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Critiques de Guixing Zhang (15)
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La traversée des sangliers

Réalisme magique sur la petite île de Bornéo !



Le côté flamboyant et foisonnant mâtiné de fantastique de ce grand livre, La traversée des sangliers, m'a fait un peu penser au récent roman « Léopard noir, loup rouge » de Marlon James ; Dans ce dernier le réalisme magique sud-américain prenait ses aises en Afrique, ici il se déploie à Bornéo. En revanche, si le début du livre s'avère délicat à appréhender (au point d'avoir voulu l'abandonner), le temps de bien comprendre où nous sommes et qui sont les protagonistes de l'histoire (d'autant plus que les noms sont très exotiques), il se lit ensuite avec fluidité. Contrairement au livre de Marlon James, le livre de Zhang Guixing, écrivain de Taïwan né à Bornéo, n'est pas aussi complexe, aussi fastidieux à suivre. A noter cependant une chronologie déconstruite, le lecteur ne cesse de sauter du présent au passé, puis du passé au présent, ce qui peut perturber les lecteurs non habitués à ce genre de récit à la structure éclatée.



La traversée des sangliers raconte le quotidien d'une petite ville de pionniers chinois à Bornéo sous l'occupation japonaise. Nous côtoyons ainsi une galerie de personnages très pittoresques, simples et modestes, profondément humains, que l'auteur va plonger dans l'amour, dans la violence, dans la simplicité des activités quotidiennes, dans les us et coutumes et les rites, voire les mythes. Et ce dans une nature absolument grandiose, une jungle verdoyante, forte, imposante dont les durians, les jacquiers, les mandariniers, les longaniers, les pluies torrentielles, étouffent, de leur exubérance, les petites tragédies humaines.



« Une pluie d'orage de l'après-midi s'abattit. C'était le début de la saison sèche, des nuages jaune paille débordaient des crevasses du dôme céleste, les gouttes tombaient, vertes comme des brins d'herbe. La pluie tombait tantôt drue, tantôt éparse, oblique, abrupte, remontait vers le ciel. L'avant-toit de la galerie gouttait par intermittence, comme un vieil homme à la prostate gonflée met une éternité à pisser. La bruine persistait, les dépressions du sol abreuvé formaient des flaques ».



Cette communauté vit à Krokop aussi appelée le Bouk aux sangliers. Cette petite ville, située sur la côte nord-ouest de Bornéo, est une terre fertile, riche en bois, en gibiers et en poissons, et surtout gorgée de pétrole. Elle a dû être chèrement conquise par des pionniers, issus de la diaspora chinoise, sur les premiers habitants de ce territoire, à savoir les sangliers. Une bataille mémorable et sanglante, menée par Tzo Da-dy, est ainsi livrée sur une horde gigantesque. Celui-ci devient le chef des chasseurs et acquiert un certain charisme sur le reste de la communauté. Cette bataille fondatrice a donné le nom au village.



« Quand, en 1911, on découvrit du pétrole dans le village, des ouvriers spécialisés d'origine chinoise et des migrants affluèrent en nombre, une forêt d'échoppes en planches poussa, grignotant le territoire des sangliers, les bêtes se rebellèrent emmenées par un mâle dominant de la taille d'un boeuf, elles commencèrent à expulser les humains avec régularité et méthode, en six mois elles avaient reconquis d'innombrables terres cultivées, pris la vie de trois enfants, deux femmes et une vieillarde, les victimes n'avaient pas été piétinées et réduites en bouillie, non, mais dévorées toute entières, les villageois mirent sur pied une équipe de chasse, sans grands résultats, jusqu'à ce que les chasseurs Tzo Da-dy, Tsui le Biscornu, Ti Kim et Tortue Molle s'installent au village ».



Cette violence originelle se poursuivra lorsque les Japonais débarqueront en décembre 1941 après avoir attaqué la Chine en 1937. Tous les habitants, du fait de leur origine chinoise, ont participé au Comité de sauvetage de la patrie et des réfugiés, afin de lever des fonds (notamment via une représentation théâtrale par les écoliers dont les masques colorés surgissent de temps à autre au cours du récit). Cette participation les rend fautifs, y compris les enfants, ils seront ainsi les victimes malheureuses des japonais appelés les Monstres dans le livre (il faut un petit temps pour comprendre de qui parle l'auteur en évoquant ces fameux monstres).



