Un tableau qui répond au code de la parité si chère à nos contemporains : deux hommes et deux femmes. Une discussion paisible semble être engagée. C'est en tout cas ce que Manet représente ici. Un cadre bucolique, un bouvier survole les reste d'un pique-nique. L'une des femmes prend le frais, les jambes dans l'eau, près d'une barque. L'autre, au premier plan, vous fixe de son regard énigmatique ; elle est nue. Et c'est la seule dévêtue. Scandale au Salon des Refusés en 1846.
En effet ce tableau n'a rien de badin. Pour mieux comprendre le choc artistique et le bouleversement que Manet va provoquer dans les esprits à l'époque, ce qui fait que cette oeuvre est fondatrice, Guillaume Durand, sur le ton de la conversation comme il sait si bien le faire, nous emmène en balade.
D'atelier en atelier, il bascule sans transition d'un Manet à Jacques Monory, Klein, le Caravage, Claire Tabouret, Yan Pey-Ming, Warhol, Jeff Koons et tant d'autres ; une masse innombrable... Comme le bouvier du tableau, il virevolte dans l'univers du cinéma (plus ou moins brèves apparitions de de Niro, Besson, Hitchcock, Jeanne Moreau...), le rock (ah ! les Stones, les Beatles, Led Zeppelin), la littérature (évidemment Zola, Baudelaire, les incontournables, qui a écrit après eux ?). Son univers artistique et mental n'a pas de limite, c'est un pot pourri et pas si fantaisiste que cela.
Le lecteur est un peu perdu et étourdi par autant de références de la part de Guillaume Durand. Normal pour un enfant de galeriste, me direz-vous ; moins pour le novice. Mais qu'importe car il y a ici une ivresse née de la liberté de penser, une libération pour l'auteur plongé en plein confinement (le livre a sa propre histoire, liée au Covid), submergé par le deuil et la maladie (sa "vallée de larmes"), et l'ivresse fait tourner la tête.
Paradoxalement c'est qu'il y a une forme de cohérence dans l'ouvrage de ce dandy contemporain. Et c'est dans ces moments les plus intimes, où il parle de ses parents, où il évoque ses tribulations, qu'il est le plus touchant et intéressant ; c'est là qu'il révèle l'essentiel de son livre. C'est un chemin personnel qui le mène au bout du deuil de son père. Ce destin est commun à Manet. L'homme qui a compris que derrière les danses, les fracs, les plaisirs et les femmes nues, il y a la détresse ultime de la maladie et de la mort. Là où est l'altérité, là est l'art.
C'est aussi notre lot commun. Et c'est bien pour cela que Guillaume Durand peut nous en parler, comme dans une conversation d'ami à ami autour d'un plat de pâtes ou lors d'une balade dans un musée vaste comme le monde.
Thomas Sandorf
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