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Critiques de Guillaume Paoli (4)
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Eloge de la démotivation

Ayant fait connaissance de l'auteur par l'excellente synthèse de son Manifeste des Chômeurs Heureux que voici :[url] http://cqfd-journal.org/Le-manifeste-des-chomeurs-heureux[/url]

mes attentes modérées et légitimes se limitaient à un pamphlet humoristique, pertinent et provocateur. Jamais je n'aurais pensé être confronté à l'un des ouvrages les plus sérieux et rigoureux de critique économique qui me soit passé entre les mains depuis longtemps. Elargissant en accordéon le concept de motivation tel qu'on le connaît dans le contexte étroit du monde du travail, mais sans en perdre de vue l'origine, cet essai alterne l'analyse du marché-consommation avec celle du (pseudo-)marché du travail, pour faire, des deux, une critique se poussant au-delà même des théories de la décroissance.

Ses postulats sont d'une extrême simplicité, mais la rigueur de l'argumentation les conduit à des conséquences profondément troublantes et à des stratégies de résistance authentiquement subversives :

1. "Aujourd'hui, tant le travail que la consommation exigent sans relâche notre participation active, notre créativité effrénée et les preuves tangibles de notre engagement positif." (p. 159) ;

2. "Il va sans dire que le but de ce que l'on nomme couramment, faute de mieux, le système économique, n'est pas la satisfaction des besoins. Quels besoins d'ailleurs ? Le but du jeu est l'accroissement infini du capital : faire avec de l'argent plus d'argent." (p. 76).

3. (Dépassement la théorie de la lutte de classe) "Aujourd'hui en revanche, la classe supérieure mondialisée mène une lutte unilatérale. L'un après l'autre, les systèmes de défense (que ceux-ci soient d'ordre juridique, politique ou coutumier) qui, dans chaque pays, protégeaient encore les populations de l'invasion mercantile sont enlevés de haute main." (p. 164).



Dans ces conditions, la "démesure" aussi bien du marché, de la production, de la consommation que de l'investissement requis du travailleur post-taylorisé, laquelle représente le cheval de bataille des théories de la décroissance, n'est pas perçue comme une dérive pathologique, mais bien comme la conséquence propre du fonctionnement du capitalisme qui fait s'écrouler toutes contraintes à son encontre.



L'ouvrage se développe autour des six chapitres suivants :

1. "Pourquoi fait-on quelque chose plutôt que rien" - développement de la métaphore de l'âne motivé par la carotte et le bâton;

2. "Marchés obligatoires" - sur l'élargissement des marchés et des rapports de force par "dissémination" dans des domaines que traditionnellement ils n'investissaient pas;

3. "L'entreprise veut votre bien (ne le lui donnez pas)" - organisation du travail depuis le taylorisme (qu'admirait tant Lénine...);

4. "La drogue travail" - sur le caractère addictif et le manque de reconnaissance socio-médicale de celui-ci que le travail moderne possède;

5. "Les métamorphoses du fétiche" - critique historique du concept marxien de "marchandise fétiche" et en particulier des illusions déresponsabilisantes sur le pouvoir pervers du marketing;

6. "Annulation de projet" - la "pars construens" de l'ouvrage, sur l'opportunité d'une résistance passive par la démotivation (au sens large).



Comme chez Marx, paraît-il, nous sommes en présence d'un ouvrage massif (Le Capital) et d'un Manifeste plus vulgarisateur...

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Eloge de la démotivation

Pour faire avancer un âne, deux méthodes : le bâton, c’est-à-dire la sanction ou la menace de sanction, et la carotte, autrement dit la récompense. Tout repose sur le bon dosage de ces deux ingrédients. C’est sur cette métaphore que s’ouvre l’excellent essai de Guillaume Paoli, philosophe et membre du mouvement « Chômeurs heureux ». Les ânes, ce sont nous les salariés que la crainte de la pauvreté et du déclassement, et l’espoir d’une gratification financière et sociale, enchaînent au travail. « Soumis à une âpre concurrence, les propriétaires des ânes ne sont plus décidés à gaspiller de coûteuses carottes à l’exercice. Afin de baisser les coûts du travail, ils substituent à celles-ci des images coloriées, ou ils engagent des communicateurs chargés de persuader leurs employés que la perche à laquelle rien n’est accroché est en elle-même un mets succulent. Ou bien que le bâton se transformera en carotte le jour où il aura été suffisamment asséné sur leurs dos. On admire leurs efforts ».