Ainsi, attention, âme sensible s'abstenir. Ce roman est très violent tant envers les animaux (notamment les sangliers) qu'envers les humains face à cette nature qui suit son cours souvent de façon arbitraire et injuste. Des mains sont happées par les crocodiles, des gens dévorés par les sangliers, des têtes sont décapitées, des sangliers sont massacrés, des hommes se pendent (c'est d'ailleurs l'incipit du livre), d'autres ont des blessures terribles (un des hommes par exemple a été scalpé et tente tant bien que mal de cacher sa terrible cicatrice), des femmes sont violées pendant que d'autres meurent en donnant naissance à leur bébé. Quant à la cruauté de la guerre, elle est sans limite. D'ailleurs les hommes semblent plus sauvages encore que les animaux.

Le sort de cette communauté est tragique, la violence surgit à tout moment, seul l'opium, que les habitant consomme en quantité astronomique, permet d'oublier. Quant à la nature, elle ne cesse de déployer ses charmes et sa poésie, indifférente au sort de ceux qui l'habitent.





L'écriture, très belle, contemplative lorsqu'elle décrit la nature jusque dans les moindres détails de la flore et de la faune (que d'arbres méconnus mentionnés, que de fleurs dont le parfum embaume l'air, que d'insectes décrits, que de ciels, que de nuages, que de sons et que d'odeurs), rend magnifiquement l'ambiance de la jungle, compensant, un peu, l'horreur de la violence. Elle magnifie par ailleurs chaque personnage, met en valeur son humanité, ses forces, ses faiblesses, son caractère. La présence solaire des enfants, nombreux, renforce cette humanité et cette douceur qui est distillée malgré le côté sombre du récit. Par ailleurs, l'auteur, dans certains chapitres, utilise le ton et le rythme du conte pour mettre à distance cette violence. J'ai été très sensible à la façon dont l'auteur décrit les scènes d'amour ou brosse les portraits féminins, c'est d'une belle sensualité.



« Durant les trente années qu'il avait vécues, Kwan ne s'était jamais trouvé seul avec une femme. Il s'accroupit devant elle, on aurait dit un chasseur examinant des empreintes fraiches ou des laissées récentes afin de déterminer le passé et l'avenir. Devant cette créature roulées par les flots, dont les seins dressés recouvraient presque la clavicule et dont la natte, qui devait descendre jusqu'au bas du dos, pendait sur la poitrine, les yeux de Kwan s'emplirent de tourbillons. Il tendit la main, la posa sur l'épaule, hésita, puis la retira, il ne savait pas s'il devait la réveiller ou attendre qu'elle se réveille seule. Son visage était constellé de boutons d'acné, ses lèvres étaient incroyablement roses, pulpeuses, sur sa joue gauche il y avait un grain de beauté dodu en forme de fourmi, quand la jeune fille, un peu plus d'un an après, trépasserait, Kwan ne parviendrait jamais à se rappeler l'emplacement exact de ce grain de beauté ».



A noter également, au début d'un grand nombre de chapitres, un passage d'environ une demi page donne une explication très pédagogique d'un élément de la culture de Bornéo, comme, par exemple, le chapitre intitulé Parang, qui, au début du chapitre en lettres italiques, explique au lecteur qu'il s'agit d'un long couteau à la lame recourbée comme une lune utilisé par les aborigènes de l'archipel malais. Un développement lui est consacré puis le chapitre qui suit a trait, dans l'aventure relatée, à ce Parang. C'est très intéressant.





Au final, ce livre sensoriel et contemplatif est un grand livre d'aventure où s'entrelacent la bonhomie joyeuse d'une communauté de gens simples, l'horreur de la violence issue notamment de la guerre, une magnifique poésie dès que la nature est convoquée, le fantastique dès que les visions sont altérées par la drogue, la connaissance de l'Histoire de cette partie du monde ainsi que de ses coutumes. le ton du conte le dispute au roman d'aventure, la pédagogie au ton doctoral à l'écriture contemplative, la leçon d'histoire aux hallucinations fantastiques sous l'effet de l'opium. J'ai eu du mal à en démarrer la lecture mais une fois dedans j'ai été happée, avec un intérêt variable selon les chapitres. J'en ressors secouée, à la fois émerveillée et bousculée. Un livre inoubliable, quoique un tantinet trop violent à mon goût…



Si je devais représenter ce livre en tableau, je prendrais sans hésiter un tableau du douanier Rousseau…« Il s'imaginait transformé en arbre à durians, dans ses branches des singes se livraient à une bacchanale, au-dessous une harde de sangliers fouillait la terre, c'était un tumulte de cris, un beau rêve éveillé ».







