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Cher Monsieur Guy Alexandre Sounda,
Tout d’abord je crois qu’il faut féliciter votre éditeur qui est arrivé à résumer votre prose en quatrième de couverture.
Ce n’était pas gagné d’avance pour un livre qui peut paraître sans queue ni tête.
Avec votre vocabulaire, le plus étendu et le plus imagé depuis Rabelais (ou le charme de votre langue au carrefour de deux cultures), vous écrivez comme vous pensez et vous pensez comme vous parlez. Il est donc normal qu’un Ecouteur soit nécessaire pour transcrire les élucubrations du personnage principal (qui parle surtout le langage des signes).
Votre livre est un rébus où on passe de la vie au Gombo, à la guerre civile de Sa-Majesté-la-Chose, à l’arrivée en France, au rhum, aux fantômes, le tout sans concession.
- Quelqu’un pourrait-il me dire pourquoi Dieu nous a refilé ce maudit pétrole ?
- Vous ignorez qu’à part les membres du Parti gombolais de la révolution, nul dans ce pays n’a le droit de porter la moustache ?
- L’année antécédente nous avions été témoins d’une incohérence à crever de honte : notre ministre des Affaires agricoles nous avait ramené de Norvège 803 chasse-neige au lieu des 500 tracteurs à chenilles pour lequel il avait obtenu du Trésor public six milliards de francs gombolais.
- C’est un truc que j’ai attrapé pendant la guerre, une espèce de transe al-caponique qui me pousse au meurtre.
- Non, il vaut mieux le laisser à son chagrin. Tu connais le proverbe : un homme prudent, quelle que soit la couleur de sa myopie, doit toujours voir le mal au-delà de son nombril.
- Non tu n’es pas tout seul, tu as soixante-seize cadavres dans la tête et un vieux qui s’en est échappé pour se réfugier dans ta bouteille de gnôle.
- Elle est morte pas sa faute. Pourquoi me refusait-elle un bisou ? Ça ne mange pas de farine un petit baiser sur les lèvres. Je sais que je ne suis pas un mec bradpittant…
- Puis ensuite ? J’ai un trou noir. Tu te souviens de quelque chose ? Non, indubitablement.
… Euh, bonjour Majesté ! Je viens d’un pays qui pue la fin des nouilles, un petit pays tiraillé entre le fromage et le foufou, entre la rumba et le jazz, entre la bible et les fétiches, entre le gazon et la paille, un tout petit pays de cinquante-cinq mille kilomètres cruellement carrés où les hommes vivent de bières et les femmes de prières, où les gosses rêvent de révolutions et de révoltes à la belle étoile en s’entraînant avec des fusils en carton dans les arrière-cours infestées de moustiques.
Et dire, Monsieur Sounda, que vous n’êtes même pas pessimiste, juste réaliste.
Merci pour cette découverte.
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Chronique de Sami Tchak ( Grand prix littéraire d'Afrique noire) :
Un livre à lire et à faire découvrir. Une écriture, une voix! Le plaisir du texte, de la matière pour l'esprit. La densité du vivre! Un écrivain, un observateur qui recoud les miettes de l'instant avec le poids écrasant du passé. Le Moi surgi de l'Histoire.
Cela n'aurait été qu'une question de guerre et de sang, mais ce narrateur qui parle à sa poupée s'insinue en nous comme l'écho de notre conscience, comme le prolongement de notre regard. Il nous éveille (ou réveille) aux infimes choses qui nous sont peut-être passées inaperçues alors qu'elles tiennent en elles le sens de la vie. Nous glissons du fragile détail à des tranches tirées de l'infernale orgie qu'est toute guerre.
On monte à bord du verbe de l'auteur comme sur un navire pour une virée incertaine. On dérive à la fois enchanté et angoissé. Non, ce n'est rien, ce n'est vraiment rien: juste un voyage au cœur de l'humanité où les étoiles n'atténuent pas la nuit, ou la nuit n'avale pas les étoiles, car les vérités possibles de ces confessions nous attendent dans nos propres clairs-obscurs. Même si nous ne sommes pas tous des sardines sans tête. ET surtout pas cette sardine-là, celle qui sait si bien nous parler que nous nous surprenons à penser qu'elle aussi est notre FRÈRE! C'est tout ce qu'on demande à la littérature: de réveiller même en un monstre ce que nous portons tous en nous, cette fragile lueur qui n'est nullement la promesse du meilleur ni forcément l'ironique sourire du pire.
