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Critiques de Grégory Mardon (183)
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Le travail m’a tué

Lorsque Carlos Perez passe un entretien dans une grande entreprise automobile, après de brillantes études à Centrale, il est quelque peu stressé. Un rêve pour lui d'intégrer une boîte comme celle-ci, lui, le fils d'immigrés espagnols et simples ouvriers. Au bout de cinq ans, le voilà promu chef d'atelier et de belles perspectives s'offrent à lui. Il travaille alors à la conception des modèles. Un travail qui lui plait énormément. Il rencontre alors Françoise avec qui il se marie et fait un enfant. Malheureusement, l'entreprise déménage en banlieue et cela n'arrange pas le jeune homme qui va devoir supporter au moins une heure de voiture matin et soir. Qui plus est, l'organisation des bureaux en open-space l'empêche de se concentrer. La direction change également l'organisation des tâches de chacun, la concurrence s'imposant et ébranlant la stabilité de l'entreprise. Les objectifs individualisés deviennent de plus en plus exigeants. Carlos, lui, veut réussir à tout prix et se donne cœur et âme à son boulot, négligeant sa petite famille...



Le travail m'a tué... Un titre on ne peut plus explicite qui traite avec justesse et émotions le suicide au travail. Inspiré de faits réels, quelque peu romancés, ce roman graphique s'inspire librement du livre "Travailler à en mourir" de Hubert Prolongeau pour lequel ce dernier a enquêté chez Renault et France Télécom (pour ne citer qu'eux). Ici, l'on suit le parcours de Carlos Perez, de ses débuts prometteurs dans l'entreprise automobile à son suicide. Les scénaristes, tout au long du récit, dépeignent avec subtilité les raisons qui ont poussé cet homme à ce geste fatal. Des objectifs démesurés, un management inadapté, un travail de plus en plus individualisé, des déplacements de longue durée, des trajets fatigants, des heures sup', un manque d'écoute (des RH ou de la hiérarchie)... Autant d'éléments qui, bout à bout, broient petit à petit Carlos Perez. Ce récit fait froid dans le dos, évidemment. Il nous entraîne dans une spirale infernale et une ambiance oppressante. Le dessin de Grégory Mardon s'avère simple mais d'une grande efficacité. En noir et blanc, ponctué ici et là d'une seule couleur (bleu, mauve, ocre...).

Un récit social touchant...

N'oublions pas que les médias estiment la part des suicides au travail en France entre 300 et 400 cas par an.
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Prends soin de toi

Une petite tranche de la vie d'un homme gentil, qui vient d'être quitté par celle dont il croyait être aimé, qui achète un appartement à rénover lequel va l'amener à prendre la route de Paris à Marseille, cela parce qu'il a découvert sous le lino du logement une lettre adressée quelques quarante années plus tôt à l'ancienne propriétaire décédée.



Il est plein de bonnes intentions, Achille, il voudrait retrouver celui qui a rédigé la lettre, un nommé Tristan, pour la lui restituer et vérifier si une autre histoire d'amour a aussi mal tourné que la sienne.



Le plus intéressant, c'est son voyage, avec de très beaux dessins de la nature, campagne, villes, lacs, châteaux et quelques rencontres au fil du temps, cet ennemi ami qui lui permet peu à peu de dissocier ses amours contrariées des réalités de la vie et de retrouver le goût de celle-ci.



J'ai particulièrement aimé ces planches nombreuses sans légende dans la nuit, la nature, la mer où l'on peut suivre le cheminement d'Achille. Elles laissent le lecteur s'imprégner d'une ambiance, partager les préoccupations d'Achille et imaginer...



Marseille présentée en double page sous forme de jeu de l'oie est également une réussite de cette belle bande dessinée, de même qu'une première de couverture qui, à elle seule, éveille l'envie de suivre Achille vers son objectif, même irréaliste.



J'aimerais bien une suite...
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Le Fils de l'Ogre

L'amour ? Ma vérité, c'est qu'on n'est pas aimé. Il n'y a rien en nous à aimer ou alors autre chose que ce que l'on est vraiment. On n'aime que des illusions, des rêves, des reflets et des ombres sous la lueur vacillante et changeante d'une bougie.

p37



Instant critique, noir et sombre

Certitudes en embuscade

Conter les décombres...

Fini les petits cailloux blancs,

Tirez la chevillette, ptit fri Mousset !

Fini l'Ogre de ma vision d'enfant

des comme ça , sans trop abuser

Des farces de dindon

j'en redemande par avance à Grégory...Mardon





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Prends soin de toi

Un cauchemar le réveille en sursaut. Un crash d'avion dont il ressort carbonisé... Dans son appartement encombré de cartons, Achille se lève, prend un médicament qu'il avale avec un verre d'eau. Peu de temps après, il se rend à l'agence immobilière avec laquelle il vient de signer un acte d'achat. Un petit deux-pièces à rénover. Alors qu'il se présente à la concierge, celle-ci l'informe que c'est elle qui a trouvé, il y a un an à peine, le corps sans vie de l'ancienne propriétaire, mademoiselle Cardin. Les jours passent, gris et maussades. Achille déambule dans sa nouvelle vie. En déballant l'un de ses cartons, il tombe sur une petite épingle à cheveux qui semble l'ébranler. Vient alors le temps des travaux. Casser. Démonter. Poncer. Décaper. Décoller. C'est alors justement en tentant de décoller le lino qu'il tombe sur une lettre, vieille de 40 ans, destinée à Suzanne Cardin de la part d'un certain Tristan Vlanek. Une lettre d'amour dans laquelle ce dernier propose à Suzanne de venir s'installer avec lui à Marseille et dont il attend sa réponse. Ce courrier perturbe Achille à tel point qu'il décide de se rendre dans la cité phocéenne afin de retrouver cet homme qui n'a, visiblement, jamais reçu de réponse. Quelques affaires de camping, des vêtements et le voilà parti à bord de sa Vespa sur les petites routes de France...