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La traversée des sangliers

Vous qui aimez être dépaysé , ce roman est pour vous ! Son auteur ,chinois de la diaspora ,né à Bornéo et vivant à Taiwan nous emmène à Krokop petit village côtier au nord de Bornéo à la population mêlée , indonésien, chinois , japonais et Dayaks . Son récit couvre une trentaine d'année de la vie de cette communauté avec deux moments marquants (et qui se répondent) : l'irruption d'une immense horde de sangliers en migration et ,en 1941 , l'invasion japonaise et l'occupation qui s'en suit jusqu'en 1945. Massacres et tortures , soumission et résistance , libération et vengeance, parang contre katana ,le cycle des violences est constant et on retrouve les terribles situations propres à ce type de moment : bravoure , lâcheté , traitrise . Très étonnante la présence constante des enfants comme acteurs et victimes des combats . Outre cet épisode peu connu de la guerre du Pacifique, le roman se distingue par une écriture d'une fascinante originalité : omniprésence d'une nature luxuriante , symphonie d'évocation sensuelle par l'usage constant de métaphores , alternance de beauté exaltée et d'horreur . Les personnages nombreux sont aussi pittoresques qu'attachants .Le mélange des rêves nourris par l'opium et d'un melting-pot de références culturelles crée une ambiance onirique proche du réalisme magique de Garcia Marquez . Un très grand roman qui m'a ébloui et emporté.
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La traversée des sangliers

Avant le début de la 2ème Guerre mondiale et l'arrivée des japonais, les habitants du village du Bouk aux sangliers, au nord de Bornéo, avaient déjà l'habitude des massacres mais ceux des innombrables sangliers qui dévastaient régulièrement village et cultures. Les villageois se transformant en chasseurs et l'opium aidant devenaient des massacreurs assoiffés de sang. Dans la culture de ces villageois les êtres légendaires et sanguinaires pullulent et la contemplation des méfaits des crocodiles et autres prédateurs n'incite pas à la faiblesse.



Avec l'envahissement par les japonais les rôles s'inversent et les chasseurs deviennent victimes de ceux qu'ils appellent les monstres. Les exécutions sommaires deviennent monnaie courante, le moindre déplaisir de l'occupant entraine des représailles qui permettent aux militaires japonais de vérifier la qualité de leurs armes ; hommes, femmes, enfants sont passés au fil de leurs sabres. Une résistance s'organise, la forêt impénétrable servant d'abri aux plus courageux des villageois qui combattent avec leurs faibles moyens mais avec leur connaissance du terrain et l'aide de l'opium que tous consomment abondamment. Jusqu'à la défaite du Japon la guérilla sera impitoyable et se finira par les règlements de comptes d'usage.



Chef d'oeuvre promet le bandeau de l'éditeur ! Sans doute pour certains mais d'autres trouveront le roman trop confus, trop chargé, trop violent.

La chronologie est déconstruite, les destins des principaux personnages sont racontés de façon décousue et elliptique, l'originalité principale vient de la contemplation au coeur de l'action : l'auteur interrompt fréquemment la narration pour décrire longuement des éléments de la forêt. Arbre, fleur, animal, nuage, odeur sont l'objet de son attention pour créer un contraste entre l'horreur créée par les hommes et la quiétude éternelle de la Nature indifférente.

Ce qui au début distille une réelle poésie devient lourd à la longue, la langue est belle et riche mais finit par lasser. de même le lecteur doit rechercher la réalité au milieu des visions qu'ont les acteurs sous l'emprise de l'opium. Enfin la violence est extrême, les actes de cruauté s'enchainent, saisis par la guerre et la drogue japonais et résistants s'étripent sans raffinement, souvent sans raison mais avec plaisir.

