- Tu crois que tous mes livres rentreront dans cette armoire ?
- Tu en as combien ?
- Une vingtaine.
Etre au bas de l'échelle donne moins le vertige.

— En réalité, mes parents comptaient m’appeler Enola mais mon père, fervent anglophile, a noté que, lu à l’envers, Enola devenait “alone”, nom qui me prédestinait donc – selon lui – à une éternelle solitude. Ils ont alors opté pour Élisa mais ma mère a fait remarquer que, selon la même logique, cela faisait “asile” et qu’une fille folle à lier n’était pas vraiment préférable à une pleureuse esseulée. À ce compte-là, ils ont encore rejeté Lio, qui me prédisposait aux cheveux gras, Lana, dont vous comprenez aisément l’étendue du désastre, et Beth, qui n’avait même pas besoin d’être lu à l’envers pour leur promettre une fille stupide. Du coup, ils se sont finalement décidés pour Lise, qui ne veut rien dire ni dans un sens ni dans l’autre. Mes parents aiment me rappeler qu’un nom vide de sens est ce qui me convient le mieux.
— … Eh bien… Vous n’avez pas dû rire tous les jours, vous non plus.
— Ça va, répondis-je en haussant les épaules. Pour ce qui est du prénom, je pense m’en être assez bien sortie. Et puis, les jours difficiles, j’aime me rappeler que mon père s’appelle Luc. Je me demande si c’est l’origine de cette obsession étrange pour les noms lus à l’envers.

C’est très bizarre, me dit la visiteuse tandis que la porte crissait sur le sol en se refermant. On s’est déjà vues quelque part, non ?
— Bonjour, madame. Je m’excuse mais votre visage ne me dit rien. Je peux vous aider ?
— Oui, je viens pour un rendez-vous… À la piscine !
— Pardon ?
— À la piscine, non ?
— Nous n’avons pas de piscine ici, madame.
— Non, non. On s’est déjà vues à la piscine.
— La dernière fois que j’ai nagé doit remonter à six ans. Et sachant que c’était en Grèce, ce serait à la fois une grande coïncidence de nous y être croisées et une prouesse mnémonique de vous en souvenir. [...]
— Ah… Vous êtes allée voir un match de foot récemment ?
— Non.
— Vous fréquentez une salle de sport ?
— Aucune.
— Un club de dessin ?
— Ni de dessin, ni de théâtre, ni de belote bulgare.
— Mais vous faites bien quelque chose de vos journées, non ?
— Oui, je travaille ici.
— Ah… Oui, notez que c’est peut-être ça.
— Quoi donc ?
— C’est peut-être ici que l’on s’est croisées.
— Qui sait ? Les lois de probabilité sont pleines de surprises. Maintenant que cet incroyable mystère est résolu, puis-je vous annoncer à un de mes collègues ?
— Et c’est quoi votre boulot, à vous ?
— Je suis hôtesse d’accueil, pour les visiteurs.
— C’est un travail, ça ?
— Heu… oui…
— Hé ben ! Vous ne pouvez pas dire que vous vous fatiguez beaucoup !
— Ça dépend. Selon les personnes que je dois renseigner, cela peut parfois devenir agaçant…