Et si cette lettre n'était qu'un prétexte ? Pour fuir sa propre vie ? Transposer sur quelqu'un d'autre son propre vécu ? Car, depuis qu'Achille a mis la main sur cette lettre d'amour que sa destinataire n'aura jamais lue, il n'a qu'une idée en tête : retrouver son expéditeur et s'imaginer l'attente, le désespoir ou la déception de ce dernier. Ce périple sur les routes de France sera l'occasion pour Achille de faire le bilan de sa vie, de ses attentes, de se reconstruire et de se réinventer un futur qu'il s'imaginait morose. Grégory Mardon nous offre un album touchant, une véritable parenthèse ensoleillée, dans lequel il entrelace les souvenirs amoureux et la découverte et l'émerveillement devant cette nature luxuriante, devant une vie qui se profile sous de meilleurs horizons. Il nous offre de belles réflexions sur le temps qui passe et sur ce qu'on en fait. Un road-movie intime et profondément vivant mis en lumière par de magnifiques planches colorées et expressives, parfois apaisantes ou contemplatives, exprimant tour à tour les émotions de cet homme qui tente de se reconstruire.

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L'échappée

Dans leur appartement qui surplombe la ville, une famille prend son petit-déjeuner. Tandis que la mère est au téléphone et les gamins ont les yeux plongés sur leur écran, le père, lui, a le regard vide. Il est l'heure pour tous de partir et chacun s'en va de son côté une fois les portes de l'immeuble franchies. Le père est entraîné aussitôt dans le flot de la foule. Après un détour au guichet, c'est en métro, le nez dans son journal, où se côtoient guerre, mode, malbouffe, surconsommation, pollution, famine ou encore publicités, qu'il se rend à son boulot. Une journée harassante, entre les coups de fil, les réunions, les consultations, les maquettes, la visite sur le chantier de construction d'un nouvel immeuble. Et c'est là, étonné, portant alors son regard au loin, qu'il aperçoit la mer. Arrive enfin la fin de la journée. Après son sport, il rentre chez lui, laisse les enfants seuls, va au restaurant puis au spectacle avec sa femme avant de finir dans un bar. Malgré la fatigue, il n'arrive pas à dormir. Le nez collé à la baie vitrée, il regarde au loin et prend soudainement conscience de ce quotidien qui va trop vite...



Grégory Mardon, par le biais de ce mari et père de famille qui du jour au lendemain décide de changer de vie, interroge sur le quotidien (voire train-train) qui nous emprisonne, sur la vie qui défile si vite et sur le sens que l'on veut justement lui donner. Mais, pour autant, une fois le pas franchi, l'herbe est-elle vraiment plus verte ailleurs ? Sans parole, cet album, original et pertinent, nous entraîne, depuis le monde industriel en passant par un univers science-fictionnel très lisse, vers une vie sauvage et primitive. Cette quête du bonheur, cette fuite en avant, se révèle finalement bien amère (et vaine ?), quel que soit le monde dans lequel évolue cet homme, chacun ayant ses travers. Graphiquement, le dessin bichromique aux dominantes bien distinctes pour chaque partie de cet album (beige/olive pour la première, bleu pour la deuxième et vert pour la troisième), sert parfaitement cette échappée qui se veut belle...
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La vraie vie

Jean, quand il ne travaille pas en tant qu'agent municipal, passe le plus clair de son temps sur internet. Connecté à toutes heures de la journée et de la nuit, que ce soit pour regarder des vidéos, tchater avec des inconnus, jouer à un jeu avec un pote (qu'il ne connait évidemment pas) ou suivre les actualités politiques, économiques, mondiales ou musicales. Ses collègues ne comprennent pas l'intérêt de tout ça et se demandent ce que cela lui apporte. Un soir, il fait connaissance avec un(e) certain(e) Timfusa, installé(e) aux États-Unis, dans le Wyoming. Jean ne cherche pas vraiment à connaître son sexe, son interlocuteur parlant français, la discussion s'engage naturellement. Ils se partagent des photos, petits indices sur la vie de chacun. En même temps, le jeune homme fait la connaissance de Carine, la fille des cafetiers du coin, revenue de Paris pour bosser à la mairie... 



Thomas Cadène, à travers cet album, soulève quelques questions à propos d'internet et de l'usage que l'on en fait. Ainsi, l'on suit le quotidien de Jean, qui se dit non accro à internet mais qui y passe tout de même beaucoup de temps (que ce soit pour jouer, entretenir des relations virtuelles, s'informer, écouter de la musique, regarder des films...). Osera-t-il laisser tomber son portable et son ordinateur pour passer un peu plus de temps dans la vraie vie. Sans tomber dans la caricature, l'auteur dresse le portrait d'un homme touchant, célibataire et un peu seul. Autour, des personnages, qu'ils soient réels ou virtuels, émouvants ou drôles. Une chronique sociale juste qui révèle avec lucidité la place d'internet dans la vie de tout un chacun. Graphiquement, Grégory Mardon nous offre des pages originales "patchworks". La mise en page est dynamique, le trait épais et les couleurs vives.
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Vagues à l'âme

Pendant que Grégory mange gentiment sa soupe, sa grand-mère lui raconte l'histoire du jeune Joseph et de son grand-père, chercheur d'or en Amazonie. Une fois l'histoire et le potage terminés, il est temps d'aller au lit. Un dernier bisou avant que chacun ne rejoigne sa chambre. Assise sur son lit, cette dernière contemple avec nostalgie le portrait de feu son époux, Adolphe Hérault, et se remémore son passé...

1937. Âgé d'à peine 16 ans, Adolphe, que tout le monde appelle Dodo, est garçon-boucher à Douai, certain qu'il n'y passera pas toute sa vie. Et pour cause, il décide de s'engager dans la marine. Son père a plutôt bien pris la nouvelle, lui conseillant simplement de faire attention. Pour ce qui est de sa mère, il aura du mal à la convaincre tant les reproches fusent. Qu'importe, voilà le tout jeune homme, quelques mois plus tard, à bord d'un immense navire. Comble de l'ironie, il travaillera dans les cuisines, à couper, trancher, désosser des kilos de viande. Au bout d'un an, il devient fusiller marin, parcourt les mers et les océans, de Djibouti à Hanoï en passant par Ceylan, et se lie d'amitié avec deux autres marins avec qui il fait les 400 coups...