Pour ceux que cela n'effraie pas, qui sont prêts à se laisser porter par une langue superbe, à admirer jusqu'à l'infini la beauté de la faune et de la flore de Bornéo et à contempler la folie des hommes à son paroxysme, le chef d'oeuvre annoncé est peut-être au rendez-vous.

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La traversée des sangliers

La traversée des sangliers est un magnifique roman qui nous plonge au cœur de la jungle de la province de Sarawak, à Bornéo.



À travers ce roman, nous suivons tout un groupe de personnages hauts en couleurs : des chasseurs, des fumeurs d'opium, des commerçants, des villageois et leurs enfants. Nous sommes plongés dans la moiteur de cet environnement, dans une nature luxuriante, abondante et menaçante. En trame de fond, nous assistons à l'invasion de cette île par les Japonais, appelés Monstres par les villageois.



Le récit alterne plusieurs époques, nous sommes les témoins de moments de vie de nombreux personnages. Le réalisme magique qui imprègne l'univers de Zhang Guixing n'est jamais très loin et c'est un vrai délice. La vie de ses habitants est rythmée par la chasse, la survie face à l'envahisseur et l'amour. Les mythes populaires sont aussi très présents, il n'est pas rare qu'un homme se fasse attaquer par une femme "vampire" ou qu'une femme se fasse vider de son énergie par un terrible esprit. Il vous arrivera aussi de voir un coq sans tête qui mène sa vie comme si de rien n'était, ou qu'un homme puisse retenir indéfiniment sa respiration sous l'eau sans grande difficulté. La magie est distillée à droite et à gauche mais la réalité de la guerre vient souvent entacher ces instants suspendus hors du temps.



La langue est riche, la narration est dense, chaque phrase est une image, les descriptions sont incroyables. Les personnages nous font rire et pleurer. Nous en apprenons plus sur ce que les peuples des îles d'Asie du Sud-Est ont pu subir durant l'occupation japonaise.



Le petit plus très agréable de ce roman : la préface du traducteur, Pierre-Mong Lim, une aide bien précieuse et très bien écrite pour comprendre l'auteur.
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La traversée des sangliers

Un roman dense et envoutant, servi par une langue magnifique (bravo au traducteur), dont le cadre est celui de l'occupation japonaise à Bornéo.

Entre réalisme magique et récit de guerre, on suit le quotidien d'une galerie de personnages hauts en couleurs, les villageois et leurs enfants, bouleversé par la guerre. Avec en toile de fond la jungle, ses cris d'oiseaux, ses odeurs, sa violence, ses mystères.

La construction du roman peut d'abord sembler exigeante, avec des évocations du passé qui s'entremêlent au présent, et une frontière imprécise entre réalité et rêve, mais on se laisse rapidement emporter par ce texte flamboyant et ces personnages attachants.

Omniprésence de l'opium qui fait percevoir une autre réalité… Cruauté insoutenable des Monstres (comprenez l'occupant japonais)… La folie des hommes ne laisse espérer aucune fin heureuse.

On ne ressort pas indemne d'une telle lecture.
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La traversée des sangliers

« C’était juillet, l’été féroce imprimait sa morsure de chacal, poussait son hurlement de loup » : dans le Bornéo de la diaspora chinoise sous invasion japonaise en 1941, un immense roman réaliste et magique pour traquer les oppressions et les résistances quotidiennes dans les plis de la grande Histoire.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/07/12/note-de-lecture-la-traversee-des-sangliers-zhang-guixing/



Niché à l’embouchure de sa rivière descendant droit de la jungle et des montagnes de l’arrière-pays, connu pour ses eaux poissonneuses et pour les hardes qui lui valent son surnom de « Bouk aux Sangliers », Krokop, gros village de la côte nord de Bornéo, coule une vie presque paisible en ce début des années 1940. Entre une économie coloniale d’opulence et une économie de subsistance qui n’exclut pas certaines manifestations occasionnelles de solidarité, les quelques colons néerlandais ou britanniques côtoient une florissante communauté chinoise, une importante population malaise, quelques membres de la diaspora japonaise, et, de temps à autre, quelques Dayaks descendus pour quelques courses en ville de leur domaine de jungle qu’ils ne partagent qu’avec de rares chasseurs expérimentés. Dans les vapeurs régulières d’opium qui baignent une bonne partie du village presque autant que la fumée de tabac, on cultive soigneusement des amitiés bonhommes, des amours probables ou improbables, de menues crapuleries honteuses, et quelques secrets potentiellement effroyables. Rien que de très normal, en somme, dans un décor extraordinaire dans lequel « La Rescousse » de Joseph Conrad, ou ses autres romans « indonésiens » et « malais » (la rupture politique post-décolonisation n’interviendra de fait qu’en 1963), aurait muté au fil du siècle, si ce n’est peut-être que certains mythes cruels du folklore régional semblent disposer ici d’une curieuse réalité.



