Ils avaient du mal à déglutir, tous ces monstres en lesquels l'épidémie avait transformé quiconque avait suffisamment de testostérone dans son organisme pour présenter une quantité honorable de poils sur le dos. En général, ils déchiraient leur proie et dévoraient sa chair par gros morceaux, ou déterraient des larves et coléoptères et toutes les racines sur lesquelles ils pouvaent poser leurs griffes. Ils étaient capables de manger tout et n'importe quoi. Fran en avait vu un s'étrangler sur une balle de tennis.
La communauté c’est quand on ne se lâche les un·e·s les autres sous aucun prétexte.
Un hurlement d’homme s’éleva de nouveau dans les bois, pas très loin cette fois, et par un accord tacite, elles s’arrêtèrent pour regarder les oiseaux s’envoler des arbres en nuées tourbillonnantes. Beth se demanda, et ce n’était pas la première fois, s’ils se sentaient seuls, ces êtres qui étaient autrefois des hommes. Si leurs femmes, leurs mères, leurs filles, leurs copines et leurs dominatrices leur manquaient. Mais peut-être qu’ils étaient heureux désormais, libres de violer, de tuer et de manger qui ils voulaient, libres de chier, de pisser et de se branler dans la rue.
Peut-être ce monde était-il celui qu’ils avaient toujours voulu.
Pendant un an et demi, après avoir laissé tomber ses études, elle avait habité, au premier étage, un placard dégueulasse en guise de chambre, sortant à tour de rôle avec un casting tournant de colocs et d’ami.e.s d’ami.e.s : transboys maigrelets, gouines en cuir vénères, demi-sexuel.l.e.s à la coupe au bol à moitié ironique qui passaient des heures sur Tumblr à parler du genre et s’interrogeaient pour savoir si le nœud papillon était un marqueur de la lutte des classes, jusqu’à ce que chaque relation médiocre, inévitablement, se consume pour laisser place à une rancœur silencieuse, cassante.
Sur son front, juste au-dessus de l’arête de son petit nez mutin en pente de ski, un tatouage austère : XX. Chatte certifiée 100 % naturelle par les Filles de la Sorcière-Qu’On-Ne-Peut-Pas-Brûler ou la quelconque divinité merdique du festival de musique Womyn’s du Michigan à laquelle la TERFocratie du Maryland prêtait allégeance. Merde.
La fille battue lécha ses lèvres desséchées.
« Ce qu’on leur fait... » Sa voix était un croassement rauque, guère plus qu’un murmure. « C’est exactement la même chose que ce les hommes nous faisaient avant.
— Ce sont des hommes.
— Non. » La paupière de Karine se baissa. « Elles n’en sont pas, et je crois que vous le savez. »
Même si vous pensez sincèrement avoir eu une enfance de fille, en réalité, vous avez été élevés comme des hommes. Vous avez été élevés pour brutaliser, pour voler, pour mépriser les femmes qui vous ont élevés et ont sacrifié leur vie pour protéger la vôtre.
La mitraillette aboya comme un bichon frisé en pleine crise d'épilepsie dans une vidéo passée en accéléré.