Grégory Mardon revient avec tendresse et émotion sur le passé de son grand-père aujourd'hui décédé. De Douai à Fécamp, en passant par Hong-Kong, Saïgon ou Alexandrie, Adolphe Hérault a bourlingué mais a aussi vécu une magnifique histoire d'amour. L'auteur retrace le parcours de son grand-père, s'attardant ici et là sur ses bêtises de jeunesse, sa passion pour le sport ou encore son histoire d'amour, mais aussi le contexte historique parfois dramatique à savoir les guerres ou l'Indépendance. Cet album, c'est avant tout la vie d'un homme, à la fois simple et touchante. Émouvante dès lors que le regard posé devient intime. Un portrait sensible et attendrissant porté par un noir et blanc sobre et efficace.
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Sarah Cole

Il s'appelle Paul, elle Sarah.

Il a de la prestance alors qu'à l'instar de Thérèse, elle n'a pas un physique facile.

Avocat le jour pendant qu'elle emballe des mag' TV à la chaine, rien en commun si ce n'est leur présence hasardeuse au Ogood's bar, un soir de semaine.

Contre toute attente, magie des lieux aux mille breuvages désinhibants, allez savoir, ces deux-là vont accrocher alors que la probabilité d'un tel scénario se montait initialement à 72/1.

Mazette, le lucratif pari que voilà.

La question qui taraudera le lecteur fébrile tout du long : véritable amour naissant ou pervers jeu du chat et de la souris ?

La réponse dans Sarah Cole, une histoire d'amour d'un certain type.

Amateurs d'habile jeu de mot, vous noterez la subtilité accrocheuse du titre...



Tiré d'une nouvelle de Russell Banks, ce Sarah Cole s'apprivoise mais ne se donne pas le premier soir. Question de principes.

Un spectre coloré festif en diable allant du noir charbon au rutilant pinchard en passant par l'explosif gris de payne, pas une énorme envie de déboucher un champomy, là, tout de suite, maintenant.

Ajouter à cela un trait épuré pas follement agréable visuellement et c'est avec moult réticences que l'on se lance corps et âme dans cette idylle naissante. Commençons par l'âme, pour le corps de Sarah, on verra plus tard. Question de principes.



Et bizarrement, les pages défilent, faisant fi de tout bête préjugé initial.

L'histoire déroule, habile, intrigante, sans véritablement donner d'indices quant aux réelles motivations de ce beau gosse désormais flanqué de sa nouvelle princesse. Si, de loin dans le brouillard, la ressemblance est à s'y méprendre.

Paradoxalement, et c'est peut-être là que le bât blesse, en voulant titiller la fibre incertitude du lecteur jusqu'à la corde, j'avoue m'y être perdu. En même temps, y avait un brouillard à couper au couteau à beurre, alors...



Bref, Sarah Cole partait de très loin et n'était ce final peu explicite, j'eus pu me fendre d'un like, pouce vert en haut, frôlant l'exaltation.



3,5/5
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Le travail m’a tué

Quand on demande à un enfant ce qu’il voudra faire plus tard, il répond souvent qu’il sera pompier, maitresse d’école, astronaute, infirmière…mais jamais aucun enfant ne dit qu’il voudra faire un travail abrutissant, un travail auquel il ne comprend rien, un travail qui l’use, un travail qui lui pompe toute son énergie, un travail qui le rend malade et parfois même le tue.



Inspiré d’une histoire vraie, celle d’un des nombreux suicides au sein d’une très grande entreprise, cette bande dessinée raconte avec une efficacité redoutable l’engrenage dans lequel le héros se trouve piégé.



Parce que les décisions sont prises par des gens qui ne connaissent rien au domaine dans lequel ils travaillent, parce que les communications sont réduites à des échanges de mails informels, parce que la charge de travail est toujours plus importante, parce que les employés ne sont plus que des pions amovibles et jetables, parce que l’humain n’a plus sa place dans une société capitaliste qui vise le toujours plus, toujours mieux, toujours plus vite, bon nombre de personne se perdent littéralement dans ce nouveau monde du travail qui n’a plus de sens, sacrifiant leur vie personnelle, leur santé et parfois leur vie.



Malheureusement, bien que le sujet soit davantage connu aujourd’hui, le suicide au travail est loin d’être un sujet obsolète car le management actuel ne prend toujours pas en compte l’individu, on ne valorise pas le travail et les compétences mais on glorifie le profit, la rentabilité, l’obéissance, la vitesse d’exécution et tant pis si ça laisse des hommes et des femmes sur le carreau.

Une bande dessinée qui fait peur, qui fait voir rouge, qui nous ronge les tripes et qui nous laisse exsangue car de telles conditions de travail ne sont pas seulement l’apanage des grandes entreprises mais concerne de très nombreux milieux professionnels.



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Le travail m’a tué

Une BD à offrir à Didier Lombard et sa triste évocation de "mode du suicide" chez France Télécom.



Le Travail m'a Tué. Tout est dans le titre.

Mais derrière ce dur labeur, il y a des personnes, carriéristes, opportunistes, dénuées de tout cortex empathique, suffisamment courtisanes pour pressurer, harceler, menacer un salarié qui finira par lâcher la rampe.

Bienvenue dans le monde du travail.



Le trait est simple, la colorisation pas follement enthousiasmante.

Mais peu n'importe. L'intérêt est ailleurs.

Il s'appelait Carlos Perez et j'aime autant vous dire que la papayou, papayou lélé, c'était pas au menu.



Élément prometteur intégrant l'entreprise dont il rêvait, il allait lentement mais sûrement sombrer.

Non pas de manière frontale mais de façon insidieuse, lente et sournoise.

Quand on peut faire durer le plaisir, pourquoi se priver.



Ce récit décortique magistralement les mécanismes usités pour pousser un salarié dans ses derniers et ultimes retranchements.

Une pieuvre qui ne dit pas son nom mais qui étouffe sur la durée.



Tout y est à sa juste place, sans pathos ni misérabilisme.

De l'évolution de Carlos -et de son humeur par ricochet- au sein de la boîte à ses rapports familiaux de plus en plus conflictuels, la roue de l'infortune est lancée et tourne sans discontinuer. Il n'y aura qu'un seul "gagnant", la boîte, vorace, omnipotente, jamais bien loin de vos futures emmerdes qui ne tarderont pas à déferler en cascade, soyez-en sûrs.



