— Ce que tu n’as pas l’air de comprendre, c’est que les conditions ne sont jamais idéales quand ta vie est en danger. D’ailleurs, je peux te garantir que les circonstances auront été prévues pour s’assurer que les conditions soient aussi peu idéales que possible. Ils veulent te déstabiliser. Ils veulent t’effrayer.
— Tu as été suffisamment blessée, Grier. Tu ne mériterais même pas de te cogner l’orteil dans cette vie.
— C’est gentil de ta part, mais on sait tous les deux que la vie ne marche pas comme ça.
Je n’avais aucun allié ici, aucun ami.
Ne fais confiance à personne. Ne crois personne.
Je devais rester sur le quivive.
La seule personne sur laquelle je pouvais compter pour me tirer de cette situation, c’était… eh bien, moi.

... L’inconnu s’avança doucement dans la faible lueur de la lune, la peau dénuée de toute imperfection et le regard insondable. Sa présence me cloua au sol et, pour la deuxième fois de la soirée, je me sentis sondée par des yeux de prédateur, bien que ceux-ci ne possédaient pas l’attirance primitive de ceux de Volkov. Il s’agissait donc d’un vampire transformé.
— Pouvons-nous bavarder ?
— Il est tard, et je suis fatiguée.
Et j’avais judicieusement développé un certain instinct de survie.
— Il faudra reporter à une prochaine fois.
Bon point pour lui : il se décala pour me laisser accéder au porche.
— Je représente une personne désireuse de faire votre connaissance.
Un frisson de mauvais augure se propagea dans mes bras, et je raffermis ma prise sur le pieu.
— J’ai suffisamment d’amis, merci.
— N’êtes-vous pas curieuse de savoir pour quelle raison vous avez été libérée d’Atramentous ? s’enquit-il en s’approchant d’un pas nonchalant, sa démarche fluide. Seuls les pires criminels sont envoyés dans ce trou, et seulement au bout d’interminables délibérations. Vous n’étiez qu’une enfant lorsque les grilles se sont refermées derrière vous. Seize ans. La plus jeune détenue de sa longue et triste existence. Et, si l’on en croit la rumeur, vous n’avez même pas eu droit à un procès.
Ma bouche devint sèche. Arrête ça tout de suite. Arrête. Ça. Tout de suite.
— Vous êtes l’unique dérogation accordée par une Grande Dame, une grâce exceptionnelle. Pourquoi ? demanda-t-il en tapotant l’une des ailes de son nez. À votre place, une telle dette me rendrait nerveux.
Le sol se déroba sous mes pieds tandis que la bombe qu’il venait de lâcher explosait.
J’aurais dû mener mon enquête sur les raisons de ce petit miracle personnel bien avant, mais j’avais été si heureuse de recouvrir ma plaie d’un pansement et de faire semblant que les centaines de coupures ne me vidaient pas lentement de mon sang. Depuis que j’avais recouvré ma liberté, j’avais repris ma petite vie, une vie paisible, une vie sans danger. Il faut croire que le danger rôde toujours, pas vrai ?
La main qui m’avait guidée vers la lumière pouvait tout aussi bien me rejeter violemment dans l’obscurité.
La Grande Dame m’avait épargnée, et je lui en étais reconnaissante. Au lieu de ça, une chaleur fiévreuse fit frissonner mon corps tout entier.
— Je vais me coucher.
J’eus les chocottes en lui tournant le dos pour agripper la poignée de la porte d’entrée.
Je tenais toujours la sphère en laiton lorsque sa main se retrouva sur mon épaule dans un contact qui appelait mon attention. J’eus à peine le temps de comprendre le danger que cela représentait que Woolly lui envoya une décharge électrique à travers moi. Je fis volte-face alors que le vampire était éjecté du porche et rencontrait violemment la pelouse, avant d’atterrir parfaitement accroupi dans un réflexe félin.
— Bonne nuit, Grier, dit-il, un éclat de rire dans la voix, comme s’il avait trouvé la décharge amusante.
Je me glissai à l’intérieur de la maison et fermai à clé derrière moi.
J’avais vu deux vampires en une soirée. Quelles étaient les chances pour que cela relève de la coïncidence ?
Maigres, voire nulles. J’insiste sur le nulles.
En admettant qu’il ait raison au sujet de la grâce de la Grande Dame, qu’attendait-elle en retour ? Et surtout, étais-je en mesure de lui donner ...
« Boaz avait toujours été une douleur sourde dans ma poitrine, un deuxième battement que je ressentais depuis qu’on était enfants. Linus s’apparentait plus à une saveur addictive dont je commençais à être avide, et je ne parlais pas de son sang. Je parlais de lui. Ses regards tendres, ses touchers délicats, ses mots doux. Tout ça. Tout lui. »
« — Votre maison est vivante ?
— Tu es un vampire, c’est un fantôme, je suis nécromancienne et c’est la maison hantée que tu trouves étrange ? »