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Citation de Charybde2


La femme ne peut démarrer la journée sans le journal télévisé. A peine levée, avant de se rafraîchir le visage et de préparer le café, elle allume une cigarette et la télévision, avec le volume au maximum. Ce matin, un commando guérillero a revendiqué une explosion dans un quartier résidentiel sur les hauteurs de la ville. Il est encore trop tôt pour établir le nombre de victimes. Un gisement de pétrole a aussi été la cible d’un attentat. Les pertes sont inestimables. Lors d’affrontements, l’armée a abattu des dizaines de terroristes. Elle a procédé aux arrestations de leurs proches et de leur entourage. En attendant que l’enquête progresse sur leur organisation, le gouvernement déclare qu’il n’acceptera aucune trêve et ne cédera à aucune menace. Il avertit la population qu’il considèrera désormais toute manifestation pacifiste comme une forme de soutien au terrorisme. La répression s’abattra avec toute la force de la loi. Le métro circule aujourd’hui aux horaires habituels. Un présentateur annonce d’une voix neutre les statistiques mensuelles des morts dues aux attentats terroristes, celles déplorées à la suite d’effractions et de viols, les victimes de catastrophes aériennes, sans compter les accidentés de la route ou du travail. Au petit matin, une fusillade a opposé trafiquants de drogue péruviens et colombiens dans un bidonville. Et puis cette information de dernière minute : un attentat vient de se produire dans une clinique qui expérimente le clonage de bébés.
Le femme ne reste pas devant l’écran. Elle parcourt le domicile en hurlant après les gosses. Elle distribue des coups au passage et écoute la télé comme la radio, en bruit de fond. Les attentats et les massacres ne l’impressionnent pas. Seuls les crimes domestiques la passionnent. Au cours d’un scène de jalousie, une femme castre son mari. Un homme larde de coups de poignard les seins siliconés de sa concubine. Une mère saupoudre la purée de ses enfants de mort-aux-rats. Un garçon met ses grands-parents à griller au four. Si l’annonce est truculente, elle accourt et se plante devant le poste, fascinée. Cette sorte de faits divers la captive, des crimes maison comme des recettes de cuisine. Si la nouvelle provoque un débat, elle prend systématiquement le parti des accusés et discute avec le présentateur, les interviewés et les invités. Elle seule, en grande avocate, semble comprendre les mobiles des accusés. Quand son regard glisse de l’écran vers son mari, l’employé devine ce qu’elle a à l’esprit. Il se demande à quel moment elle passera du statut de spectateur à celui de protagoniste.
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