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Petit traité de la marche en plaine de Gustave Roud
C'était toi, c'est toi. Je t'attendais depuis toujours, je te "reconnais" enfin. Il fallait bien que ton existence me devînt certitude; enfin je puis jeter ton beau nom comme une galette empoisonnée dans la gueule de l'affreux désespoir. Je touche une existence réelle. Il y a près de moi un homme qui vit et se sait vivre - et qui n'en meurt pas. Un homme dont le corps tout entier, et l'âme, et tous leurs gestes sont de perpétuelles "réponses". Un être que le monde accueille sans le rançonner et qui accueille le monde sans lui faire rendre gorge. Quelqu'un pour qui "se plaindre" n'a pas même de sens et qui dompte sans même y songer la pire des solitudes, tendant la main à l'aigre vagabond du hasard. Un jour, deux jours peut-être nous vivrons ensemble dans la maison qui est la tienne et que j'ai découverte enfin parmi les prairies inconnues. Nous regarderons le soir venir, sans rien dire, côte à côte sur le banc contre la façade encore tiède. A tes pieds un long chien sombre lève le museau vers ta main pendante. Tu lèves l'autre main: un vol de pigeons éclate et se pose sur les tuiles. La semaine est finie. Une cloche annonce le dimanche. Tu respires sans hâte, fortement, puissamment, comme un dormeur. Tu existes. Tu "es". Tu es ce que j'aurais pu être, et tu ne le sais pas. Je te donne ma joie, ma tristesse, ma force inemployée, mes rêves, ô innocent. Tourne la tête! La lune se lève, tu fais sur le mur l'ombre d'un homme. Je n'en ai plus. + Lire la suite |