Fascinant et dérangeant, ce petit guide de survie en entreprise pourrait bien vous sauver la mise, à moins qu'il ne soit déjà trop tard...

En vous souhaitant une belle journée.
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Sarah Cole

Ce soir-là, Paul, jeune avocat brillant, distingué et plutôt bel homme, est installé au comptoir du Oggood's bar. Il commence à déguster son whisky soda, tout en fumant et lisant le journal. Lorsqu'il se fait interpeller par Sarah Cole, une mère de famille divorcée, d'un certaine âge, pas très élégante, un visage assez ingrat et ouvrière dans une imprimerie. Un pari avec ses copines avec qui elle est venue boire un verre après le boulot l'a en quelque sorte incité à aborder le jeune homme. Tout semble séparer ces deux-là et pourtant, la conversation s'engage. Ils sympathisent aussitôt, boivent un coup ensemble, Paul allant même jusqu'à lui dire qu'il la trouvait charmante. Autour d'eux, les clients ne peuvent s'empêcher de les regarder et d' y aller de leurs commentaires jusqu'à ce que ce nouveau couple mal assorti se sépare. Quelque temps plus tard, ils se retrouvent exactement au même endroit et passent la soirée ensemble...



Cet album est adapté d'une nouvelle de Russel Banks, l'une des plus traduites dans le monde, "Sarah Cole", inspirée d'une part par son expérience, d'autre part, par le vieux conte du Prince grenouille dans lequel une belle princesse embrasse une vilaine grenouille qui se transforme en prince charmant. Cette fois-ci, l'auteur a inversé les rôles. Ces deux êtres ô combien opposés vont vivre une sorte d'histoire d'amour pour le moins originale. S'agit-il réellement d'amour, d'ailleurs, tant il semble pervers et retors? Si le scénario est atypique et la psychologie des personnages fouillée, l'on reste malgré tout sur notre faim tant cette nouvelle aurait mérité qu'on s'y attarde plus longuement. D'autant que graphiquement, ça manque de parfois finesse même si ce noir et blanc et ces silences se suffisent.
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Le travail m’a tué

Carlos Perez s'est suicidé dans son entreprise.

Le lieu choisi en dit long sur l'origine de son désespoir.

Quelques mois plus tard, sa veuve, assistée d'une avocate, est au Tribunal afin d'intenter un procès à l'employeur pour 'harcèlement moral, institutionnel, organisé'.

L'entourage est sceptique :

« Tu crois qu'elles ont leur chance ?

- Pourquoi pas ? On en a beaucoup parlé, les juges auront peut-être envie de faire un exemple...

- Moi je n'y crois pas. Ça fait plutôt baroud de la dernière chance pour elles.

- Et puis les juges... Ils y connaissent quoi, à l'entreprise ? »



Retour sur le CV de Carlos.

Ses parents ont quitté l'Espagne en 1974, sa mère n'a jamais bien parlé le français, son père est ouvrier. C'est merveilleux pour lui d'avoir réussi le concours de 'Centrale'.

Le diplôme en poche, il est enthousiaste à l'idée d'intégrer l'industrie automobile - son père lui a transmis sa passion pour les voitures.

Mais une fois en poste, les difficultés et désillusions s'enchaînent, le monde de l'entreprise est une machine qui broie les plus faibles ; la boîte doit être compétitive - le collectif doit suivre, voire précéder, donc anticiper, changer de cap au gré du vent.



Inspiré de l'essai 'Travailler à en mourir' (Hubert Prolongeau et Paul Moreira), ce témoignage est d'autant plus intéressant qu'il montre subtilement que le suicide 'au travail' s'inscrit dans un noeud - de plus en plus serré - de difficultés imbriquées.

La personnalité de Carlos est déterminante, différente de celles de collègues moins sensibles, qui résistent mieux aux mêmes obstacles, déceptions, affronts. Sa vulnérabilité est liée à son parcours personnel, à ses ambitions, à sa rigueur et son sérieux de 'bon élève' qui l'empêchent de prendre du recul, de passer outre certains comportements hiérarchiques dictés par une logique globale, de lâcher prise une fois rentré chez lui.

Pour ne pas y laisser des plumes, il faut s'impliquer, mais pas trop, savoir dire non, comme lui conseillent des collègues qui le voient dégringoler :

« Je crois que tu aurais la vie plus cool si de temps en temps tu t'en foutais un peu. T'es pas responsable du monde entier. Il y a des décisions qui te dépassent. (...) Faut dire Amen pour ne pas se faire écraser, vieux. »

« Parce que tu crois encore à leur reconnaissance? Alors là, mon gars, tu te fourres le finger in the eye... bien profond. »



Facile à dire...



Le roman noir d'Elisa Vix, 'Elle le gibier', le montre très bien aussi.



En fait, en relisant le début de la BD avant de rapporter l'album à la bibli (j'ai hésité à faire un billet, même), je perçois le cynisme de certains cadres, comme le DRH, à l'issue de l'entretien de recrutement de Carlos :

« Je crois qu'on peut miser sur celui-là. Il vient de très bas et il a envie de bien faire pour montrer qu'il reste un bon élève. A mon avis, ce sera un bon cheval. »

Alors je pourrais tout aussi bien recommencer ce billet et exprimer un avis beaucoup plus sévère sur la hiérarchie, que j'ai souvent envie de dédouaner, car les encadrants aussi sont sous pression, entre le marteau et l'enclume...

Pas le courage, sujet trop douloureux.
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Le travail m’a tué

Carlos a réalisé son rêve d’enfant, dessiner des voitures, mais celui-ci tourne au cauchemar. Un système de harcèlement moral est insidieusement mis en place dans son entreprise, progressivement, pour augmenter au maximum la rentabilité des personnels. Inspiré d’une histoire vraie ce récit décortique les dérives managériales qui conduisent au drame : open space, pôle technique éloigné de l’usine et des ateliers de fabrication, management uniquement soucieux d’augmenter la rentabilité, contrôle permanent, évaluations et objectifs individualisés, régulièrement revus à la hausse, nouveau logiciel imposé, sans formation ni assistance, programme « Contrat d’avenir » ambitieux avec production de vingt-six modèles au lieu de quatorze, progression de marge de 6% et réduction des coûts de 30, etc.

(...)

