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Citation de Partemps


M. Anatole France a peut-être acquis un exemplaire du Virgilius Nauticus chez M. Lehec, dans la boutique duquel il passait parfois une heure. Un jour, par hasard, je l’entendis faire l’éloge de l’abbé Delille.

« Delille n’a qu’un défaut, disait à peu près M. Anatole France, c’est de n’être point lu. »

Et comme il en sait par cœur de longues tirades, il les récita.

Peut-être n’a-t-il pas retenu en aussi grand nombre les vers de son maître Leconte de Lisle.

Mais n’y a-t-il pas une certaine parenté entre ces deux poètes ?

Ayant entendu quelqu’un faire un rapprochement entre Leconte de Lisle et l’abbé Delille, je rapportai, dans un article, une opinion qui me paraissait pour le moins singulière. Je viens de la retrouver tout au long et à deux reprises sous la plume de Louis Veuillot : « Tous ces oripeaux descriptifs, ces tintamarres de couleur et de lumière, ne sont que le déguisement du vieil abbé Delille. Seulement, sous le fatras de ses périphrases, Jacques Delille marchait d’un pas leste. L’épagneul de salon dont les jolies petites pattes couraient sans broncher à travers les porcelaines, et secouaient par moments de jolies petites perles fausses, est devenu un éléphant chargé d’une tour de guerre pleine de soldats farouches et surtout bariolés. Il simule bien la marche pesante, toutefois la terre ne tremble pas. »

Et quelques jours après, Veuillot ajoutait :

« Il décrit à outrance. Nous avons rappelé l’autre Delille, son quasi homonyme et qui semblait son contraire. En vérité, de l’un à l’autre il n’y a pas si loin qu’il semble, et ces extrêmes se touchent. Tous deux font leur principale affaire de décrire, parce que le don d’imaginer, le don de sentir et peut-être le don de penser leur manquent. Ils n’ont que l’œil extérieur, que l’écorce de la poésie ; la sève et la source leur sont inconnues. L’ancien Delille, qui se contentait d’être philosophe, et qui se piquait d’être correct, serait aujourd’hui libre-penseur irrégulier et peut-être pédant. Il écrirait Kaïn par un K, et ferait facilement du kaïnite et du khaldaïque. Le jeune de Lisle, — il y a quinze lustres —, eût décrit les jardins, l’imagination, la lecture, le café, les échecs, et n’eût su peindre Iris et les rochers qu’en bleu tendre. C’est le même homme ignorant de l’homme, s’exerçant au même jeu puéril avec la même dextérité. Seulement l’un est né sous Voltaire et l’autre sous Victor Hugo.

« S’il faut marquer une différence, peut-être que la part d’imagination de l’ancien Delille ne fut pas la plus restreinte. Autant que nous en pouvons juger à la distance où nous sommes de ses œuvres et de son temps, l’abbé Jacques puisait moins dans le fond public. Les descriptions de M. Leconte de Lisle sont bourrées de réminiscences plastiques fournies par l’architecture, la statuaire, la peinture et le dessin, à qui d’ailleurs toute notre poésie matérialiste emprunte considérablement, surtout dans les vastes et abondants domaines de leurs caprices. »

Je ne suis pas éloigné de penser, au demeurant, que l’art de l’abbé Delille n’ait exercé une véritable influence sur les Parnassiens.

Ils ne se réclamaient pas de lui parce qu’il était alors un poète trop décrié et que, sans doute, au Parnasse Choiseul, il fallait parler de Leconte de Lisle et non pas de Jacques Delille.

M. Anatole France se rattrapait dans la boutique de la rue Saint-André-des-Arts.

La librairie existe toujours, son aspect n’a pas changé, elle est tenue maintenant par un autre libraire qui connaît bien son métier, mais n’a pas pour les livres ce respect superstitieux que leur marquait M. Lehec.
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