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Citation de Partemps


C’est dans la boutique de M. Lehec que j’ai acheté le Virgilius Nauticus de M. Jal. Il en avait plusieurs exemplaires.

On s’est amusé à signaler quelques-unes des sources où M. Anatole France a puisé l’inspiration.

Cependant, on n’a pas encore mentionné le nom du savant, M. Jal, qui n’est pas un inconnu, car Littré l’a toujours cité à propos des termes de marine. Il est encore l’auteur du Virgilius Nauticus que M. Anatole France attribue à son « Monsieur Bergeret ».

Virgilius Nauticus. Examen des passages de l’Eneïde qui ont trait à la marine, par M. Jal, historiographe de la Marine, auteur de l’archéologie navale… Paris, Imprimerie Royale, MDCCCXLIII, tel est le titre d’un ouvrage que devait illustrer l’imagination du plus érudit des romanciers contemporains. C’est un in-8° de 107 pages.

M. Jal, qui constatait avec admiration l’étendue des connaissances nautiques de Virgile, était, au moins en ce qui concerne la marine, un ennemi de Rabelais, et consacra plusieurs pages de son Archéologie navale aux navigations de Pantagruel.

« Là j’ai montré, dit-il, en analysant le quatrième livre de l’immortel ouvrage du curé de Meudon, que le savant homme, savait tout peut-être, excepté ce qui touche à la marine ; que le navire, la navigation, et même le vocabulaire des mariniers lui étaient restés à peu près inconnus, et que s’il rencontra juste quelquefois dans l’explication des termes usités sur les nefs du xvie siècle, ce fut certainement par hasard. »

Au contraire, lorsqu’il examine, au point de vue technique, ce qui a trait à la marine dans l’Éneïde, M. Jal arrive à une conclusion opposée.

Après nous avoir montré Virgile, tout jeune encore, étudiant les mathématiques à Naples et à Milan, il nous le fait voir passant dix-huit ans à Naples, en Sicile, dans la Campanie.

« Pendant ces dix-huit années, il eut presque toujours sous les yeux, ou la flotte militaire stationnée au port de Misène, ou les riches convois qui apportaient les trésors de la Grèce et de l’Égypte à Panorme, Messine, Mégare, Syracuse et Parthénope, ou les barques de plaisance appartenant aux riches voluptueux dont les gracieuses habitations, bâties autour du Crater, se miraient aux eaux calmes de cette baie magnifique. »

Plus loin, M. Jal s’attarde dans cette baie : « Sillonnée par mille embarcations cherchant l’une l’autre à se primer de vitesse, et montrant avec orgueil, celle-ci sa proue argentée ou dorée, celle-là sa poupe surmontée d’un aphlaste recourbé en panache, quelques-unes l’élégant chenisque au-dessus de la tutelle, d’autres, leurs rames couvertes de nacre ou de bandes d’un métal précieux, la plupart un gréement de laine aux couleurs variées, et presque toutes les voiles de pourpre ou du lin le plus blanc, sur lequel on a représenté des sujets érotiques, et inscrit, avec le nom du propriétaire de la barque, quelque maxime empruntée à une philosophie sensuelle. »

Et M. Jal traite sans ménagement les commentateurs et les traducteurs de Virgile qui n’ont point tenu compte de la savante exactitude du poète. Ascensius n’a pas trouvé d’explication ingénieuse du mot puppes ; « le Père de La Rue ne se doute pas de la raison qui a fait opposer les proues aux poupes » ; Annibal Caro a substitué les vaisseaux aux proues ; Gregorio Hernandez de Velasco traite Virgile très cavalièrement ; João Franco Barreto est plus scrupuleux, mais pas beaucoup plus ; Dryden prend les proues et les poupes pour les navires eux-mêmes ; la traduction allemande de John Voss laisse autant à désirer que la version anglaise de Dryden ; Delille, le plus estimé des traducteurs français, pas plus que ses rivaux étrangers, n’a intimement compris le texte de son auteur.

À propos des termes nautiques de Virgile, le savant M. Jal va jusqu’à citer des mots du langage des Malays, des Madekasses, des Nouveaux-Zélandais. Il fait encore de pittoresques rapprochements quand il en vient à examiner le triplici versu :

« Il exprime, à mon avis, un chant trois fois répété, un cri, un hourra ! une espèce de celeusma dont la tradition est vivante encore dans les bâtiments où pour tous les travaux de force, et, par exemple, quand on hale les boulines, un matelot, le véritable hortator des anciens navires, chante : Ouane, tou, tri ! hourra ! (one, two, three ! hourra ! — angl.). La tradition antique était pleine de force au moyen âge, à Venise, où la chiourme du Bucentaure, toutes les fois que le navire ducal passait devant la chapelle de la Vierge, construite à l’entrée de l’Arsenal, criait trois fois : Ah ! Ah ! Ah ! donnant un coup de rame après chacune de ces acclamations. »

La conclusion de M. Jal est sans doute différente de celle que M. Bergeret, notre contemporain, eût mise à son fameux ouvrage :

« La marine actuelle touche de bien près à la marine d’autrefois, c’est pour moi un fait de la plus grande évidence. Voilà pourquoi je pense que tout homme qui s’occupe de la marine moderne doit s’enquérir de tout ce que furent les marines anciennes ; voilà pourquoi je pense aussi que Virgile étant, sur la question de la marine antique, l’écrivain qu’on peut consulter avec le plus de fruit, il était nécessaire de démontrer sa compétence et de la prouver, en rendant à ses vers toute la valeur didactique dont les avaient dépouillés des interprètes, fort savants d’ailleurs, mais qui ne comprenaient pas la langue spéciale que parlait le poète marin. »
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