Édifiante démonstration par l’exemple.



Article complet sur le blog.
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Le travail m’a tué

Voici une excellente bande dessinée, pas forcément très gaie mais de salubrité publique, qui renvoie aux suicides des salariés de Renault ou de France Télécom.



Cet album reprend des éléments du livre Travailler à en mourir : Quand le monde de l'entreprise mène au suicide de Paul Moreira et d'Hubert Prolongeau, ce dernier étant coscénariste de la BD.



Inspiré de faits réels, « Le travail m'a tué » décrit avec minutie et finesse l'engrenage qui va conduire un cadre modèle au suicide et dresser un constat dur mais lucide de l'évolution du monde du travail. Cette douloureuse immersion dans ce que le management moderne a fait au monde de l'entreprise est assez terrifiante,



L'histoire raconte la destinée d'un jeune fils d'ouvriers immigrés espagnols, qui va rentrer dans la boite de ses rêves, grande pape de l'industrie automobole .



Trente ans plus tard, la boite de ses rêves l'a compressé, et usé jusqu'à la corde. Les méthodes de management sans logique les objectifs individuels toujours en hausse, mais aussi l'envie de toujours prouver de quoi il est capable, vont conduire Carlos à la plus dramatique des décisions ( c'est le tout début de l'album on spoile pas) , à savoir sauter dans le vide dans le lieu de travail et se tuer .Basée sur les faits réels qui se sont déroulés chez Renault, la BD illustre magnifiquement cette spirale infernale qui broie ceux qui sont victimes d'une entité qui n'éprouve aucune espèce de considération pour ceux qui la fait vivre, , qu'elle tort et retort sans se soucier des conséquences.



Ce récit dur prend une autre résonance à l'heure ou se déroule le procès pour harcèlement moral des anciens dirigeants de France Télécom. Il faut vraiment lire ce récit fascinant bien que très dur, dans lequel beaucoup de salariés pourront se retrouver.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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La vraie vie

Je lis de plus en plus de bd, mangas et romans graphiques. Grâce à la bibliothèque numérique, j'ai pu découvrir La vraie vie de Grégory Mardon.

Jean, la trentaine heureuse, est employé municipal en province. Célibataire, il mène une vie paisible le jour, et passe ses nuits sur Internet. Il aime dialoguer avec des inconnus aux pseudonymes extravagants, télécharger des films pornographiques, écouter de la musique, jouer à des jeux en ligne d’une grande violence où le massacre est de mise.

Sa vie en ville se confond à sa vie d’internaute, les échanges nocturnes avec Timfusa qui semble vivre dans le Wyoming sont aussi nécessaires que de tomber amoureux de Carine au fil des jours.

Jusqu’à ce que Jean soit rattrapé par la réalité de la vie qui passe...

La vraie vie est un roman graphique assez sombre qui m'a beaucoup plu autant au niveau de l'histoire, des textes, que des illustrations.

Cet ouvrage montre bien la place qu'occupe désormais Internet dans notre vie ! Cet album me parle évidemment. Même si contrairement à Jean je ne regarde pas de porno. Mais dans le passé il m'est arrivé de discuter avec des gens que je ne connaissais pas, et sans aller jusqu'au fait que ces échanges étaient nécessaires, ils étaient normaux. C'étaient des amis, virtuels certes mais la frontière entre les deux peut paraître bien mince à certains !

Le comportement de Jean m'a fait sourire. Il n'est pas accroc à Internet toutefois il y passe de nombreuses heures par jour... et n'arrive pas à s'en passer :) Mais, bien sur, il n'est pas accroc ! Oui, je vous le dit, par certains cotés il m'a fait penser à moi, à mon mari, à mon fils et tant d'autres personnes de mon entourage :)

Jean est un homme touchant que j'ai aimé découvrir à travers ce roman graphique. Cet album est tout à fait d'actualité et parlera à beaucoup d'entre nous. Je suis ravie de l'avoir emprunter, surtout que la numérisation était très bonne.

Ma note : cinq étoiles.
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Le Teckel, tome 3 : Votez le Teckel

En ces temps moroses, j'alterne romans et bandes dessinées pour changer et surtout Rire!...emprunté au hasard à médiathèque, sur ce titre rigolo "Votez leTeckel"...et me voici embarquée avec Monsieur Farkas en politique! Farkas... ll me fait penser à fakir...Alias Teckel!, ...j'avoue que la politique n' est franchement pas ma passion..mais le personnage est drôle, franchouillard, inexpérimenté, entouré d'un staff féminin de communication survoltée..



..et voilà comment on bâtit une "bête politique"!..les politichiens, bienvenue en campagne électorale! Teckel bat la campagne française pour rameuter une meute...de votants, entre resto, jeux d'influences, show télé et visites aux mairies de France et de Navarre...un vrai marathon !

C'est drôle, la caricature a du mordant, c'est vif.!..cela m'a plu!



Votez pour le RIRE!
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Dulcie: Du Cap à Paris, enquête sur l'assassina..

Avec le discret, on est peinard !

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Ce tome contient une enquête journalistique sur la mort de Dulcie September, abattu à Paris le 29 mars 1988. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Benoît Collombat, journaliste, et Grégory Mardon, bédéiste. Il compte deux-cent quatre-vingt-dix-huit pages de bandes dessinées, en noir et blanc avec des nuances de gris. Il se termine avec deux pages de notes et crédits, un paragraphe de remerciements, et une page listant les autres ouvrages de ces auteurs.



Paris 10e arrondissement, rue des petites Écuries, le 29 mars 1988, Dulcie September marche dans la rue, en se retournant une fois ou deux pour voir s’il y a quelqu’un derrière elle. Elle atteint le numéro trente-huit de la rue et pénètre par la porte d’entrée dans un porche. En passant devant loge, elle prend le courrier que lui remet la gardienne. Elle pénètre dans l’immeuble par l’accès au fond de la cour, ouvre la porte de l’ascenseur et appuie sur le bouton du quatrième étage. Elle sort de la cabine à 09h47. Elle prend les clés dans sa poche pour ouvrir la porte des locaux parisiens de l’ANC (Congrès National Africain) et commence à tourner la clé. Dans son dos, un homme fait feu à cinq reprises, un autre se tenant derrière lui. Ils descendent par l’escalier, alors que la femme gît morte, étendue sur le sol dans une flaque de sang. Ils croisent un homme qui entre dans l’immeuble et qui monte dans l’escalier après les avoir laissé sortir.



