est éteinte. Le meurtre de Caitlin nous a frappés comme un obus d’artillerie tombant d’un ciel bleu dégagé.
Et la première chose que ce genre de bombe fait exploser, c’est le temps.
Les jours et les nuits ne veulent plus rien dire. Le passage des instants et des heures vacille, tout est détraqué. Les horloges génèrent la confusion, et même la panique.
Dans le semi-monde du deuil, le sentiment d’individualité commence à se déliter. Les êtres forts trouvent un moyen de se réorienter selon la structure temporelle superposée qui régit le reste du monde, mais j’ai beau essayer, je n’y suis pas parvenu.
Commençons donc en 1964, avec trois meurtres. Trois pierres lancées dans une mare dont personne ne s'était soucié depuis le siège de Vicksburg, mais qui allait bientôt devenir le centre de l'attention mondiale. Un endroit que la plupart des gens aux États-Unis considéraient comme étant différent du reste du pays alors qu'il incarnait précisément l'âme torturée de l'Amérique.
L'État du Mississippi.
S’il existait une justice dans ce monde, ce salopard serait en train de mourir de la maladie de Charcot, à la place de la jeune mère que j’ai diagnostiquée il y a trois mois. Mais c’est le genre de justice dont rêvent les enfants. Les mauvais prospèrent et les innocents paient l’addition à leur place.
(Actes noirs, p. 420-1)
La guerre en elle-même faisait encore rage dans tout le pays, juste au-dessous de la surface étincelante du Rêve Américain. Certains faisaient semblant de ne rien voir où s'imaginaient que les Russes étaient le véritable ennemi. Mais quiconque avait lu un peu d'histoire savait que les grandes civilisations s'effondraient toujours de l'intérieur. (p. 51)
Il n'y a pas de colline pour celui qui avance un pas après l'autre.
On a beau avoir conditionné le fauve pour qu'il se montre docile, quiconque croit que l'instinct sauvage peut être extirpé d'un prédateur se fait de sérieuses illusions.