Dans "Mon dictionnaire du Bullshit", Guy Sorman développe sa propre pensée, loin de vouloir imposer une vérité contrairement aux idées reçues. Une invitation à la contradiction. Les différentes entrées de ce dictionnaire, aussi variées que "Sainte Greta", "Reagan Ronal", "fin de l'histoire" ou "Post-libéralisme" sont autant de fils du parcours personnel de l'auteur qu'il traite d'un point de vue théorique mais également personnel.
"Mon dictionnaire du Bullshit" est un livre à l'image de son auteur : impertinent. Guy Sorman a pour habitude de renouveler sa pensée sans tomber dans la polémique. À travers son parcours à "L'Express" ou encore aux côtés des hommes politiques comme Jacques Chirac ou Alain Juppé, Guy Sorman est passé d'un discours libéral à un post-libéralisme défendant le Revenu Minimum Universel. Une façon de défendre la véritable pensée, à l'inverse des idées reçues qui mènent à une pensée unique.
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Nous croyons être d'un lieu, nous sommes d'une époque.
Je préfère Proust a Sorman.
L'État d'Israël est une erreur historique. [Il] annonce la fin du peuple juif en tant que nation singulière, parce qu'il n'existe pas plusieurs manières de gouverner ni d'être soldat : un politicien israélien ou un soldat israélien ne sont plus que des Israéliens d'État. En quoi sont-ils encore juifs ?

Face aux entrepreneurs en xénophobie, les militants de l’antiracisme, du multiculturalisme et des droits de l’homme ne sont-ils pas, à leur tour, devenus des entrepreneurs en politique-spectacle, exploitant l’angélisme et la grandeur d’âme ? « Les mouvements antiracistes sont dangereux, observait à leur sujet Claude Lévi-Strauss, mais ils ne sont pas que cela. » Aphorisme typiquement lévi-straussien qi mérite d’être bien compris.
Les mouvements antiracistes sont dangereux parce qu’ils occultent le fait que le sentiment xénophobe est « naturel ». L’évitement de l’étranger apparaît dans toutes les sociétés où des groupes différents coexistent ; les « sauvages », qui le savaient bien, adoptaient pour stratégie de s’éloigner les uns des autres. Aussi l’antiracisme militant condamne-t-il par ignorance ou inadvertance un sentiment qui est répandu chez le plus grand nombre : il invente une culpabilité.
Le « mais ils ne sont pas que cela » exprime par ailleurs le refus absolu d’une équivalence morale entre racisme et antiracisme : le premier conduit à la violence, l’autre non. Le refus de violence n’est pas équivalent à l’appel à la violence.
La méthode « antiraciste » est également peu productive, parce qu’elle suit les entrepreneurs xénophobes sur le terrain du « tout culturel » et de l’ « identité » qui ne se prête bien qu’à des discours contradictoires. Au total, l’antiracisme militant se révèle aussi inutile que son adversaire pour définir une organisation de la société qui n’éliminerait pas la xénophobie dans les têtes, mais permettrait de vivre en paix malgré la xénophobie. (pp. 177-178)
Mes concessions à l'économie ayant des limites, dès 1970 , j'ai cessé d'enseigner l' "économie soviétique "bien qu'elle figurât au programme officiel de Sciences Po , considérant que cette économie n'existait pas réellement. Seul de mon espèce, j'enseignai la théorie monétaire de Milton Friedman en un temps où la doctrine de l'Etat attribuait la hausse des prix aux commerçants et non pas aux dépenses publiques excessives. Il est aujourd'hui admis que les Etats, et pas les commerçants, provoquent l'inflation, une mise en cause qui est restée taboue jusque dans les années 1980, puisque les enseignants de Sciences Po , gérant l'Etat, étaient par essence infaillibles; de surcroit, la théorie monétaire était perçue comme américaine.
Les Américains donnent plus qu'ils ne votent, les donataires sont deux fois plus nombreux que les électeurs, comme si la citoyenneté s'exprimait par le don plus volontiers que dans les urnes. Ceux qui ont eu énormément de chance- les super-riches restituent en argent et ceux qui en ont eu moins restituent en temps libre, pour aménager un jardin public, entretenir le voisinage, se faire guide de musée, assister des enfants en difficulté....
Paradoxe contemporain : les frontières n'ont jamais été plus faciles à franchir et, dans le même temps, jamais aussi nombreuses. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, le monde entier nous est accessible. L'effondrement de l'Union soviétique a balayé les derniers interdits, le coin le plus reculé n'est jamais qu'à vingt-quatre heures d'avion de Paris ; nous sommes entrés dans un « village global » où tout frémissement local est immédiatement perceptible partout, quoique à des degrés variables. Ne convient-il pas, pour un observateur des affaires publiques – un publiciste, ainsi qu'on l'appelait au XIXe siècle –, de se faire mondiologue, c'est-à-dire d'y aller voir?
À six ans, je franchis ma première frontière. Il ne s'agissait que de prendre le train pour la Belgique, mais quelle aventure c'était en 1950 ! Le tout-Sartrouville m'en semblait informé, je regardais mes camarades de banlieue avec un air de supériorité. L'idée reçue sur la Belgique d'alors en faisait un pays fort propre, par contraste avec notre cité où nous n'avions pas encore découvert les commodités du tout-à-l'égout. La propreté belge, m'expliqua mon instituteur qui ne s'y était jamais rendu, s'exprimait dans le geste de fortes Flamandes lavant les trottoirs à grande eau; la scène se révéla exacte, mais l'eût été autant si nous avions visité les Flandres françaises.
La révolution culturelle ? Quelle différence avec Auschwitz ? demande Liu Xia. Tous les Chinois qui avaient les mains blanches, non abimées par le travail manuel, et un diplôme, étaient arrêtés par les gardes rouges, torturés, et trente millions en moururent. La vraie distinction entre Auschwitz et la révolution culturelle ? En Europe, on s’interroge sur l’origine du mal, avec l’espoir d’en prévenir le retour ; en Chine, cette réflexion est interdite puisque le Parti qui a ordonné la Révolution culturelle est au pouvoir. Ses dirigeants actuels ont été gardes rouges. (p. 71)
Investir dans leur propre avenir leur est interdit dans la mesure où tout crédit leur est dénié : la terre ne leur appartenant pas – elle appartient à l’Etat -, nul ne peut offrir sa propriété en garantie contre un prêt bancaire. Dans un pays pauvre, l’inégalité devant le crédit vaut condamnation à la misère à perpétuité. Le Parti, qui le sait, n’envisage pas pour autant que la terre puisse être donnée plutôt que concédée au paysan qui la cultive : la propriété foncière risquerait de faire émerger une classe moyenne qui ne devrait plus sa survie au Parti. (p. 112)