Extraits du rapport d’enquête de la brigade criminelle – Le cadavre repose en position dorsale, en diagonale d’un axe imaginaire situé entre la porte d’ascenseur et la photocopieuse posée au sol. La face, maculée de sang, est tournée vers le plafond. La tête se situe à 60 cm de la porte d’ascenseur et 108 cm du mur de gauche, en sortant de ce dernier. Les paumes de mains sont tournées vers le plafond, les doigts repliés sur les paumes. La main gauche se situe à 60 cm du mur de gauche et à 34 cm de la porte d’ascenseur. Les jambes sont pliées et écartées, la distance entre les deux genoux est de 80 cm. À droite de la tête de la victime, un important écoulement sanguin imprègne le tapis et la moquette, ainsi que la chevelure au niveau postérieur du crâne. Au total, six coups de feu ont été tirés par un pistolet petit calibre 22 LR, cinq balles ont atteint Dulcie September à courte distance, précise le rapport d’enquête. Six douilles cuivrées longues de 15 mm sont retrouvées sur place. Dans le salon d’un appartement, les auteurs écoutent Jacqueline Derens, ancienne militante anti-apartheid, raconter sa première rencontre avec Dulcie September : cette dernière était venue à l’UNESCO témoigner du sort des enfants sous l’apartheid, qui mouraient à cause de la malnutrition ou faute de vaccins. Jacqueline était fascinée par la passion avec laquelle Dulcie expliquait les choses. Elle ne se contentait pas d’aligner des chiffres, elle vivait l’horreur de l’apartheid dans sa chair, et ça, pour les militants, c’était irremplaçable



Le sous-titre annonce clairement la nature de l’ouvrage : une enquête de journaliste sur un assassinat dans Paris, d’une militante anti-apartheid. Cette enquête est menée par un journaliste de profession, travaillant à la rédaction de France Inter depuis 1994 en qualité de grand reporter. Il raconte l’enquête qu’il a menée sur ce meurtre, et il explique la raison qui l’a amené à se lancer dans cette entreprise : Pourquoi raconter cette histoire aujourd’hui ? D’abord parce que cet assassinat s’est déroulé sur le sol français, en plein Paris, quelques semaines avant la réélection de François Mitterrand à l’Élysée. Ensuite, parce que cette affaire reste un mystère. L’enquête judiciaire française s’est soldée par un non-lieu en juillet 1992, sans que soient identifiés les coupables. […] L’assassinat de Dulcie September est une histoire qui reste très gênante pour la France : Dulcie dénonçait les relations économiques illégales entre Paris et le régime de l’apartheid, notamment en matière d’armement. Ce soutien des autorités françaises à un régime officiellement raciste est, aujourd’hui, encore, largement méconnu. […] Depuis plus de dix ans, Collombat accumule de la documentation, il épluche les archives et il réalise des interviews filmées avec celles et ceux qui ont connu Dulcie à l’époque. Beaucoup sont morts aujourd’hui. Le temps est venu de raconter cette histoire et de tenter de comprendre pourquoi Dulcie September est devenue une cible.



Ayant conscience de cela, le lecteur s’attend à une narration visuelle adaptée en conséquence. En particulier, elle comporte une forte part de têtes en train de parler : des témoins d’origine très diverse, racontant ce qu’ils ont vécu, parfois au temps présent, parfois comme souvenirs du passé. L’artiste doit reproduire l’apparence de nombreuses personnes politiques et autres. Il a dû produire un grand nombre de pages, ce qui a dû s’accompagner d’une cadence assez élevée. Très rapidement, le lecteur se rend compte que chaque page contient une forte densité d’informations, et que la narration est entièrement soumise à l’enquête. De temps en temps, une page ne peut être composée que des cases avec le buste d’une personne en train de parler, au travers d'un copieux phylactère. Pour autant ce dispositif permet d’incarner chaque propos, de voir qui les tient, et il montre qui parle, en toute transparence. Les deux auteurs font en sorte que le lecteur puisse voir qui parle, et à quel moment de sa vie, c’est-à-dire autant d’éléments d’information et de contexte laissant le lecteur libre d’apprécier les biais potentiels du locuteur. Par exemple Jacqueline Derens évoquant ses souvenirs de Dulcie September, trente ans plus tard. Ou bien Jean-Marie Le Pen en train de s’exprimer en direct au cours de l’émission L’heure de vérité, le 27 janvier 1988, les archives permettant de reproduire la séquence sans risque de déformation du fait des décennies passées. De même, voir Collombat poser des questions rappelle que lui aussi se livre à cette enquête avec un objectif précis, ce qui oriente le champ de ses questions, ce qui peut avoir une incidence sur la réponse de ses interlocuteurs.



Le journaliste réalise une enquête qui explore de nombreuses possibilités, en fonction des réponses des personnes qu’il interroge, avec qui il discute, aussi bien ceux qui ont côtoyé Dulcie September dans sa famille, dans la branche parisienne de l’ANC (African National Congress), aussi bien des policiers qui ont enquêté sur le meurtre, d’autres activistes, des politiciens avec des niveaux de responsabilité variés. L’enquête évoque aussi bien des enjeux politiques que des enjeux économiques à l’échelle d’entreprises internationales, à l’échelle également de plusieurs nations. Cela induit que le dessinateur représente des situations, des environnements, des accessoires très variés. Cela commence avec une rue de Paris, une cage d’escalier avec un ascenseur, pour déboucher dans cette première scène sur un pistolet équipé d’un silencieux et un cadavre ensanglanté. Par la suite, Grégory Mardon montre les discussions assises autour d’une table pour recueillir des témoignages, aussi bien dans une cuisine que dans un salon bourgeois, des colloques et des allocutions officielles, des violences de foule, la ville d’Althone dans la banlieue du Cap, des manifestations de protestation, une cellule de prison, des cartes géographiques pour montrer les frontières, la ville de Genève, de Nice, de Zagora, la place de la Bastille, son opéra et la colonne de Juillet, l’assemblée nationale, les couloirs du métro parisien, des installations de centrale nucléaire, la gare d’Amsterdam, des missiles, d’avions militaires Mirage F1, etc. Il reproduit également la ressemblance de nombreux hommes politiques ou de personnalités comme François Mitterrand, Jacques Chirac, Charles Pasqua, Nelson Mandela, Simone Signoret & Jean-Paul Sartre, Pierre Joxe, et d’autres moins connus. Deux musiciens : Johnny Clegg, Abdullah Ibrahim (Dollar Brand).