« La motivation est une question centrale de l’époque et elle est appelée à le devenir toujours plus. » Du taylorisme, où le travail répétitif était contrôlé par des petits chefs, nous sommes passés à un système où la contrainte a été intériorisée, où toutes nos « ressources » doivent être mobilisées pour répondre aux exigences du marché, en tant que travailleurs et en tant que consommateurs. Pour les managers, rien ne vaut l’implication des employés. Celle-ci peut aller pour certains jusqu’à la dépendance au travail, plus forte à mesure que les tâches sont plus créatrices, innovantes et à responsabilités, et source de grandes souffrances (en témoignent de nombreux suicides ou dépressions). Le système capitaliste se nourrit de cette addiction qui se vit également sous la forme du manque, dans le cas des chômeurs et des stagiaires par exemple. Le travail moderne tue la joie de vivre.



Guillaume Paoli fait dans cet essai limpide et passionnant quelques observations que le discours dominant tend à éclipser. Ainsi rappelle-t-il par exemple que le « marché » est avant tout une idéologie, un modèle d’interprétation, et non cette réalité transcendante, « naturelle », contre laquelle - veut-on nous faire croire - il serait vain de lutter. Son expansion suppose l’affaiblissement de l’état politique. C’est ce à quoi s’emploie une élite mondialisée qui fait sauter les dernières barrières nationales qui protégent du marché, imposant plus que jamais sa logique à tous les aspects de notre vie, dans le travail ou en-dehors, et façonnant les rapports sociaux.



C’est volontairement que l’auteur se borne à une critique négative du système, ne proposant rien en échange : « On en a assez vu, de ces utopies qui ne dénigraient la carotte en vigueur que pour y substituer une carotte plus tyrannique encore. » Il remarque que la critique de la société de consommation a souvent tendance à fourbir les armes de ce qu’elle prétend combattre. D’autre part, il n’existe plus d’un côté le travailleur aliéné, de l’autre le capitaliste exploiteur, mille liens les rattachent désormais l’un à l’autre, chacun est à la fois bourreau et victime. S’appuyant sur le « Discours de la servitude volontaire » de La Boétie, il constate que le système capitaliste ne perpétue sa domination que parce que nous le laissons faire. Certes, nous n’avons pas le choix de vivre en-dehors, et la lutte est par trop inégale. Alors le meilleur moyen de le combattre est-il peut-être de ralentir, voire de ne rien faire, d’opposer au mouvement perpétuel requis par le capitalisme, à l’immolation de nos énergies vitales imposées par les marchés, une inertie salutaire, une grève du zèle, de « constituer pour ainsi dire des unités de partisans du moindre effort ». « L’abstention, la suspension d’activité, le non-engagement sont aussi des moyens d’agir ». En somme, pratiquons la démotivation. Chiche ?


Lien : http://plaisirsacultiver.unb..
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Eloge de la démotivation



Né dans une ambiance de constante culpabilisation des chômeurs et des assistés, qui creusent le « trou de la Sécu », et relayée par la classe politique et les petits-bourgeois de droite, ce petit traité sur la démotivation détonne.



Qu’est-ce que la motivation ? Comment et pourquoi la motivation est-elle sollicitée sur le marché du travail ? Le marché-tout-puissant et la concurrence permettent aux entrepreneurs et aux États de légitimer la pression faite aux salariés. Dans un esprit de collaboration, on leur demande d’être performants, flexibles, mobiles, rapides, de vendre leur personnalité dûment conforme à l’entreprise dont ils épousent les valeurs et les exigences sans contrepartie. Au final, le salaire, selon Guillaume Paoli, n’est pas la rétribution du travail mais celle de l’obéissance : les salariés doivent se soumettre.