Alors survient le 13 décembre 1941, et l’invasion de Bornéo par l’armée impériale japonaise.



On a beaucoup parlé, et tout à fait à raison, de réalisme magique à propos des romans de Zhang Guixing (Chang Kuei-hsing en anglais et 張貴興 en chinois), Chinois de la diaspora, né au Sarawak (la partie malaisienne de l’île de Bornéo) en 1956 et installé à Taïwan (dont il a obtenu la nationalité en 1982) depuis 1976. Avec cette « Traversée des sangliers », son septième roman, datant de 2018 mais le premier traduit en français, en janvier 2022, par Pierre-Mong Lim pour les éditions Picquier, nous découvrons ainsi une manière très personnelle, et pour tout dire plutôt extraordinaire, d’insérer avec une cruauté sans fard la grande Histoire dans la microscopique, de pratiquer une sorcellerie par laquelle les sangliers semblent souvent doués de raison (le formidable rapport puissamment ambigu entre nature et culture, dès les premières pages, établissant comme une connivence secrète avec, par exemple, le « Princesse Mononoké » d’Hayao Miyazaki), les penanggalans (que les plus vieux rôlistes ici auront peut-être rencontré au détour du Fiend Folio d’AD&D 2 vers 1981-1984) évoluent librement à la nuit tombée si l’on n’y met pas bonne fin, les soldats japonais (appelés – on saura hélas vite pourquoi – les « Monstres » tout au long de l’ouvrage) peuvent continuer à pédaler quelques semaines sur leurs vélos même après que leurs têtes aient été soigneusement tranchées par les derniers résistants encore en vie.



Tissé de jungle et de magie, d’avidité et de sadisme, d’amour et de dissimulation, de poésie subtile et de mélancolie indéracinable, en un cocktail rarissime, « La traversée des sangliers » tire aussi sa force particulière d’un jeu sans pitié avec la chronologie, jeu par lequel de très nombreux flash-backs et flash-forwards, qui ne se présentent pas toujours d’emblée comme tels, établissent un réseau serré de correspondances mystérieuses, qui se dévoileront pourtant toutes in fine, entre passé, présent et futur, entre ce qui ressort de l’individu et ce qui ressort du collectif, ou entre les moments héroïques parfois ignorés et les abîmes de lâcheté bien dissimulés (tous les collaborateurs de l’occupation ne seront pas si faciles à identifier). Et c’est ainsi que l’on tient entre ses mains un roman immense, traquant avec une joie féroce les oppressions et les résistances réputées invisibles dans les plis les plus inattendus de la grande Histoire officielle.



L’excellente chronique de Sébastien Omont dans En attendant Nadeau est à lire ici, celle de Nils C. Ahl dans Le Monde des Livres est ici, celle de Frédérique Fanchette dans Libération est là, et celle de Christian Desmeules dans Le Devoir est là. Mentionnons aussi sans faute que la traduction de Pierre-Mong Lim (face au foisonnement d’un vocabulaire extrêmement précis de la nature déployé par l’auteur taïwanais), comme sa précieuse préface, impressionnent.


Lien : https://charybde2.wordpress...
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La traversée des sangliers

Que dire... adepte des commentaires plus "évocateurs" que "narratifs" (que je laisse avec bonheur à d'autres babelisants), je ne sais plus ou donner de la tête, heureuse toutefois d'avoir encore la mienne sur mon cou...