Page 132: "Et à compter de ce jour-là, les choses n'étaient plus comme je les voyais, comme je pensais les saisir, disposées scrupuleusement sur les rayons, derrière les vitrines offertes aux promeneurs, badigeonnées des couleurs de France. Je venais de comprendre qu'elles avaient un prix, mais que ce prix-là n'était pas celui que l'on voyait indiqué en majuscules devant chaque montre ou chaque pot de confiture: il fallait obligatoirement le flairer dans la tourbe du quotidien, à travers le sourire crispé de la vieille dame du coin de la rue qui n'aime pas les mecs en noir et les nanas en burqa, dans la tête du barbu qui chante des chansons de Renaud sur la banquette de la gare, sur la mine consternée de la petite gitane qui quête devant le supermarché pendant que son père se gratte les couilles en coin, sur les joues entaillées de la jeune maman qui sanglote fort en elle quand elle entend la voix de son époux rentrant du bistro où il vient de boire tout le pognon du mois, sur les rides du serrurier qui vit dans sa bagnole depuis que les juges ont prononcé le divorce d'avec sa seconde épouse, du côté de la périphérie où flétrissent en bas des immeubles des jeunes gens en âge de voler de leurs propres ailes".
Pp. 156-157: "Le jour où Luiz Ortella, le neveu du défunt Ernesto Balobi, le chef du Parti gombolois des prélats irrités, assassiné dans son église, tu t'en souviens, prenait son envol pour Rome, les douaniers avaient découvert, emballés dans un mouchoir rouge, au fond de son bagage à main, un sein menu et un sexe de jeune fille. Il avait beau rugir qu'il en ignorait la provenance et que son voyage n'avait rien de spécieux, car il était invité à une conférence épiscopale organisée par le Pape en personne, les cinq douaniers groupés autour de lui l'accusaient de verser dans le trafic d'organes humains au profit du cartel indonésien domicilié en Italie, au vu du rapport d'enquête des services de renseignement qu'ils avaient en leur possession. La boucle avait été vite bouclée, et le piège s'était refermé sur le pauvre vicaire, qui n'en revenait pas. Tout cela parce qu'il avait pris la tête du Parti gombolois des prélats irrités et juré de continuer la lutte que monseigneur Ernesto Balobi avait ébauchée, de réduire à néant la puissance des trente amulettes à têtes d'éléphant que Sa-Majesté-la-Chose cachait entre les cuisses de sa mère-épouse et de remettre le pouvoir dans les mains de Dieu"
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Comme au bord d'un plongeoir, j'ai ouvert ce récit en pointillés d'un homme qui traîne un lourd passé de tueur, récit en pointillés d'un déraciné, pointillés aussi francs qu’absurdes, aussi sombres que brillants. Puis j'ai plongé dans cette langue aussi phraseuse que celle de Victor Hugo, au cœur de ce verbe aussi étincelant que celui de Prévert : une langue qui emprunte à toutes les époques pour mieux nous révéler la nôtre. J'ai nagé à côté de ces personnages humains et si lunaires, qui m'ont ra-conté au creux d'un sourire et au bout d’une larme les tréfonds de l'âme humaine, les errances de ceux qui en arrivent à tuer, et qui sont aussi ceux qui voudraient aimer. Ce fût une belle virée, un plongeon étourdissant dans ce monde si lointain, néanmoins viscéralement proche et semblable au mien…
Yael Tama, auteur, pédagogue, Paris.
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Un homme qui se nomme lui même sardine sans tête est arrêté parce qu'il était juché sur la statut d'Henri IV. Amené dans un centre il ne parle pas et ne semble pas avoir toute sa tête. Une personne qui parle le langage des signes va alors établir un contact et sardine sans tête va nous raconter son histoire. Sa ville natale, ses parents, la vie dure mais paisible puis le basculement : son père assassiné par les bérets rouges du gouvernement, la dictature qui devient insupportable, la rébellion et la guerre civile.
Malgré un langage très imagé et très sarcastique le propos est dur et pas toujours évident à suivre puisque le personnage mélange réalité et hallucinations. Je me suis attachée au personnage au début mais plus le roman avance et moins on peut adhérer.
J'ai également trouvé que la fin n'en était pas une, j'ai trouvé cela dommage.
C'est cependant très bien écrit, les pages se tournent assez vite. Je le conseille.
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