L'art du combat avec son ombre
Présentation du livre "L'art du combat avec son ombres" de Gregorio Manzur, maître de Tai-Chi et de Chigong. Par Marc de Smedt.
Je vois le colibri crever à coups de bec les yeux du peuple de Huanacochi, j'entends chanter le petit oiseau brillant tandis que le sang jaillit des pupilles des hommes et des femmes de Huanacochi... Avec ce sang s'efface la mémoire de la race mapuche.

Les règles dans notre discipline sont là, non pas pour nous accabler mais pour nous guider, nous aider.
Et l’instructeur qui les connait, qui a su les intégrer en lui-même, les enseigne, non pas en les imposant de façon autoritaire mais en les laissant « émaner » de lui-même. Telle l’eau de la rivière « accueillant » la pirogue. Il doit être lui-même l’expression la plus fidèle des règles qu’il transmet. À chaque coup de sa rame, il oriente, stabilise, fait glisser l’embarcation.
…
L’enseignant doit avoir réalisé pertinemment, sa véritable nature. Ce n’est plus untel ou unetelle qui enseigne. C’est cet anonyme nous, ce précieux trésor impersonnel que nous sommes, sans mérite, sans affaires, sans nom, sans visage, à qui nous devons ouvrir nos portes afin qu’il puisse déployer les ailes de son savoir, plonger dans le corps subtil de son élève et l’imprégner tout entier.
Non pour s’imposer à lui comme son maître, mais pour éveiller en lui le même Moi qui à son tour le guidera. Et ainsi pendant de longues années, jusqu’au jour où le disciple aura pu s’identifier au vrai Moi de son maître, vibrer dans la même intensité et ainsi ne plus dépendre de lui. Et enfin l’aimer sans calcul, sans motif, sans le moindre intérêt. Parce que son amour et celui de son ami de bien ne font qu’un seul et même sentiment.
Cette écoute du Chi, chère aux moines taoïstes qu’on appelle les « spécialistes du Chi », non seulement nous permettra de découvrir les arcanes de notre anatomie mais de voir le Souffle vital agir dans nos organes, dans nos os, nos cellules nerveuses, comme un sage et patient guérisseur. C’est le courant énergétique interne qui déliera les multiples nœuds de notre corps-esprit.
il n’y a pas d’autre réalité vraie que l’innommable que nous sommes. Pas d’autre entité que ce sans forme qui s’exprime à travers cet organisme merveilleux que nous appelons « notre corps ». Porter notre intention, notre yi, dans cette réalité sans bornes, plus qu’universelle, nous permet de rompre avec toutes sortes de dénominations, pour moi réductrices.

Lorsque le son extérieur devient globalisant, le cerveau cesse de faire la différence entre un son et un autre. Il écoute tout, sans écouter. La vibration émise par les objets extérieurs : voix, violon, tambour, bruit de la rue, il ne les sépare pas de lui-même, il devient un avec eux, en eux. Lui et les sons deviennent impersonnels. Ainsi, lors de notre sommeil profond, nos oreilles continuent à entendre, mais il n’y a pas un sujet qui entend ou qui interprète ces sons. Le sujet, le moi ordinaire, s’est fondu dans l’univers. Il retrouve sa place dans le son cosmique, où tout vibre, où tout joue des « concerts » en solo et en « orchestre ». C’est la mélodie des sphères. Que dire des autres sens ? Il se passe la même chose : tant que nous, nous en tant que sujets qui observent, qui sentent, qui goûtent, qui voient, nous sommes séparés, isolés. En s’éclipsant, le moi ordinaire devient l’univers qui goûte, qui entend, qui perçoit, etc.
Nous vivons dans une société où le « faire » et le « produire » occupent une grande place. Lao-tseu nous dit : « Le Tao ne fait rien et tout se fait par lui. » Dans notre discipline, au début nous devons faire des exercices, des mouvements, puis les sentir, jusqu’à ce qu’ils s’inscrivent dans notre intelligence neuronale et musculaire. Plus tard, après plusieurs années de pratique, nous pouvons cesser de nous appuyer sur cette mémoire, au profit d’un « effacement des traces », qui nous conduira graduellement au wuwei : le lâcher-prise. C’est alors que nous pourrons briser la séparation factice entre notre chi personnel et le chi universel.
Une fois saisie cette présence à soi, une nouvelle tâche commence : celle de se centrer progressivement sur ce Moi. Faire en sorte que chaque moment de notre vie quotidienne devienne une occasion de pratiquer notre présence interne.
Nous constaterons alors que nos actes de chaque jour sont vraiment transcendants.
Qu’ils jaillissent de notre intimité vraie, qu’ils proviennent de la femme vraie sans qualités, sans nom et sans visage, de l’homme vrai sans affaires ni qualités, tous deux libre du temps et de l’espace, libres de la mort et de la vie.
Comme le sama, ces cercles merveilleux des derviches tourneurs, les menant lentement au début, puis rapidement, jusqu’à ce que le Souffle divin (l’équivalent du chi ?) les réintègre à la grâce d’Allah. Cela peut se rapporter aussi au psaume 102 de David : « Les jours de l’homme ressemblent à ceux de l’herbe ; comme une fleur des champs, il fleurit ; le vent avance rapidement sur lui et il s’envole, ne connaissant plus sa place. »
Roue du destin, en fait, portant toutes les créatures du monde sur les voies circulaires de l’existence.
L'univers est le résultat de la spontanéité universelle ", l'entendais-je dire. Point de Dieu créateur, juste des créatures ; dehors le sinistre Jugement dernier suivi des flammes de l'Enfer !
C’est incroyable comme nous nous obstinons à nous faire souffrir ! Lorsqu’il y a des raisons de souffrir, eh bien souffrons. Mais quand nous avons l’occasion d’être en paix avec nous-mêmes et avec les autres, alors écartons ces pensées parasites – oiseaux de malheur qui nous accablent – et voyons que le soleil brille toujours : lors de son cycle (cercle) du jour ; pendant son cycle (cercle) de la nuit.