Dans un premier temps, le lecteur manque d’assurance quant à la construction de l’ouvrage. Celui-ci s’ouvre avec l’assassinat de sang-froid par un professionnel, permettant d’appréhender la réalité de ce crime, de cette exécution commanditée. Puis les deux auteurs se mettent en scène en train d’écouter Jacqueline Derens chez elle, au temps présent de la réalisation de l’ouvrage. Celle-ci raconte sa première rencontre avec Dulcie September en 1979. Il va ainsi se produire de nombreux va-et-vient temporels entre le temps présent des entretiens et celui des faits relatés, des développements sur la persistance du racisme dans la société française, trois pages consacrées au régime de l’apartheid, la jeunesse et la vie de Dulcie September jusqu’à son arrivée à Pairs, l’emprisonnement de Nelson Mandela en 1964, suite au jugement à Rivonia, prison à perpétuité pour lui et sept autres compagnons de lutte (Walter Sisulu, Govan Mbeki, Raymond Mhlaba, Elias Motsoaledi, Andrex Mlangeni, Ahmed Kathrada, Denis Glodberg). Une page consacrée à l’ANC et à l’établissement de sa direction en exil à Lusaka en Zambie. L’élection de François Mitterrand en 1981. La visite des anciens locaux de l’ANC à Paris au temps présent de l’enquête. Un séjour à Genève en septembre 2011, pour rencontrer Margrit Lienert, ancienne hôtesse de l’air, engagée par la suite dans le mouvement anti-apartheid suisse (branche romande) au début des années 1970. Etc. Progressivement, la ligne conductrice de l’enquête apparaît : des recherches pour chaque possibilité à envisager, des recherches de témoignages, des explications concises sur les différents acteurs, des membres de l’ANC, des politiciens, des militaires, des patrons d’entreprise, etc. Il s’agit d’une véritable enquête menée avec rigueur, confrontée au fait que certains témoins sont décédés depuis, que certains ne sont pas forcément fiables, et que les enjeux se révèlent énormes, à la fois sur le plan économique et le plan politique. Il est question des services secrets de plusieurs nations, de mercenaires aux agissements discutables (l’ombre de Bob Denard, 1929-2007, se faisant sentir), et de secrets d’état. En fonction des témoignages, le lecteur voit bien quand les auteurs se heurtent à des murs, et à d’autres moments il est même surpris qu’ils puissent en apprendre autant.



Une enquête d’un journaliste professionnel, sur un assassinat commis à Paris, contre une militante anti-apartheid, et jamais élucidé. Une mise en images réalisée par un bédéiste professionnel, adaptant son approche à la nature de l’ouvrage, réalisant un travail impressionnant pour montrer les différentes personnes, soit racontant leurs souvenirs, soit lors de reconstitution du passé, participant à la rigueur de la présentation, et à son honnêteté intellectuelle. Le lecteur explore ainsi les nombreuses ramifications de ce meurtre commandité, suivant chaque possibilité, pour voir progressivement se dessiner la plus probable, étayée par de nombreux faits. Édifiant. Benoît Collombat a réalisé le scénario d’autres bandes dessinées, en particulier Cher pays de notre enfance: Enquête sur les années de plomb de la Vᵉ République (2015) avec Étienne Davodeau, Le choix du chômage: De Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique (2021) avec Damien Cuvillier.
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Dulcie: Du Cap à Paris, enquête sur l'assassina..

— Affaire sensible —



Le 29 mars 1988, Dulcie September est éliminée en plein Paris. C’est du travail de pro et assurément un assassinat politique puisqu’elle était la représentante en France de l’ANC de Nelson Mandela qui lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud.



On ne sait toujours pas qui est, qui sont les meurtriers. À lire l’enquête de Benoît Collombat, journaliste à Radio France, les candidats sont nombreux, leurs intérêts convergents, aussi pourrait-on poser autrement la question : qui n’a pas tué Dulcie September ?



Les services secrets du régime sud-africain, les français, israéliens, américains, barbouzes ou faux-amis… Tous les cocktails sont possibles. Intraitable, Dulcie September a donné un coup de pied dans la fourmilière et, comme dit un témoin, « il est possible qu’elle se soit fait mordre par les fourmis. »



Servie par les dessins clairs et élégants de Grégory Mardon (j’aurais apprécié un making of : comment les auteurs ont-ils travaillé?), l’enquête nous (re)plonge dans les années 80, rappelant utilement les soutiens à droite et à l’extrême-droite aux nazis sud-africains, la duplicité de la mitterrandie, peu encline à faire respecter le blocus économique, aidant les grandes entreprises françaises et les groupes d’armement à contourner « discrètement » l’embargo.

(Parenthèse à ce propos : Pierre Joxe s’en sort avec les honneurs, comme lors du génocide rwandais pour lequel l’implication de Mitterrand et des siens est en revanche accablante — dommage au demeurant qu’une curieuse carte de l’Afrique page 43 ait effacé Rwanda et Burundi…).



L’affaire Dulcie September, où les justes tentent de faire jour à la vérité cachée par les pourris, où la politique est au service des intérêts économiques et personnels, reste d’une terrible actualité.

En exergue, une citation de Bertolt Brecht : « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise. »



La fourmilière dans laquelle Dulcie September a mis les pieds (non sans prudence : « Pour tuer Dulcie, il fallait littéralement sortir du mur ») ce sont les menées pour exporter en Afrique-du-Sud le nucléaire français, qui permit notamment au régime de se doter de l’arme atomique.



« Quand il s’agit de l’intérêt supérieur de la France et de la force atomique, la gauche et la droite tombe toujours d’accord. »



La thèse du livre n’est pas seulement la découverte de secrets dangereux par la dirigeante de l’ANC, c’est aussi les intérêts afférents qu’elle risquait de déranger au moment où se négociait la fin de l’apartheid et que se nouaient les relations avec les futurs dirigeants, que se discutaient dans l’ombre contrats et dessous de table.

