Le mercredi 20 juin 2018, la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris - www.charybde.fr ) avait la joie d'accueillir Thierry Corvoisier (éd. Rivages) et Sébastien Wespiser (éd. Agullo) en tant que libraires d'un soir.
Ils nous parlaient de :
1. Jim Harrison, "Dalva" (04:20)
2. François Médéline, "La politique du tumulte" (16:40)
3. Gregory McDonald, "Rafael, derniers jours" (24:01)
4. Grégory Nicolas, "Là où leurs mains se tiennent" (30:14)
5. Robert McLiam Wilson, "Eureka Street" (40:10)
6. François Guérif, "Du polar" (48:45)
7. David Peace, "Le quatuor du Yorkshire" (58:00)
8. David Peace, "Rouge ou mort" (1:01:51)
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Tout en marchant, Rafael réfléchissait à lui-même, à cet endroit, et à ses habitants. Quand il était enfant, s’il y avait une bière ou la moitié d’une bière qui traînait, il la buvait. Si on avait un alcool plus fort sous la main – presque toujours de la vodka – et si quelqu’un tombait ivre mort avant d’avoir terminé la bouteille, il s’asseyait n’importe où et buvait au goulot jusqu’à ce que lui aussi soit ivre mort. S’il en restait, il partageait avec ses frères et ses amis. Et eux aussi, sans cesse, buvaient tout ce qu’ils pouvaient trouver. Il ne se souvenait pas quand cela avait commencé ; il ne se souvenait pas ne l’avoir jamais fait. C’était sa vie…
- Ici, tout le monde boit. On est tous des alcoolos.
- Les gens boivent selon leurs moyens. Ils boivent ce qu'ils peuvent trouver, chaque fois qu'ils en ont l'occasion. On trouve toujours le temps.
- C'est pas comme ça partout ! dit Rafael. En ville, tu peux me croire, ils sont pas tous bourrés.
Écoute-moi, Rafael, il faut que tu me comprennes bien : tout ce que je te dis c’est des trucs réels. Ça n’a rien à voir avec tout ce que tu connais. Il n’y a pas d’effets spéciaux, genre ketchup pour le sang. Nous filmons exactement ce qui se passe exactement.
Exister, c'était un truc qui leur était tombé dessus comme ça. Et sa réaction, pas pire qu'une autre, avait été de boire pour oublier la faim et la douleur, les tromper, les fuir, devenir le plus insensible possible, les ignorer pour survivre.
Désormais, tous ceux qui se risqueraient dans la décharge pour assurer leur survie devraient s'attendre à se faire tirer dessus. Les autorités ne toléreraient pas qu'il s'approprient des choses dont plus personne ne voulait.
« Seigneur…je vais finir salement plus amoché que Toi » p143
Ce que nous sommes en train de faire, ce sont peut-être bien les plus grands films de l'histoire, parce qu'ils sont la vérité pure, Rafael, c'est pas du chiqué, on montre comment des personnes réelles souffrent et meurent réellement, et ça reste de l'art, de l'art et de l'ironie, et toi, Rafael, tu seras dans un de ces films, tu montreras au monde entier quel genre d'homme tu es vraiment.
Larry, l'oncle obèse, le coiffeur, la banque et la femme à l'accueil, le supermarché où il avait fait ses courses, ce qu'il avait acheté, les deux types, la dame qui l'avait secouru, la caissière, le chariot dans lequel il avait trimbalé les cadeaux le long des rues, Freedo, la grande bouteille de vodka, le trajet en bus, Rita qui gravissait le chemin à sa rencontre, son expression en voyant les deux robes, la chute de sa fille Lina dans la descente, les enfants découvrant leurs cadeaux, les bières qu'il avait payées aux autres, sa promenade avec Rita sur la butte, le soleil, la lune... Il se souvenait de cette journée mieux que toutes les autres qu'il avait vécues.
-Désolé si ça te rend triste.
-On doit tous y passer un jour ou l’autre, de toute façon, répondit Rafael.
Par la fente de ses paupières, le père l’observait :
-T’es pas si dur que ça, Rafael. Tu me caches quelque chose, dit-il.
-Maman a mis du temps à mourir. Elle a beaucoup souffert.
-Oui.
-Parce que c’est ça qui est important, non ?
-De quoi ?
-Qu’est-ce qu’elle va te rapporter, ta mort ? Et ta souffrance ?
-Ce que je vaux ? J’en ai jamais rien su.
-Que vaut ta mort ?
Il sentait maintenant qu'il contrôlait enfin sa vie, et même sa propre mort. Il en éprouvait un immense soulagement.