La motivation au travail est alors indispensable pour soumettre volontairement les salariés à l’entreprise : à cela rien de nouveau, il suffit de se replonger dans le Discours de la servitude volontaire de La Boétie. Grâce aux « consultants d’entreprise » et à leurs méthodes de positivisme, le salarié est gratifié par de douces paroles et une surcharge de travail supplémentaire (dont il sera capable de s’acquitter), mais il attendra vainement la récompense par l’argent, car on sait bien que l’âne repu de sa carotte cesse d’avancer.



Et la motivation, si elle se transforme en addiction, c’est mieux ! Quel énorme tour de force que de faire de l’addiction au travail une norme professionnelle, cautionnée par les entreprises et les instituts de santé publique, lesquels taisent les dangers liés au travail – car on ne peut remettre en cause le marché tout entier qui « dicte ses lois ». L’addiction au travail, ça rapporte aussi : les Français sont les premiers consommateurs au monde d’antidépresseurs et d’anxiolytiques.



Qu’est-ce que la motivation à la consommation ? La grande bouche du capitalisme se nourrit à l’infini des désirs humains : pour une croissance éternelle, il lui faut innover sans cesse dans des produits, et de plus en plus rapidement.



Mais cette « destruction créatrice » dont parlait Schumpeter a besoin d’un public aux désirs toujours réactivés : l’obsolescence programmée et la publicité sont censées maintenir la motivation à l’achat nécessaire pour écouler les produits.



Or, de quoi est fait le désir lié à la possession d’un objet ? Quelle est la valeur immatérielle propre à chaque objet, et dont les publicitaires traquent l’existence pour mieux nous appâter ? À force de nous pousser à vouloir des produits remplacés la semaine suivante, les désirs sont saturés. Est-il possible qu’à force de solliciter nos désirs, nous voulions juste ne plus vouloir ?



Lisez la suite de la critique sur mon blog :

http://www.bibliolingus.fr/eloge-de-la-demotivation-guillaume-paoli-a80136696
Lien : http://www.bibliolingus.fr/e..
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Eloge de la démotivation

Guillaume Paoli s'inscrit dans toute une tradition de critique du travail. Sa proposition ressemble à celle faite par Corinne Maier dans Bonjour paresse, une sorte de sabotage mou, une grève du zèle, un passivisme. Les plus zélés seront les plus lésés, après la phase maniaque, la phase dépressive, après la fascination, la déception. C'est sans doute ce 2e temps que nous sommes en train de vivre. Parfois avec grèves, manifestation et ressentiment, mais souvent avec joie de vivre et légèreté. En effet, le système capitaliste libéral n'est pas si puissant comme l'auteur le dit lui-même, il n'est pas non plus si pervers que cela. Il est simplement constitué d'une diversité de personnes : certaines entreprenantes, activistes voire hyperactifs et d'autres plus tire-au-flanc, poètes, artistes. Evidemement ma sympathie va plutôt à la 2e catégorie mais il faut de tout pour faire un monde et je vois mal comment on pourrait sortir de cette relation dominant-dominé inhérente au vivant.



Avec Paoli, on passe donc de la critique du système, à la critique du travail puis à la critique d'une partie obscure de la nature humaine : Mais qu'est-ce qui pousse tant les gens à courir ? Et après quoi courent-ils ? "Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre." écrivait Blaise Pascal. Certes ça fait du bien de ralentir et de réfléchir mais ce monde moderne a tellement de choses à offrir (loisirs, culture, voyages), je comprend qu'on soit comme des enfants dans une boutique de bonbons. Me voilà donc défenseur du système. Un système qui laisse énormément de liberté au gens : travailler plus ou moins, consommer plus ou moins, besoins de base ou luxe, développement intérieur ou signes extérieurs de richesse, accepter la servitude volontaire ou tenter d'être plus libre... On utilise le système autant que le système nous utilise. Point besoin de désengagement, cette société est un self-service, servons-nous.

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