Le ton est donné: la luxuriance des descriptions de la forêt tropicale, du règne animal, de la végétation; l'abondance des personnages (près de 100, arrivée aux deux tiers du roman), leurs noms : Ko Grande Perche, Ta la Flemme, Hioh Siau-Ngo, Tsiu Kyo Kyo, Lolo Brioche, Emily (ouf!) et enfin... la collision constante du temps, retours en arrière, bons en avant, sans prévenir... et enfin enfin, ajouté à ça, l'opium qui infuse adultes et enfants tout au long du roman et dont le manque provoque de déroutantes hallucinations gentiment insérées dans le texte au même titre que la narration "objective", tout concourt à perdre le lecteur. Lequel est périodiquement et violemment tiré de sa fascination et de sa quasi rêverie par la sauvagerie extrême des "Monstres" à savoir les occupants japonais.



A lire une fois dans sa vie, pour se colleter à cette étonnante écriture qui rend palote l'expression "réalisme magique"... le "réalisme" est souvent passé au fil des sabres et des parangs (coupe-coupes) et des têtes qui roulent, la magie exacerbée par des descriptions luxuriantes et une poésie à couper le souffle.



Amoureux de la chronologie, passez votre chemin, ainsi que ceux qui trouvaient qu'il y avait trop de personnages dans les romans fleuves russes. Mais si on se cramponne, on en apprend aussi beaucoup sur Bornéo, la colonisation occidentale et l'occupation japonaise. Et les sangliers! On y rencontre des portraits attachants, enfants, adultes, hommes, femmes. On se prend à les aimer, même si on les perd souvent, mais on les retrouve parfois au gré des caprices du narrateur.



La violence atteint toutefois parfois l'insoutenable, et j'ai du me cramponner. C'est à ma passion de lectrice, et à un bizarre respect pour certains auteurs, et à des mots mystifiants comme "apotropaïque", que je dois d'avoir continué la lecture. J'ai bien fait, essayez, vous verrez!



Le traducteur fait un travail magnifique et on l'oublie, comme dans les grands chefs d'oeuvres, on croit savoir lire la langue d'un Chinois de Bornéo qui écrit désormais depuis Taiwan. Sa préface est très utile pour mieux comprendre le contexte tant historique et que les migrations en Mer de chine.
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La traversée des sangliers

Bornéo, une île de l’Asie du Sud-Est, avec une forêt primaire exceptionnelle. Dans les années quarante, elle héberge des immigrés chinois, ainsi que des ouvriers javanais pour l’extraction du pétrole. L’auteur a choisi de relater son roman dans un petit village côtier de pêcheurs du nord-ouest, avec une communauté vivant en harmonie, usant d’entraide, certes parfois des animosités et évidemment maniant des secrets plus ou moins sordides, avec dès lors des conséquences tragiques. Bref, l’on pourrait dire que : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.



Une belle image, mais nous savons tous qu’il en existe, toujours, un côté négatif. En apparence, car en effet, en décembre 1941, après l’attaque de Pearl Harbor, des milliers de japonais, décident d’envahir le village de Kropkop autrement dit le Bouk aux sangliers – auparavant les villageois ont dû se battre contre des hordes sangliers sous l’emprise de l’amok –, dont l’objectif était la mainmise sur la production de pétrole (le nerf de la guerre).



Et la foudre tombe dans ce microcosme, pour faire régner l’enfer que subissent tous les villageois : subir en permanence l’humiliation, les exécutions sommaires, les vols et les viols qui deviennent monnaie courante ; et dans ce contexte, le sabre virevolte en permanence dont son fil est rouge du sang de la barbarie. Cependant ; la résistance s’organise, beaucoup s’enfuient dans la jungle, leur terrain nécessaire de repli. Nécessité fait loi, en conséquence, une guérilla aveugle et sans règles, de scènes d’horreurs, une mise en exergue de la lutte incessante contre les Monstres, avec les différentes ethnies subissant le joug de cette occupation. C’est ainsi que ce conflit durera plus de trois ans, et laissera les stigmates habituels de la guerre, non pas , mais certainement ceux de la barbarie.



Une œuvre splendide, aussi bien dans les détails fournis par l’auteur, tel que : la description de la faune et de la flore, les sentiments des autochtones face à l’inconnu, la consommation effrénée de l’opium avec ses effets néfastes ; mais encore un voyage dans le temps qui serait agréable, en imaginant l’efflorescence des hibiscus et des bougainvilliers, le vol des éperviers bleus en chasse ; si ce n’est qu’il faut quitter les nuages des rêves pour l’immense cruauté des hommes sans frontière.



