Quoi qu'il en soit, je ne lui ai pas dit. Alors que je l'aurais tant voulu. Parce que c'était lui. Lui, avec ses yeux et ses mains. Les yeux et les mains ne peuvent pas - ou alors difficilement - mentir. C'est ainsi, tout simplement. Avec les mots, les gens font les trucs les plus bizarres, des fois, parce que les mots servent à tant de choses, mais surtout à être celui qu'on pense devoir être. Parce que c'est ainsi qu'on l'a appris, parce que c'est ainsi qu'on a vécu depuis tant d'années, parce qu'on pense ne rien connaître d'autre, parce que l'autre voie paraît trop angoissante. C'est pourquoi on utilise souvent des mots pour se calmer, pour se leurrer, pour minimiser et même pour nier des choses. Mais un regard, lui, trahit le coeur, et aussi les mains, et parfois les pieds et ce vers quoi ils se dirigent : ils indiquent ce qu'une personne désire vraiment. Il disait beaucoup avec ses yeux et ses mains et ses pieds. Et parfois aussi il disait quelque chose avec sa bouche, mais cela arrivait beaucoup moins.
Je n'ai pas encore tout à fait compris comment m'y prendre pour vivre, mais j'arrive plutôt bien à faire semblant. C'est un début, je trouve. Je peux aussi expliquer aux autres de manière exemplaire comment ils pourraient peut-être y parvenir, et on écoute parfois, j'ai remarqué, ce qui m'étonne un peu.
Personne ne te dit quand tu es petit ce que te réserve l'avenir. Une vie silencieuse et sombre dont ne s'échappent que les âmes tourmentées. Pour la rendre encore plus silencieuse et sombre, pour tous ceux qui restent.
C'est une belle soirée à vrai dire. Avec un soleil rasant qui projette ses rayons sur les façades des maisons. Je vois une femme marcher sur le trottoir, en sanglotant bruyamment. D'un pas pressé. Le mascara délavé. Le regard introverti.
Il y a toujours un endroit où il fait nuit.
Une fois, en cours moyen, j’ai écrit une histoire pour l’école. A propos de ce que nous voulions devenir plus tard, c’était le sujet. J’ai alors choisi comme métier amélioratrice du monde, avec un programme complet pour expliquer comment j’allais m’y prendre. Je débarrasserais les gens de toutes leurs tristesses, voilà ce que j’ai dit. La maîtresse m’a retiré un point : c’est la tristesse, pas les tristesses. Maintenant, je trouve tout de même que ça se discute.
les premières pages d’un livre qui sont amusantes – « A la lisière de la forêt, non loin de la rivière, la sauterelle tenait boutique au milieu des buissons. Elle avait écrit sur sa vitrine en lettres majuscules : TOUT EST A VENDRE (SAUF LE SOLEIL, LA LUNE ET LES ETOILES)»
Ils disent qu’il faut savoir maintenir une distance professionnelle quand on est psychothérapeute dans une prison. C’est vrai, bien sûr. Moi, je n’en suis pas vraiment capable. Peut-être que je n’ai même pas envie d’en être vraiment capable.
Parfois il y en a un parmi eux qui est incontournable. Comme Henri. Un beau Congolais qui possède à lui seul le charisme de plusieurs leaders mondiaux.
Je me souviens de la première fois où je l’ai vu. Il entre dans mon bureau, me décoche un charmant sourire. Je lui pose les quelques questions que je pose à chaque nouveau détenu. Il répond en français. Je ne parle pas bien français, j’essaie en anglais. « No English. Français ? » Il sourit de nouveau. Je me débrouille tant bien que mal pour formuler quelques phrases. Il reste patient, réfléchit avec moi, me suggère des mots quand je reste coincée. Je passe au moins trois séances à discuter avec lui dans un français approximatif. Jusqu’à ce que je constate, à l’occasion d’une réunion de groupe, que les autres le regardent en riant sous cape quand il m’adresse la parole. « Allez, Henri, la plaisanterie a assez duré. Avoue que tu parles super bien l’anversois. » Là-dessus, Henri se lance dans une longue histoire en affichant une parfaite maîtrise du néerlandais. Il s’avère qu’Henri parle couramment le flamand, l’anglais, le français et le lingala. En me l’annonçant, il se réjouit pour seize personnes à la fois.
J’avais envie d’aller au collège De Veder, il avait l’air bien. Mon père trouvait que ce n’était pas pratique, il fallait que je prenne le bus tous les jours pour aller en ville. Et il pensait qu’un établissement plus petit, dans la nature en plus, comme notre maison, me conviendrait mieux. Papa n’est pas là souvent, mais soudain le voilà, avec son opinion. Lui, il trempe un seul orteil dans la piscine pour vérifier la température de l’eau. Puis hésite pendant des heures pour savoir si tout compte fait, il va plonger ou non, puis finit par enfiler son maillot de bain mais en définitive ne va pas dans l’eau et fait tout de même des histoires parce qu’il faut qu’il se rhabille. Dans ce tableau, la piscine c’est la vie. Au bout du compte, il a accepté.
A Lou, le jour où elle m’a demandé si elle pouvait écouter des chansons sur mon iPod. Aux fossettes qui apparaissaient sur ses joues tandis qu’elle écoutait à trois reprises en riant tous les morceaux que je lui recommandais. Lou est si jolie. Et quand elle est contente encore plus. Lorsqu’elle a eu fini d’écouter, elle a dit qu’elle pensait qu’aucun garçon ne voudrait jamais l’embrasser. Je lui ai rétorqué que j’étais certaine du contraire. Et que cela allait sûrement se produire bientôt. Elle a voulu savoir ce que j’avais ressenti, la première fois que j’avais embrassé un garçon. « C’était fantastique », j’ai répondu. « Encore bien des ciels au-dessus du septième. » Ca l’a fait rire.
Je n'aime pas vraiment choisir. [...] J'ai remarqué à ce propos que, curieusement, on a rarement besoin de choisir, si on n'en a pas envie. Certaines choses surviennent d'elles-mêmes, et déterminent presque tout ce qui suit.