De l’autre côté, dans la lumière, Dulcie défendait avec intransigeance l’embargo, enrageant même contre les concerts donnés par Johnny Clegg !



Benoît Collombat ne néglige cependant aucune piste, interroge des dizaines de protagonistes, évoque d’autres affaires possiblement connexes (en particulier les assassinats de Henri Curiel ou Olof Palme).



On comprend tout, mais si c’est clair ce n’est pas toujours très digeste. Et puis, 300 pages, il faut quand même s’accrocher. D’où le bémol de ma note : il faut aimer le genre.
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La vraie vie

Le réveil se déclenche en musique : 'Oh, oh-oh I got a love that keeps me waiting / I'm a lonely boy'. ♪♫ *

Jean l'éteint, se lève, ne « la bouscule pas » (y a personne, Jean vit seul), s'étire, se gratte le bas-ventre et les fesses (c'est un mec, bien prononcer 'Gen' pas 'Djinn'), comme d'habituuude. ♪♫

Il se douche, boit son café, il est en retard, re-comme d'habituuude. ♪♫

Son pote/collègue Didier l'attend dans leur camionnette, c'est parti pour une journée de taf - ils sont menuisiers-agenceurs... Jean a l'air crevé, Didier le vanne gentiment : il a encore traîné une partie de la nuit sur internet, le jeunot, tel qu'il est là. De fait, c'est comme ça que Jean occupe ses soirées : il joue en ligne, rencontre des 'inconnu(e)s', ça papote. Il mate aussi, beaucoup, les infos, et pas mal de porno...

Ça serait pas la vraie vie, ça ? Ok pour le porno à gogo, qui donne une vision réductrice du sexe (on parle même pas d'amour)... mais tous les gens rencontrés via le net seraient totalement fabriqués, jamais sincères, voire carrément chelous ? 'Ah, ma bonne dame, les gens ne savent plus communiquer, ils se cachent derrière un écran'...

Suis pas d'accord. D'ailleurs l'histoire singulière de Jean va montrer que des liens solides peuvent se créer à partir de rencontres virtuelles, et que des échanges à distance entre 'inconnus' se révèlent parfois précieux.



Le mélange dans cette BD entre la vie de Jean, ses photos postées sur le net, et ce qu'il y voit illustre assez bien la confusion qu'il peut y avoir entre les deux mondes. Mais si ces deux univers peuvent fusionner, pourquoi pas ?



Je suis moyennement emballée par cet album, même si j'adhère à la 'morale' de l'histoire - étant friande des échanges via internet, qu'ils mènent à des rencontres IRL ou non (suivez-mon regard, dame du CVdL 😉).

______



♪♫ Lonely Boy, The Black Keys

https://www.youtube.com/watch?v=a_426RiwST8
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Dulcie: Du Cap à Paris, enquête sur l'assassina..

Le 29 mars 1988, Dulcie September, la représentante de l’ANC pour la France, est assassinée à bout portant, rue des Petites-écuries, à Paris. Pendant dix ans, Benoît Collombat, journaliste à la Cellule investigation de Radio France a accumulé de la documentation, enquêté, interrogé ses proches, rencontré ceux qui l’ont croisée ou approchée, militants anti-apartheid, proches collaborateurs mais aussi anciens employés d’entreprises stratégiques (EDF, SEP, filiale de la SNECMA, etc), pour comprendre quelles informations elle pouvait détenir, inquiétant certains au point de chercher à la faire taire.

Il revient sur son enfance, montre qu’elle n’a jamais accepté les règles qu’on lui imposait. Assignée à résidence alors qu’elle est enseignante (et militante), elle préfère l’exil, qui représente un bannissement à vie, et débarque tout d’abord à Londres où elle devient responsable de la ligue des femmes de l’ANC. Il raconte l’histoire récente de l’Afrique de Sud, depuis l’instauration de l’Apartheid en 1948, après la prise du pouvoir par les Afrikaners, celle du principal mouvement d’opposition et de ses leaders, et aussi celle des relations très ambiguës avec la France, notamment après l’arrivée de François Mitterand au pouvoir qui devait afficher un discours antiraciste fort pour faire oublier l’ampleur de la marche des Beurs, tout en veillant à ne pas nuire à « la bonne santé économiques » des entreprises françaises.

Malgré l’embargo international, la France entretenait des relations commerciales avec le régime raciste d’Afrique du Sud, notamment en matière d’armement et de coopération nucléaire. L’île de la Réunion servait de pivot aux livraisons discrètes de matériels stratégiques nécessaires à la fabrication des bombes atomiques, après transit par Israël.

L’enquête française s’est soldée par un non-lieu en 1992, sans que les coupables soient identifiés. Fausses pistes, écrans de fumée, rumeurs entretenues pas les services secrets, sociétés suspectes installées à proximité des bureaux de l’ANC (dont le loyer est payé par le Parti socialiste !), membres de la garde présidentielle des Comores, dirigée par Bob Denard – qui semble décidément lié à beaucoup d’ « affaires » de la Ve République –, Benoît Collombat explore chaque indice pour tenter de démêler l’écheveau. Bien qu’alertées des menaces qui pesaient sur elle, les autorités françaises ne l’ont pas mise sous protection.

Les illustrations en noir et blanc de Grégory Mardon permettent de mettre des visages sur des noms et rendent la lecture plus aisée que celle d’un simple essai documentaire. En reprenant des articles de journaux, des cartes ou des affiches, il prend en charge une partie de l’information et allège ainsi le texte déjà très dense.



« Le fascisme n'est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution en temps de crise. » Cette citation de Bertold Brecht, fameuse, a été mise en exergue de cet ouvrage, lui donnant une toute autre portée, notamment aujourd’hui où ressort de son placard « la bête immonde » (voir Arturo Ui) : les malversations pour « raison d’État » dans des pays supposés démocratiques, seraient le premier pas vers le totalitarisme, en sanctuarisant et opacifiant, hors de tout contrôle, les liens entre les sphères économiques et politiques.



Article à retrouver sur le blog de la Bibliothèque Fahrenheit 451 :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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