La richesse du roman « La traversée des sangliers » ne peut se concevoir, sans bien sûr les digressions sur l’exubérance et la luxuriance de l’île de Bornéo, ni la poésie du bonheur lexical entachée de la vanité et de la bestialité humaines, indiquées par de nombreuses métaphores. « Guixing Zhang » délivre ce récit avec une richesse d’un langage soutenu, et nous enivre de ses descriptions, mais ne nous cache pas que la vie ne tient souvent qu’à un fil.


Lien : https://bookslaurent.home.bl..
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La traversée des sangliers

Dense, picaresque et flamboyant, un récit inclassable à découvrir pour sa prose et son contenu.

J’avoue avoir été désarçonnée parfois par le trop-plein de violence et de cruauté narrés ici avec un grand réalisme. Cette impression a été contrebalancée par l’humour, la grandiloquence de personnages incroyables et même cocasses.

Les japonais, les horribles envahisseurs, ont face à eux des villageois déterminés et habitués à chasser les sangliers.

Si vous aimez les grands romans épiques, les histoires fortes avec des héros pas comme les autres et l’ambiance de la jungle omniprésente avec sa faune et sa flore, pas d’hésitation ce roman est fait pour vous.
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La traversée des sangliers

Accrochez-vous sérieusement car ce roman n'est pas facile à lire, mais quel univers fabuleux ! quelle écriture magnifique ! Tout est étonnant : les temporalités, les personnages, le background folklorique, la manière d'envisager le réel. Les descriptions deviennent digressions, métaphores, changent de fil narratif, se font symboliques et nous ramènent au cours du récit, un peu étourdi, mais enchanté du voyage.

Pour ce qui est de l'histoire, je vous laisse consulter d'autres présentations plus attachées au contenu historique et narratif.

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La traversée des sangliers

J'ai abandonné ce livre au 2e chapitre pour un sombre problème de... ponctuation !!!

Je ne sais pas si c'est voulu par la personne ayant traduit, mais la ponctuation est rare et bizarrement placée, ce qui a considérablement freiné ma lecture. La langue employée est incroyablement belle, riche, évocatrice, mais sans la ponctuation adéquate, elle devient incompréhensible, m'ayant obligée à de fréquents retours au début pour comprendre le sens de ce que je lisais.

Ca m'a profondément énervée, je déteste ça, c'est pour cela que je n'arrive pas à lire Kerouac et Cendrars, par exemple.

Sinon, ce livre a quelque chose d'hypnotique, une espèce de force brute, de beauté cruelle...

Je pense que je retenterai de le lire, dans d'autres dispositions, peut-être...
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La traversée des sangliers

C'est un roman exigeant. Le style, la temporalité, les événements. Tout peut vous prendre à la gorge. Le premier réflexe est de se débattre, forcément, mais avec de la patience on gagne beaucoup dans notre expérience de lecture. On comprend mieux les ficelles de l'auteur (et sûrement du traducteur), on parvient mieux à cerner les personnages principaux, leurs histoires et leurs comportements et attitudes. Il y a beaucoup de choses aussi sur la culture et l'histoire de Bornéo ce qui amène à apprendre énormément sur le contexte particulier du roman, aussi bien que sur la faune et la flore de l'île.

Bref, je conseille vivement aux courageux. Car lorsque l'on se laisse embarquer, nos sens et nos sentiments se décuplent, vacillent, se rebellent, se cherchent et je pense que c'est pour ce genre d'aventures que nous aimons lire.
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La traversée des sangliers

L'invasion japonaise de Bornéo vue à travers la langue éclatée et le réalisme magique de Zhang Guixing.




Lien : https://www.ledevoir.com/cul..
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La traversée des sangliers

L’occupation japonaise de Bornéo racontée par un personnage merveilleux qui parle des langues sans nombre.
Lien : https://www.lefigaro.fr/livr..
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La traversée des sangliers

S’il fallait trouver un mouvement pour caractériser La Traversée des sangliers, sa construction, son écriture, celui-ci serait à coup sûr circulaire. Ample aussi, comme les près de 600 pages qui le composent, et rapide comme un sabre qui s’abat – il en tombe ici comme s’il en pleuvait.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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