« Tous ces jeux métaphoriques sont cruciaux pour rendre lisible conceptuellement le fonctionnement des sites aux yeux des internautes, pour favoriser leur implication identitaire dans une structure imaginée de manière plus "anthropomorphe" que "scripturaire", ainsi que pour encourager des "rituels de productivité" à l'écran.
[…]
"Est-ce que ce sont-là de 'vrais' amis ? Internet est-il un 'monde gratuit où tout se partage' ?". Là où la doxa piétine encore sur des métaphores prises au pied de la lettre, nous considérons que sans ces mises en images sophistiquées le montage des identités sur le Web contemporain resterait inachevé. Sans la faveur des métaphores, les structures matérielles d'un site Internet ne susciteraient pas la même "reconnaissance" dans nos sociétés. Dépourvues de transports, les écritures qu'elles montent ne sauraient pas prétendre à ces allures de théâtres du "social" et de "mondes de la vie" qui semblent faire leur charme actuel. » (p. 51)
« L'industrialisation de la conscription soulève un enjeu de taille en termes d'identité et d'identification compte tenu des effets de sens qu'elle peut produire entre synoptismes et appartenances, synchronies et durées, sympathies et intertextualités. La friend request, le like, le partage, le commentaire, le retweet sont tous des opérations de conscription qui finissent par associer en un clic des noms à d'autres noms ou à des contenus. Par leur truchement on fabrique les castings des récits et les collectifs des rituels médiatiques qui se jouent sur le Web. […] In fine, la banalisation de la conscription favorise la possibilité de voir son nom écrit ensemble avec un acteur tiers partenaire en quête de clientèles et d'audiences. » (p. 61)
« Le fonctionnement des boutons "j'aime" ou "♥" qui ont colonisé l'ensemble du Web est tout aussi amphibologique : là où l'internaute pourrait croire qu'il est simplement invité à exprimer son appréciation subjective sur un contenu, d'un point de vue industriel on sait bien que ce clic vaut annexion nominative et iconique du sujet à une audience, une fanbase ou un fichier client. Entre un volume croissant de sujets-internautes et un ensemble d'acteurs-partenaires adoptant des politiques de marque, c'est une fois de plus la dynamique de conscription qui revêt un enjeu pratique sur le Web contemporain. […] Où en sommes-nous par rapport à l'innocent verbe "aimer" ? » (pp. 112-113)
« […] la production d'un certain texte identitaire, déployé par à-coups de conscriptions, maintient stratégiquement une porosité entre l'expression personnelle et la mise en circulation de différents discours sociaux (promotionnels, marchands, médiatiques, etc.). "Avez-vous à voir quelque chose avec ceci ? Et vous, avec quoi avez-vous quelque chose à voir ?" Voilà les questions que les dispositifs du Web contemporain semblent nous adresser en masse, à la recherche de "sujets" pour leurs discours. » (p. 94)